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Au temple des senteurs et des couleurs

Manar Attiya, Dimanche, 03 mai 2020

A Qanater Al-Khairiya, le village Ezbet Al-Ahali est réputé pour ses champs de fleurs. 500 feddans y sont consacrés à la culture de différentes espèces. Tournée à l’occasion de l’avènement du printemps.

Au temple des senteurs et des couleurs
Les fleurs sont toujours très appréciées par la gent féminine. (Photo : Hassan Ammar et Mohamad Châalane.)

Il est 7h ce matin de mars. En plein soleil, les fleurs scintillent comme des étoiles à l’entrée du village. Les champs s’étendent à perte de vue. Des fleurs aux multiples couleurs poussent partout et garnissent les terres avec les innombrables espèces. Un paysage magnifique, une palette allant du blanc au rouge, rose, violet et jaune vif. Dans cette région, les terres sont fertiles et propices à la floriculture. Des camions s’entrecroisent, pare-chocs contre pare-chocs comme dans un jeu vidéo, guidés par des conducteurs acharnés. Quelques-uns trient, chargent et déchargent les trains de chariots. Des hommes robustes conduisent les tracteurs et les équipements pour fertiliser, cultiver et arroser les terres. Sur les étagères, des centaines de milliers de fleurs et plantes forment un spectaculaire décor multicolore. Quelques ouvriers bêchent le sol, plantent des graines et des boutures, greffent des espèces de fleurs et transplantent des semis de fleurs et des boutures racinées. Certains inspectent les plantes afin de déceler les problèmes potentiels : mauvaises herbes, insectes ou maladies, et ce, pour assurer leur bonne croissance dans les serres. Quelques villageoises règlent les systèmes d’irrigation à l’extérieur et dans les serres pour arroser les fleurs. Un groupe d’enfants coupent les fleurs et les feuillages à bouquet pour les préparer à la vente. Plantes vertes, tulipes, narcisses, crocus, dahlias, glaïeuls, etc.

Nous sommes au village Ezbet Al-Ahali, situé à Qanater Al-Khairiya, au gouvernorat de Qalioubiya et situé à 22 km du Caire. Ce village est surnommé « A-Ward » (village des fleurs). Et pour cause, 90% des habitants travaillent dans le domaine de l’horticulture. Moustafa Abdallah est un horticulteur chevronné. Il a repris l’activité de son père que lui-même a hérité de son père et de son grand-père. Il se plaît ainsi à rappeler que son arrière-grand-père exerçait déjà le métier d’horticulteur et que c’est son grand-père, producteur et vendeur de fleurs au détail, qui a lancé ce projet dans les années 1950. En 1983, son père a repris l’activité. Moustafa, qui l’a rejoint en 1995, a pris la relève en 2014. Et cette belle tradition familiale va continuer : actuellement, le fils de Moustafa étudie l’horticulture dans la faculté d’agronomie à l’Université du Caire. Il compte bien perpétuer ce savoir-faire : L’histoire d’une vraie passion transmise sur cinq générations ! « Nous travaillons depuis longtemps dans le domaine de l’horticulture et nous sommes tous des horticulteurs ! », lance Moustafa Abdallah, propriétaire d’une des plus grandes fermes du village Ezbet Al-Ahali.

Au début, lorsque son arrière-grand-père s’occupait de la ferme, sa superficie était de 2 feddans. Aujourd’hui, elle dépasse les 20 feddans, à noter que le feddan produit 360 000 fleurs par semaine. Moustafa, qui exerce ce métier depuis son jeune âge est fier d’être le premier producteur à faire de la culture de fleurs sous serre. « Au début des années 2000, nous avons installé la première serre pour cultiver des girofles. Aujourd’hui, la floriculture s’est nettement développée et l’on peut voir un grand nombre de serres à Qanater Al-Khairiya où l’on cultive toutes les espèces de fleurs. La culture sous serres a permis de cultiver toutes les espèces de fleurs car le climat en Egypte est favorable à la production de ce genre de plantes toute l’année. Sous serre, on cultive des espèces qui n’étaient pas encore connues chez nous, comme le chrysanthème, surnommé le roi des fleurs car cette fleur a une durée de vie allant de 15 à 20 jours », explique Moustafa Abdallah. Et d’ajouter en plaisantant : « Aujourd’hui, les fleurs ne sont plus l’apanage du printemps, comme pensent beaucoup de gens. Grâce aux serres, les horticulteurs ont réussi à avoir une productivité pendant toute l’année ».

Mais, pour cultiver sous serre en hors saison, il faut suivre quelques étapes importantes en vue d’augmenter la productivité et obtenir plusieurs variétés, couleurs et formes. Dans les années 2000, les producteurs et les propriétaires de fermes, qui exercent le métier depuis de longues années, ont vu la nécessité d’importer les graines de rosiers de l’étranger, surtout de Hollande. « Car, jadis, dans les années 1960, 1970, 1980 et 1990, il n’existait en Egypte qu’une seule espèce: la rose locale (ward baladi). En ce temps-là, les Egyptiens n’avaient pas encore cette culture d’offrir des fleurs lors des occasions ou des fêtes », note avec précision Fawzi Khalifa, le cheikh du métier à Ezbet Al-Ahali. A la fin des années 1990, beaucoup d’Egyptiens ont commencé à cultiver des fleurs sur leurs terrasses et balcons. Certains, après leur retour des pays du Golfe où ils ont travaillé, d’autres après avoir fait des voyages dans les pays européens, ensuite, l’apparition des réseaux sociaux qui insistaient sur la nécessité de cultiver des plantes et des fleurs chez soi pour en offrir aux malades ou à l’occasion des fêtes.

La Mecque des amateurs de fleurs

Au temple des senteurs et des couleurs
L’avènement du printemps est le temps propice à l’épanouissement des fleurs de lys, du dahlia et du gladiolus. (Photo : Hassan Ammar et Mohamad Châalane)

Pour réussir à cultiver une quarantaine d’espèces, il faut importer les graines. Le fait d’obtenir de nouveaux rosiers à partir de graines est une opération longue et incertaine. Personne ne peut être sûr que les roses obtenues vont ressembler à la plante d’origine et donc le risque d’avoir des formes, des couleurs et des caractéristiques différentes est probable. Pour faire germer les graines importées, il faut d’abord les plonger dans un grand bassin d’eau, puis les placer dans le réfrigérateur à une température variant entre 5et 8° pendant 5 à 6 semaines en veillant à maintenir un minimum d’humidité. « Je surveille l’apparition de la petite racine très fine et très fragile. Ensuite, je la plante, tout de suite, dans un petit pot, placé sous le soleil pendant trois mois pour voir apparaître feuilles et fleurs. Cette nouvelle variété de rose demande au moins deux à quatre ans de travail continu pour surveiller la nouvelle plante qui germe », explique l’horticulteur chevronné.

Surnommé « Le Royaume des fleurs », Ezbet Al-Ahali est connu pour la fertilité de ses terres. Ce village, qui compte 50 000 âmes, est célèbre pour ses fleurs exceptionnelles en Egypte. En parcourant les ruelles du village Ezbet Al-Ahali, on peut voir des milliers de rosiers. 500 feddans de fleurs dont 250 spécialisés pour les fleurs d’ornement et 250 pour les fleurs cultivées sous serres. 1 000 fermes fournissent de nombreux bouquets odorants et multicolores. Dès le début du printemps, quelques milliers de bulbes fleurissent et colorent le village en offrant un spectacle magnifique. 90 % des villas du Nouveau Caire, des jardins publics et différents espaces verts dépendent de la production du village en fleurs. 50 % des hôtels achètent leurs fleurs de décoration et de mariage à Ezbet Al-Ahali. Les fleuristes de Korba, à Héliopolis, les boutiques de fleurs de Madinet Nasr, Zamalek, Mohandessine et Doqqi, et les quartiers huppés du Caire achètent leurs besoins en fleurs de ce village, durant toute l’année et les commandes augmentent durant les fêtes : Pâques, Cham Al-Nessim, la Fête des mères (21 mars), Noël et le jour de l’An, la Saint-Valentin et la Journée égyptienne de l’amour (4 novembre), etc.

A chaque occasion une espèce différente

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Une élégante composition de fleurs ornant une table, en période de fête, ajoute un petit plus à votre décoration intérieure. (Photo : Hassan Ammar et Mohamad Châalane)

Si un bouquet de fleurs est toujours agréable à offrir et à recevoir, tout le monde ne sait pas quelles fleurs faut-il offrir pour chaque occasion. C’est Mohamad, l’ouvrier-fleuriste, dans ce métier depuis 20 ans, qui répond à la question en faisant descendre les bouquets qui viennent d’être déchargés du camion. « Le bouquet de fleurs ne doit pas être composé de la même manière et chacun a sa spécificité en fonction de l’occasion », dit-il en expliquant le rôle et l’utilisation de chaque fleur. Très appréciées des mamans et des grands-mères, les tulipes, symboles d’amour et de sincérité, apporteront de la gaité et de la fraîcheur chez elles à la Fête des mères. Le mariage, par exemple, est un évènement heureux, il faut donc, offrir des fleurs délicates aux futurs mariés comme les iris, les callas, les tulipes ou encore les roses à condition qu’elles soient de couleur crème. Mais, pour une demande en mariage, il faudrait acheter des roses rouges car elles symbolisent la passion. Tandis que pour la naissance ou la fête du seboue (7e jour après la naissance), les gens peuvent acheter des marguerites, des gerberas, des lilas, des tournesols, des dahlias, des jonquilles, des tulipes, des roses, des pivoines, des camélias ou encore des oeillets, de préférence de couleur jaune. Cette couleur est idéale pour cette occasion et permet de composer des bouquets gais et lumineux. L’oeillet blanc et la marguerite blanche souhaiteraient une bonne chance pour le Nouvel An. Il existe, aussi, des fleurs qui sont associées à la Saint-Valentin, ce sont bien sûr, les roses rouges. Le rouge, c’est la couleur de l’amour, du désir, de la passion et des sentiments. Mais les amoureux peuvent, aussi, offrir des violettes parfumées qui symbolisent la tendresse.

« Certainement, les fleuristes et les hôtels 5 étoiles profitent des clients. Je me souviens qu’un hôtel, situé à Zamalek, achetait les 100 tiges de roses à 50 L.E. en 2015 et vendait les 10 à 1 000 L.E. et ce, parce qu’il mettait le nom de l’hôtel sur ses bouquets », raconte un des horticulteurs. Plus généralement, pendant les fêtes, les fleurs coûtent plus cher, voire le triple du prix habituel. Et comme les fleuristes s’approvisionnent en fleurs au même moment que les clients en achètent, ceci fait flamber les prix. « Pendant l’été, une tige de fleur est vendue à 25 piastres en prix de gros. Tandis que pendant la saison hivernale, son prix varie entre 1 et 1,30 L.E. et elle est vendue chez les fleuristes et boutiques de fleurs à 5 L.E. Mais ce prix peut tripler ou quadrupler durant les fêtes: 10 L.E. au prix de gros et en détail à 25 L.E. pour une seule tige », précise hadj Hosni Hussein, propriétaire d’une ferme de 9 feddans. Cette variation des prix durant les périodes de fêtes est liée à l’offre et la demande. Chaque phase de la production coûte plus cher en raison du volume important des roses nécessaires pour cette journée. « Au cours des fêtes, nous avons besoin d’une main-d’oeuvre temporaire supplémentaire pour aider le personnel permanent à récolter, traiter et emballer les roses. Cela engendre inévitablement des frais plus élevés, puisque les producteurs doivent payer les heures supplémentaire à leurs employés car la charge de travail est importante », poursuit-il.

Au temple des senteurs et des couleurs
La beauté des fleurs annonce l’avènement du printemps. (Photo : Hassan Ammar et Mohamad Châalane)

En général, ce métier est très rentable. Au sein du village des fleurs, les producteurs ont réussi à couvrir la demande locale et même à exporter avec des prix compétitifs. « Aujourd’hui, le marché s’étend à l’exportation vers plusieurs pays du monde, notamment l’Arabie saoudite, premier importateur de fleurs d’Egypte, suivie de Dubaï, des Emirats arabes unis et du Koweït », note hadj Abdel-Aal, premier exportateur au village. Ce dernier rêve de voir la production égyptienne en fleurs à la hauteur de celle de Hollande, pionnière en matière de culture et production de fleurs. Et pourquoi pas puisque le jardinage et l’amour des fleurs datent de l’Egypte Ancienne. Les monuments pharaoniques étaient décorés de motifs de fleurs qui reflètent l’importance des fleurs chez les Anciens Egyptiens. Dans les jardins des temples et palais pharaoniques, ils cultivaient des plantes exotiques. Le lin était utilisé pour la fabrication des bandelettes qui entourent les momies. Le roseau était très employé dans l’Egypte pharaonique. On en faisait des nattes, des flèches, des treillages. Les fleurs étaient utilisées dans la fabrication des guirlandes mortuaires (comme pour celle de Ramsès II). Les fleurs étaient toujours utilisées pour la décoration des maisons et servaient même dans les coiffures des femmes.

Reste à savoir comment s’en occuper une fois dans un vase. Un des horticulteurs en parle en donnant quelques astuces de grands-mères: « A la maison, les fleurs demandent une attention particulière: si on veut garder le bouquet lumineux et frais plus d’une semaine, il faut couper les tiges en biseaux, changer l’eau régulièrement et l’éloigner de toutes sources de chaleur car cela va réduire considérablement sa durée de vie. Et pour une plus longue conservation, ajoutez de l’aspirine, plongez une pièce en cuivre dans l’eau ou un morceau de sucre ».

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