Ahmad et nahla sontmariés depuis onze ans.Onze années au coursdesquelles des habitudesse sont installées. Ce n’est que levendredi que la famille s’assoit autourd’une même table pour déjeuner.Sinon, chacun a son rythme. Nahla estprofesseure et Ahmad occupe un posteimportant dans une multinationale. Ilest donc généralement très pris par sontravail. Les enfants se sont habituésaussi à ne pas voir leur père hormis leweek-end. Rien de tout celaaujourd’hui. Avec le confinementimposé par le Covid-19, Ahmad, toutcomme sa femme, fait du télétravail, ilest à la maison 24 sur 24 et 7 jours sur7. Les enfants aussi, vu la fermeturedes écoles. Une situation qui paraîtétrange pour tout le monde.
Au début, l’épouse était heureuse depasser davantage de temps avec sonconjoint. Une semaine s’est écouléepaisiblement avant que les crispationsne commencent à s’immiscer, setransformant vite en disputes et envociférations. Pas facile la cohabitation,s’est rendu compte Nahla, qui nesupporte pas que son mari, moinsoccupé que d’habitude, se mêle desaffaires domestiques. Les enfantstrouvent aussi pesantes les remarqueset les critiques continuelles de leurpère. « C’est comme si je découvraisson caractère pour la première fois, ilfourre son nez partout, passe son tempsà faire des remarques sur le ménage,l’entretien de la maison, etc., et toutesles deux heures, il me demande de luipréparer quelque chose à manger ! »,se plaint Nahla.
En effet, de petits accrocs quotidiensrésultent inévitablement de cettesituation nouvelle que vivent denombreuses familles égyptiennes.Télétravail, homeschooling,interdiction de circuler nocturne,fermeture des cafés et desrestaurants … Un état de stress,d’ennui, de déprime s’est installé,créant des pressions supplémentaires.Et, par-dessus le marché, unecohabitation forcée à la maison. Lequotidien s’en trouve bousculé.
« Je ne suis pas femme aufoyer ! »
(Photo : Hanaa Al-Mekkawi)
Comme Ahmad et Nahla, Ramy etSara sont à la maison la plupart dutemps. « Mon mari semble avoir oubliéque, moi non plus, je ne suis pas envacances. Il se comporte comme sij’étais devenue femme au foyer, devientde plus en plus exigeant, et, dès qu’il selibère ou qu’il prend une pause, ils’attend à ce que je sois là, aux petitssoins, et fait la tête si je suis occupée.Alors, pour éviter les tensions, je faisen sorte de travailler quand il dort ouquand lui aussi est sur son ordinateur »,raconte-t-elle en ironisant : « Je suistout le temps en train de jongler ! ».Car Ramy se plaint que sa femme passetrop de temps au téléphone, même sic’est pour le boulot. « Dès qu’il sort,quand il lui arrive de sortir, ou qu’ildort ou travaille, j’en profite pour fairetous les appels. Si, par exemple, noussommes ensemble devant la télé et queje réponds au téléphone, il fait tout desuite la tête parce qu’il estime que je lenéglige et nous sommes bien partispour une dispute », dit Sara. Etd’ajouter : « En fait, ça n’a rien à voiravec le fait que nous nous aimons ounon, que notre relation soit stable ounon, c’est juste que nous n’avons pasl’habitude d’être tout le tempsensemble ». Car Sara est aussi lamaman d’une fille de 9 ans, qui, elleaussi, a ses exigences. « Je me senscomme l’esclave de ma fille et de monmari, et je n’ai plus aucun moment àmoi seule. D’ailleurs, je suppose quemon mari lui aussi supporte mal cettecohabitation 24h/24 », indique-t-elle.
Plus d’espace personnel
L'occasion de partager quelques tâches ménagères et quelques activités.
(Photo : Hanaa Al-Mekkawi)
Chamboulement des habitudes dechacun des membres de la famille, peud’espace pour soi et frictions. Beaucoupde couples voient ainsi cette expérienceinédite. « Le fait de pas voir ses amis,ses collègues, de ne pas pouvoir sechanger les idées augmente la tensionau sein du couple », selon Fadi, quiexplique que cette expérience va àl’encontre de notre mode de vie normalet que c’est là tout le problème. « J’aiessayé de m’adapter à la situation etd’en profiter pour me rapprocher de mafemme et mes enfants. Malheureusement,c’était plus dur que je ne pensais », ditFadi. Ce dernier a commencé àcontribuer aux tâches domestiques, àaider sa femme à préparer des platsdélicieux dans la cuisine. Il a mêmedemandé à ses enfants de ranger leurschambres et mettre de l’ordre dans leursarmoires. Il leur a aussi programmé leuremploi du temps quotidien. Mais, celan’a pas duré longtemps. « Les deuxpremiers jours, les enfants ont obtempérépuis ont commencé à rechigner. Mafemme n’a pas apprécié mon intrusiondans la cuisine sous prétexte que celacomplique les choses », dit Fadi.Des hommes qui fourrent leurs nezpartout, des femmes qui, habituées à êtremaîtresses du foyer, ne supportent pasces intrusions, certains couples semblentsouffrir de cette cohabitation forcée,alors que chacun avait ses propreshabitudes, son propre rythme, et qu’ilsne partageaient ensemble que quelquesheures en fin de journée. C’est cequ’explique le psychologue et expert enrelations conjugales, Ahmad Abdallah,qui affirme que « cette situation inéditea pris de court de nombreux couples ».De plus, ajoute-t-il, « la vie des couplesmariés depuis de nombreuses années ouceux mariés à la traditionnelle, sansvéritables sentiments, comme c’estsouvent le cas en Egypte, s’esttransformée en une série de tâches, demissions mutuelles que chacunaccomplit de son côté. Dans ce mode devie, chacun a créé sa propre bulle, unebulle dans laquelle il vit seul, soit àtravers le virtuel, soit à travers une vieen dehors de la maison, avec les amis etles collègues. Dans cet état des lieux,rester ensemble à longueur de journéeest difficile à gérer. Le couple se voitobligé de se comporter différemment, dese voir différemment ».
Des heureux, tout de même
Plus de temps ensemble, cela peut être soit une source de tension, soit l'occasion de se rapprocher.
(Photo : Hanaa Al-Mekkawi)
Pour que la tension ne prenne pas detrop grandes proportions, certainscouples tentent tant bien que mal detrouver un certain équilibre en gardantchacun sa sphère et sa vie privée pourpouvoir apprécier la vie en commun.« Il y a ceux qui décident de profiter del’occasion pour se redécouvrir,d’apprendre à s’apprécier ; et il y aceux qui refusent de s’adapter et qui neveulent pas changer leur mode de vieinitial. Les premiers sortiront de cetteexpérience plus heureux, les secondscreuseront un peu plus le fossé qui lessépare », dit l’expert.
Plus de temps ensemble, cela peut être soit une source de tension, soit l'occasion de se rapprocher.
(Photo : Hanaa Al-Mekkawi)
Asmaa, secrétaire, et son mari, cadre,ont choisi de voir le bon côté deschoses. Elle confie qu’ils ont trouvé unterrain d’entente qui les aide àtransformer cette période inédite en unévénement inoubliable dont ils pourrontse souvenir plus tard en riant. Alorsqu’elle continue à se rendre au bureau,son mari fait du télétravail. A son retour,elle trouve son mari en train de préparerle déjeuner, le mets qu’ils ontprogrammé ensemble le matin, elle leremplace en ajoutant ses petites touchespersonnelles. Et ils font tout ensemble.« Cela a provoqué une sorte dedynamisme dans notre vie de couple,comme durant les premières années denotre mariage avant que la vie nedevienne monotone », dit Asmaa. Aprèsle déjeuner, la famille se rassemble soitpour regarder la télé ou jouer ensembleun jeu de société. « Cette période nousa permis de vivre la vraie vie de famillequi a disparu, et partager certainestâches avec mon mari nous arapprochés », dit-elle, estimant qu’il estaussi nécessaire de laisser chacun fairece qu’il veut, tout en respectant lesautres.
En effet, comme l’explique leconseiller conjugal, « avec de la bonnevolonté, cette période de confinementpeut avoir un impact positif sur lecouple, à condition tout de même que cedésir soit partagé par les deux ».D’ailleurs, selon l’expert, « la classesociale du couple, l’espace de la maisonou le nombre d’enfants, tout cela ne faitpas la différence, mais ce qui compte,c’est le comportement du couple ».Avis partagé par le psychiatre AliAbdallah, qui explique aussi que laflexibilité de chacun y est pourbeaucoup. « Certains vont y voir uneoccasion pour raviver la flamme quisommeillait en s’adaptant à la situation,d’autres, qui vivaient avec un tas deproblèmes latents et qui évitaient de lesaffronter, vont se retrouver face à faceavec ces problèmes », estime-t-il. Et lepsy de conclure, non sans ironie :« Nous sortirons de cette situation soitavec plus de bébés, soit avec plus dedivorces ! » .
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