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E-commerce : La tendance post-Covid

Chahinaz Gheith, Mercredi, 12 août 2020

L’achat en ligne s’est imposé comme une alternative idéale aux premiers mois de l’apparition du coronavirus. Certains l’ont décou­vert et y ont pris plaisir. Consommateurs et commerçants sont désormais nombreux à se tourner vers le e-commerce, qui a pourtant vu le jour dans les années 1990.

Le confinement a poussé les consommateurs à faire plus de navigation et plus d’achats en ligne, et n
Le confinement a poussé les consommateurs à faire plus de navigation et plus d’achats en ligne, et nombreux sont ceux qui y ont trouvé plaisir.

« On peut consommer sans gaspiller. On n’est pas dans la déconsommation mais dans la consommation responsable et raisonnée ». C’est ce que pense Yasmine Khedr, membre de l’initiative intitulée « Votre main dans votre poche ». Lancée par les étudiants de la MIU (Misr International University), cette initiative a pour but de lutter contre les achats compulsifs et la frénésie du shopping en ligne (e-commerce). Mais y a-t-il vraiment frénésie ? Si le mot est trop grand, il est tout de même clair que la tendance a pris de l’ampleur ces derniers mois. En fait, tout a commencé avec le début de la crise sanitaire due au Covid-19, lorsque de nombreux Egyptiens ont eu recours à ce type d’achat afin d’éviter de se rendre dans les magasins. Coincés à la maison aux premiers temps de la crise, ces consommateurs ont changé de comportement de manière spectaculaire. Les priorités d’achat n’étaient plus les mêmes, une immense inquiétude sur la disponibilité de certains produits sur le marché, notamment l’achat panique des vitamines et des produits d’hygiène. « Il fallait donc passer à l’action, réveiller les consciences et sensibiliser les gens quant à l’inefficacité de la frénésie et du stockage des produits de consommation pour approvisionner le marché et maîtriser les prix », poursuit Yasmine.

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Plus généralement, les consommateurs, qui ont passé plus de temps à naviguer sur Internet et à faire leurs courses online, se sont plaît à cette tendance. Une tendance qui, selon Yasmine, risque de conduire les consommateurs à une utilisation massive des cartes de crédit, ce qui mène à un endettement problématique. Pour Yasmine, scroller aujourd’hui sur Facebook et Instagram, c’est comme se promener dans une foire aux bestiaux. Les influenceurs mode, annonceurs publicitaires et magasins de fast fashion ne cessent de multiplier les promotions et baisser les prix, afin d’optimiser notre plaisir lié à l’achat.

Pendant le confinement et face à l’ennui profond qui avait gagné Randa, la tentation de renouveler sa garde-robe était grande. « Quand j’ai une mauvaise journée à l’université, je fais du lèche-vitrines. Je m’offre un pantalon, un tee-shirt ou un joli sac, et tout est oublié ! », lance en riant cette jeune fille de 20 ans qui passe son temps aujourd’hui à faire des achats en ligne, après y avoir pris plaisir. Plus simple, aussi pratique que le lèche-vitrines et permettant d’éviter la foule, le commerce en ligne a aujourd’hui le vent en poupe. Sawsan, la quarantaine, est devenue plus encline que jamais à acheter pour se sortir de l’ennui. Elle n’hésite pas à commander sur Internet tous les articles imaginables qui lui mettent du baume au coeur et boostent son ego. « C’est une véritable cure anti-déprime », confie-t-elle. « Je n’ai jamais été une adepte du shopping en ligne, je préfère voir, toucher, essayer. Ma première expérience était en avril dernier, alors qu’on évitait de sortir, et j’en étais ravie ! C’est tellement plus pratique pour quelqu’un comme moi qui déteste et les centres commerciaux encombrés, et les files d’attente devant les cabines d’essayage ou devant les caisses », explique de son côté Farida, 35 ans.

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Choix multiples, immédiatelé de l'achat et livraison en un temps record, tels sont les atouts du shopping en lignes

Qu’on fasse du shopping dans un magasin physique ou sur une boutique en ligne, acheter des vêtements, se constituer des looks qui nous plaisent et trouver des tenues agréables à porter, tout cela nous procure beaucoup de bien-être et nous rend heureux. D’après une étude de l’Université du Michigan publiée en juillet 2014 dans le Journal of Consumer Psychology, une séance de magasinage peut remonter le moral et même chasser les idées noires. Mais comment expliquer ce phénomène ? « A l’achat d’un produit qu’on trouve attrayant, le circuit de la récompense situé dans notre cerveau est grandement stimulé, ce qui déclenche la production de dopamine, un neurotransmetteur qui suscite une sensation de bien-être, de plaisir et d’un contrôle sur sa vie, ce qui atténue la tristesse », explique le psychologue Ahmad Yousri.

Une considérable hausse depuis la pandémie

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Né dans les années 1990, le commerce électronique, appelé aussi e-commerce, connaît un succès fulgurant grâce notamment aux avancées technologiques. Ce succès se base sur les cyberacheteurs qui adhèrent de plus en plus à ce mode d’achat et de vente en ligne dont les avantages sont indéniables. Il suffit à l’utilisateur de taper sa recherche de produit sur un moteur de recherche pour voir se multiplier les réponses à sa requête. Pas besoin de faire le tour de plusieurs magasins dans l’espoir de trouver un produit spécifique. C’est un gain de temps considérable que le consommateur mettra à profit pour comparer les prix et les produits des différents sites de vente en ligne. Selon Samer Gharaibeh, expert dans le domaine du commerce électronique et directeur d’une des plus grandes sociétés de livraison en Egypte, les chiffres du e-commerce en Egypte ont atteint environ 2 milliards de dollars en 2019.

Gharaibeh pense que le recours des consomma­teurs aux sites marchands ne peut pas être consi­déré seulement comme un fruit du développement des stratégies marketing des entreprises égyp­tiennes. Mais il s’agit également d’un bouleverse­ment inopiné dans le comportement des consom­mateurs dû à la crise sanitaire. Avec les craintes de se mêler à la foule, le commerce électronique est devenu aujourd’hui l’alternative de choix. Autrement dit, dans une démarche de limitation des déplacements physiques en réponse aux mesures de prévention émises par le gouvernement et afin de limiter le risque de contagion du Covid-19, les transactions via Internet et les achats en ligne ont enregistré en Egypte une hausse signifi­cative : le taux du e-commerce est passé de 12 % en 2019 à 20 % durant les trois premiers mois de 2020. Une montée en puissance du digital qui semble refléter un recours de plus en plus élevé par les Egyptiens aux sites marchands, selon une étude publiée par la CAPMAS, 81 % des internautes cherchent des produits sur Internet et 51 % d’eux effectuent des achats en linge.

Un changement de comportement qui a fait repenser à plusieurs secteurs leur manière de tra­vailler, et ce, en cherchant à créer leur site e-com­merce. Adel Hussein, propriétaire d’une boutique de vêtements, confie que son chiffre d’affaires a connu une forte baisse aux premiers mois de la crise due au coronavirus. « Vu que beaucoup de gens avaient peur de faire les magasins, j’ai déve­loppé la vente en ligne de mes produits. Je les présente via Instagram et Facebook, et j’applique une série de programmes de promotions pour les clients qui payent en ligne », raconte-t-il. Et la combine a marché : ces dernières semaines, il a reçu beaucoup de commandes en ligne, environ 10-20 unités/jour, soit le double, voire le triple par rapport à la situation d’avant la pandémie. Ce pro­priétaire a cherché à diversifier ses marchandises et à appliquer la politique d’exonération totale des frais de transport pour ses commandes en ligne. Résultat : ses ventes ont augmenté. Même son de cloche pour Jumia, l’un des grands sites de vente en ligne en Egypte qui assure aussi que son chiffre d’affaires a augmenté de 50 % au cours de cette crise sanitaire.

Coronavirus ou pas, la mise en place de nouvelles technologies dans le domaine des opérations économiques, les transactions financières et les échanges commerciaux ainsi que leur promotion auprès de la population devront faciliter la vie. Du coup, pour pouvoir combler le fossé digital dont diverses entreprises souffrent, il faut tout d’abord arrêter de voir le numérique comme étant un luxe, mais plutôt un besoin vital. Et c’est ce qui s’est passé. Aujourd’hui, un simple coup d’oeil aux sites en ligne des grandes enseignes de prêt-à-porter démontre aisément qu’elles ne sont plus ce qu’elles étaient, les entreprises de la mode mettent les bouchées doubles, en essayant de faire de leurs magasins physiques des atouts pour leurs ventes en ligne, l’addition montant rapidement à trois, voire quatre chiffres. « Les ventes en ligne sont en train de devenir un élément qui contribue de manière significative à la croissance de l’entreprise. Acquérir plus de visibilité online est le principal défi du groupe s’il veut rester compétitif à long terme », confirme le responsable d’une enseigne de prêt-à-porter, tout en déclarant que l’accentuation de sa stratégie de vente en ligne sera accompagnée de la fermeture de 1 000 à 1 200 magasins physiques dans le monde au cours des deux prochaines années. Et d’ajouter : « Il faut inciter les clients à commander depuis chez eux et organiser un guichet spécifique pour le retrait des commandes. Le Clic &collect ou le Try at home (essayez à la maison) font partie de notre stratégie post-confinement avec des délais rallongés pour récupérer leurs produits et des possibilités de retour allongées ».

Des réticents, tout de même

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Réticente, Hoda préfère l'achat du magasin, ayant peur d'être arnaquée lors d'un shopping en ligne.

Toutefois, Mohamad Arafa, propriétaire d’un grand magasin d’accessoires, se montre peu enthousiaste et sceptique à l’idée affirmant que le marché n’était pas encore bien rodé. « Contrairement à ce que l’on peut croire, le client n’est pas encore complètement prêt et nous aussi nous ne sommes pas encore prêts », justifie-t-il, en indiquant que les gens qui achètent sur Internet, c’est un microcosme, on a l’impression qu’ils sont nombreux parce que ce sont des gens autour de nous, mais ils ne sont pas représentatifs. « La pratique de vendre et d’acheter en ligne relève en premier lieu d’une culture, d’une mentalité, avant qu’elle ne soit une technique que l’Egyptien peut acquérir en se formant, sous réserves d’aptitudes personnelles », poursuit Arafa. Un avis partagé par la sociologue Samia Salah qui pense que l’achat en ligne n’est pas encore ancré dans les moeurs des ménages égyptiens. Ce que l’Egyptien connaît, c’est le fait de se rendre dans le magasin, la boutique où il pourrait trouver l’article qu’il recherche. Une fois qu’il est dans la boutique, il négocie les prix avant d’acheter. Et il ne s’est pas encore défait de ce mode de consommation. De plus, il est méfiant et il manque de confiance pour ce qui est d’acheter un article sur le Web. « A vrai dire, les gens doutent d’abord de l’adéquation du produit avec la photo vue sur Internet. La méfiance concerne également la qualité de l’article qu’ils ont vu sur le Web. Ils se demandent s’ils seront réellement livrés, s’ils payaient le produit en ligne », explique-t-elle, tout en ajoutant que la peur de se faire voler leurs données est aussi une chose qui justifie l’indifférence de certaines personnes pour l’achat en ligne.

En fait, dans le processus de se procurer des articles sur le Web, on note la phase où l’acheteur va se servir de sa carte bancaire ou de tout autre moyen pour régler la facture. A cette étape, plusieurs ne sont pas du tout rassurés. Hoda, jeune fille à la trentaine, ne préfère pas tant l’achat en ligne qui, selon elle, comporte de multiples risques. Elle est réticente, ayant peur d’être arnaquée lors d’un shopping en ligne. Pour elle, il est impossible d’acheter des vêtements exposés sur les sites Internet. « Enfiler une robe, essayer un pantalon, toucher le tissu d’un costume … Autant de gestes naturels que je tiens à faire une fois dans une boutique de mode », souligne Hoda, tout en ajoutant qu’il y a quelques problèmes inhérents à la vente par Internet en Egypte, tels que le problème des retours, du prix du transport, du transport d’un colis qui coûte plus cher qu’un t-shirt, et aussi le problème des délais qui sont fixés à 48 heures. « Personne n’aime débourser de l’argent pour acheter un produit qui ne lui sera réellement pas utile ou qui sera non conforme à ce qu’il a vu sur le Web et qui lui a plu. Pire, un goût amer monte si l’on paie pour un produit qu’on n’a jamais reçu », conclut-elle.

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