C’est àla fin de cette troisième semaine du mois d’avril qu’est célébrée la fête de Pâques cette année. Pendant les jours précédant la fête, une atmosphère de gaitérègne au sein des familles chrétiennes d’Egypte, qui s’y préparent et se réjouissent de se rendre àl’église pour assister aux messes, d’acheter de nouveaux vêtements et de faire le plein des produits nécessaires àla préparation de délicieux repas, bien mérités après 55 jours de jeûne. Un jour avant le dimanche des Rameaux, les vendeurs de feuilles de palmiers s’installent par dizaines autour des églises. Ils proposent des feuilles de palmes tressées en forme de croix ou autres, que les fidèles achètent pour décorer leurs maisons. L’arbre est symbole de la prospéritéet rappelle le jour oùles habitants de Jérusalem ont accueilli Jésus avec des feuilles de palmiers.
Le lendemain, les rideaux rouges des églises sont remplacés par des rideaux sombres pour renforcer l’état de mélancolie qui accompagne les prières et l’état de ferveur des chrétiens, dont certaines des plus âgées insistent même sur le fait de porter du noir en se rendant àl’église pendant la semaine sainte. La veille de la fête, la joie règne de nouveau et les fidèles se rendent dans les églises pour prier. En rentrant chez eux, après minuit, un bon repas les attend. Des mets savoureux sont également préparés le lendemain, le dimanche de Pâques, jour oùles gens, tirés àquatre épingles dans leurs nouveaux vêtements, rendent visite àleurs parents et amis.
Ces préparatifs, qui se répètent chaque année avant Pâques, la plus grande fête des chrétiens, n’ont pas lieu cette année en raison de l’épidémie de Covid-19, qui oblige tout le monde au confinement. Les activités paroissiales de la semaine sainte et de la fête de Pâques elle-même ont étésuspendues. Les fidèles sont donc obligés de passer ces jours saints loin des églises et des rassemblements et de se contenter d’une cérémonie religieuse en famille, afin de respecter les règles du confinement.
«Je ne pense plus à la fête à cause de cette crise sanitaire que vivent l’Egypte et plusieurs pays du monde. L’humanité souffre et cela me donne envie de passer ces jours sacrés à prier », dit Névine Wahba, 48 ans, femme au foyer. Elle et sa famille éprouvent du chagrin face àl’impossibilitéd’aller prier àl’église et de se réunir avec leurs proches. Ils passeront la fête àprier et ont donc annulétoute forme de célébration : pas de nouveaux vêtements ni de préparation de mets copieux. «On ne peut pas ignorer la réalité et personne ne sait quand ce cauchemar va se terminer. Il faut éviter de dépenser trop d’argent, car on ne sait pas de quoi demain sera fait », estime Névine, tout en ajoutant qu’elle passera la journée àprier avec sa famille en essayant d’oublier que c’est un jour de fête.
Messes diffusées en ligne
Ce qui augmente le sentiment de tristesse chez les chrétiens, c’est que quelques jours après le début de l’annonce des premiers cas d’infection au Covid-19 en Egypte, les églises ont annuléles messes, baptêmes, mariages et funérailles pour éviter les rassemblements et la contagion. Depuis, les messes sont diffusées sur les réseaux sociaux et les chaînes satellites chrétiennes. Les églises ont ferméleurs portes, mais, comme l’explique père Rafik Greich, «elles accueillent les fidèles pour des prières individuelles et trois ou quatre prêtres pour célébrer la messe et la diffuser en direct pour que les gens aient le sentiment d’y participer ».
Il affirme que c’est sous cette forme que seront diffusées les messes ainsi que d’autres célébrations, afin que les fidèles puissent les suivre àl’écran chez eux. Hymnes, chants, prières ou lectures sont diffusés dans toutes les maisons chrétiennes, àtravers la télévision ou via Internet. Car chacun veut ressentir l’atmosphère religieuse et spirituelle de ces jours saints. Pour renforcer cette dernière, certains ont réaménagéun coin de leur maison, y installant une petite table recouverte d’une nappe noire sur laquelle sont placées la Bible et des bougies, avec au-dessus la photo du Christ et de la croix. C’est l’espace réservéàla prière et il n’a pas besoin d’être grand, juste dédiéàcela.
Les fidèles suivent les conseils de l’église, que la communautéreçoit àtravers des messages sur leurs téléphones portables. Ces messages renferment le nom des sites utiles et des chaînes ainsi que les horaires des programmes. «C’est le meilleur moyen pour être unis ensemble et atténuer l’isolement en cette période critique », dit Magued Eskandar, àla retraite. Il avait l’espoir que le cauchemar se terminera avant la fête, mais a fini par se résigner face àla gravitéde la situation. Il ajoute que Dieu est partout ; alors pour lui, qu’on prie àla maison ou àl’église, on va être entendu. «L’important pour moi est de voir le miracle du Feu sacré le samedi saint. Ainsi, je pourrai ressentir l’atmosphère de fête et m’assurer que Dieu n’est pas fâché contre nous », dit Magued, qui ajoute que malgrétout, il ne veut pas se priver de mets délicieux. Il est d’ailleurs en train de composer le menu avec sa femme : des feuilles de vignes farcies et de la viande rôtie.
Normalement, durant la période qui précède Pâques, les gens se bousculent dans les magasins, et les rues sont encombrées àcause des préparations àla fête. Cette année, la fête arrive sans faire de bruit. Un silence imposépar la gravitéde l’épidémie. «On a reçu des instructions de l’église nous déconseillant de nous rendre chez les coiffeurs, de recevoir les femmes de ménage à la maison ou d’acheter de nouveaux vêtements. Car tout cela nous expose au danger de la contamination », révèle Nancy Aref, enseignante dans la trentaine. Elle est triste de ne pas pouvoir faire plaisir àses enfants comme chaque année en leur achetant de nouveaux vêtements et en allant rendre visite àla famille et aux amies.
Une « nouvelle résurrection »
Toutefois, elle essaie de lutter contre la tristesse avec quelques astuces, notamment grâce àdes sites oùdes fidèles proposent de préparer des plats sur commande pour les gens qui n’ont pas la possibilitéde le faire ou sont trop fatigués. Elle suit aussi les prières diffusées par les prêtres qui les répètent sans cesse en guise d’espoir en ce temps de troubles et d’angoisse. Son mari, ses enfants et elle ne manquent pas de suivre les réunions diffusées par les églises tous les vendredis. Des réunions qui sont consacrées aux jeunes, pour qui on organise des concours.
«Quant aux retrouvailles avec la famille, qui donnent à la fête son charme, on les crée à travers les appels vidéo », dit Nancy, qui ajoute que la tenue de la fête est le pyjama cette année. Chacun cherche donc às’adapter et àtrouver ses astuces pour passer cette période difficile, car même les personnes qui ne vont pas souvent àl’église en cours d’année aiment s’y rendre durant la semaine de Pâques, comme l’affirme le diacre Samuel Guirguis. Il dit que la Passion et la Résurrection sont les deux facettes du mystère unique de la mort et de la vie. Et cela ressemble àce qui se passe actuellement.
«Alors on peut considérer cette situation comme une nouvelle résurrection, que l’on vit à tous les niveaux », explique le diacre, qui reste avec sa famille tout le long de cette période. Il passe les après-midi de la semaine sainte avec sa femme et ses enfants àjouer de la musique et àrépéter les hymnes et les prières dans un coin de la salle àmanger. «Cette fête, nous ne la passons pas avec Dieu dans sa maison, mais c’est Dieu qui la passe avec nous dans nos maisons », conclut Samuel Guirguis .
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