Lundi, 16 septembre 2024
Enquête > Enquéte >

Cancer : Les malades dans l’angoisse

Manar Attiya, Lundi, 08 juin 2020

Avec la crise du coronavirus, les hôpitaux ont reporté certains traitements « non urgents » liés au cancer, pour protéger les patients et éviter certains risques. Ceux-ci vivent désormais dans l’angoisse.

Cancer : Les malades dans l’angoisse

Beaucoup de personnes atteintes d’un cancer sont inquiètes en raison du report de leurs traite­ments. Nawal, 51 ans, n’a aucune idée de la date à laquelle elle pourra être opérée. Son intervention chirur­gicale pour un cancer de la peau a été reportée à une date indéterminée. Au début du mois de février, son derma­tologue avait constaté une tâche sus­pecte sur sa jambe droite. Il a réalisé une biopsie. Le diagnostic tombe et il s’agit d’un mélanome. Son chirur­gien lui annonce qu’il doit l’opérer pour retirer la tumeur. Quelques semaines plus tard, il l’appelle pour lui dire que la date de l’opération est reportée. Nawal va donc vivre de nombreux jours dans l’angoisse. « J’ai l’impression que le personnel médical est focalisé sur le Covid-19 au point d’oublier les patients du cancer », dit-elle avec angoisse. Résultat : Nawal devra attendre la fin du confinement pour subir son intervention chirurgicale.

Depuis le commencement de la crise liée à la pandémie de coronavi­rus, beaucoup d’hôpitaux et centres de lutte contre le cancer ont décidé de reporter certaines consultations et les opérations jugées non urgentes. « Au lieu d’une séance par semaine, il faut attendre 28 jours pour faire sa chimiothérapie. Le traitement hor­monal est prescrit toutes les 12 semaines au lieu des 6 semaines. Les reconstructions mammaires et la mise en place de certains protocoles de radiothérapie sont retardées. Les mammographies de contrôle annuel sont reportées de 15 jours, un mois ou deux. Pour les tumeurs de grade 1 qui ne risquent pas de se développer et de se propager, les interventions chirurgicales ont été reportées jusqu’à nouvel ordre. Mais quand le grade de la tumeur est élevé (3 ou 4), l’opération doit se faire dans les plus brefs délais. Il est impossible de retarder une opération si le cancer ou les cellules tumorales se compor­tent agressivement et ont tendance à se propager », explique Dr Hussein Khaled, cancérologue et ancien ministre de l’Enseignement supé­rieur. En fait, il est difficile de suivre son traitement en cette période de crise sanitaire, lorsque l’on est atteint d’un cancer. La majorité des soins, qu’ils soient thérapeutiques ou chirurgicaux, ont été modifiés ou reportés pour éviter tout risque de contamination des patients par le Covid-19.

Les patients atteints de cancer sont généralement plus fragiles aux infections virales. D’après une étude chinoise publiée le 14 février dans la revue scientifique The Lancet, sur 2007 cas d’infection confirmés au Covid-19 dans 575 hôpitaux, les chercheurs ont consta­té que les traitements anticancéreux affaiblissent le système immuni­taire, et donc les thérapies contre le cancer fragilisent les défenses immunitaires, ce qui multiplie par 4 ou 5 le risque d’hospitalisation en cas de contamination au coronavi­rus. Ces patients développent des formes graves d’infection bien plus que les autres. Chez eux, les symp­tômes se développeraient plus rapi­dement et la détérioration des fonc­tions respiratoires est plus rapide. Comme toujours en médecine, il existe une relation étroite entre le bénéfique et le risque. « On arrête les séances de chimiothérapie parce qu’il y a un risque d’aplasie (baisse du taux de globules blancs). On arrête aussi les thérapies ciblées car il y a de nombreuses interac­tions avec les traitements antiviraux que le patient doit prendre en cas d’infection au Covid-19. Pour les hormonothérapies, rien n’a été signalé », précise Dr Tamer Shawqi, président du conseil d’administra­tion de l’hôpital Baheya pour le cancer des seins.

Refuser de se faire soigner

Agée de 42 ans, Fatma devait subir une mastectomie et une reconstruction mammaire le 1er mai, mais tout a été annulé en raison de la pandémie de coronavirus. « J’avais envie de guérir. Je me disais : Je vais être forte. Hélas ! Tout cela s’est évaporé », lance Fatma, les larmes aux yeux. Elle a peur de l’avenir avec une maladie incurable. Alors que Fatma se sen­tait chanceuse d’avoir détecté son cancer à temps, aujourd’hui, les répercussions psychologiques de la maladie la rattrapent petit à petit. Elle n’effectuera pas sa mastecto­mie en mai et n’a d’autres choix que d’attendre. « Difficile de garder le moral dans ces conditions », se demande Fatma. Son cancérologue, Dr Hossam Omar, chef du départe­ment de chirurgie à l’hôpital Baheya, explique que le cas de Fatma n’est pas considéré comme urgent. Son cancer peut attendre un ou deux mois. Quant aux personnes dont le diagnostic est confirmé, il faut savoir que certains traitements, tels que les chimiothérapies, les thérapies ciblées et la radiothérapie peuvent affaiblir leur système immunitaire et engendrer des pro­blèmes pulmonaires. Et si ces malades contractent le Covid-19, les risques de complications seront cer­tainement plus élevés.

Certaines personnes atteintes du cancer refusent de subir des interven­tions même si cela les met en danger. C’est le cas de Nadine, 60 ans, qui souffre d’un cancer triple négatif inflammatoire. Elle devait être opérée la semaine dernière. Terrorisée à l’idée de sortir de chez elle, Nadine n’a pas voulu se rendre à l’hôpital. « Cette opération était pourtant indispensable pour elle. Après le déconfinement, on va affronter une autre crise sanitaire épouvantable avec les malades du cancer », com­mente Dr Assem Mansour, directeur général du centre de cancérologie. Ce dernier passe de longues heures à contacter ses patients pour les rassu­rer et les convaincre de ne pas se rendre à l’hôpital. Et si l’un d’eux présente les symptômes du coronavi­rus, il lui conseille de composer le 105, de garder le contact avec lui ou lui propose d’autres alternatives: des traitements à domicile, des télécon­sultations, des applications sur smart­phones, des séances thérapeutiques via Skype, etc. « Ne vous rendez pas à l’hôpital ou à un centre hospitalier que si vous avez des troubles respira­toires », ajoute-t-il, essayant de proté­ger les malades atteints du cancer. Et, de poursuivre: « Si nous avons un patient suspect, nous l’appelons chaque matin jusqu’à la disparition des symptômes. Dans la majorité des cas, la maladie est bénigne, mais l’état d’un patient peut s’aggraver brutalement. Et si c’est le cas, nous le faisons hospitaliser ».

Entre les retards de diagnostics et les patients déjà suivis qui ont arrêté leurs traitements à l’hôpital par peur d’être contaminés au coronavirus, on s’attend à un encombrement dans les hôpitaux dans les mois à venir. Depuis le début de la crise du Covid-19, des malades dont le dia­gnostic du cancer a été confirmé refusent de se soigner. « En général, 5 % des femmes refusent le traite­ment. Depuis le début de l’épidé­mie, ce taux a augmenté, atteignant les 15%. Il s’agit surtout de jeunes patientes, isolées. Le vrai ennemi pour elles c’est le cancer, mais elles craignent plus le virus que le can­cer. Le même taux existe aussi dans les plus grands centres de cancéro­logie en Europe et aux Etats-Unis », confie Dr Ahmad Hassan, chirurgien cancérologue qui possède une cli­nique en Grande-Bretagne. « Souvent, la perception d’un dan­ger écrase celle des autres dan­gers », explique-t-il. Sayed, 55 ans, qui souffre du cancer de colon, se pose la question avec logique : « Etant donné que la chimiothéra­pie entraîne un affaiblissement des défenses immunitaires, j’ai décidé pour le moment de ne pas me soi­gner du cancer pour éviter toute contamination au coronavirus. Quel est le pire ? Attraper le Covid-19 ou suivre un traitement qui met mon système immunitaire à zéro ? », Ce père de deux enfants redoute les conséquences d’une infection au coronavirus. Et en attendant que le virus disparaisse de la circulation, Sayed doit se plier aux règles du confinement obligatoire. Cet homme, qui vit avec cette maladie incurable, est plus vigilant que d’habitude. Ce père de famille a décidé de se rendre avec sa petite famille dans son chalet à Aïn-Sokhna, en mer Rouge. « Nous sommes loin de tout et nous ne voyons personne. Et c’est la meilleure situation pour nous actuellement », conclut Sayed .

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique