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Le Slow Food: Quand manger redevient un plaisir

Chahinaz Gheith, Lundi, 20 janvier 2020

Slow Food vs. fast-food. Manger « bon, propre et juste », tel est le slogan de Slow Food, un mouvement qui s’est développé en réaction à la malbouffe. Préserver le patri­moine culinaire local, sauvegarder les tradi­tions gastronomiques et favoriser la qualité, autant de pistes pour redécouvrir les plaisirs de la table.

Le Slow Food  : Quand manger redevient un plaisir

Manger un fruit mûr, en apprécier le goût exquis et s’en délec­ter... Cela paraît-il simple? Et pourtant, combien de personnes avalent-ils des sandwichs fades à table, en marchant, en tra­vaillant ou même en lisant leurs mails... ?

Après avoir conquis l’Amé­rique du Nord dans les années 1960, le fast-food a gagné du terrain le monde entier et a sus­cité une grande excitation dans la culture populaire. Pizzas, hamburgers, frites, nuggets, milk-shakes, boissons gazeuses et bien plus, des produits qui appartiennent typiquement au concept. En réalité, cette ten­dance à l’alimentation express s’est inscrite dans un boulever­sement des modes de vie, accès sur le gain de temps, tout en réduisant les moments de vie de famille et en oubliant le goût de certains aliments. Pire encore, de mauvaises habitudes alimen­taires, principalement générées par la restauration rapide et les aliments issus des multinatio­nales, sont responsables non seulement de l’obésité, mais aussi de 40% des cas de cancer. Et ce, selon les statistiques de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui démontrent l’urgence de trouver une solu­tion à ce problème de société.

Quand 80% des cas de cancer du côlon sont provoqués par l’ingestion de malbouffe, il n’est pas surprenant de voir se mettre en place un contre-phénomène, témoin des anomalies de notre monde trop pressé. Autrement dit, cette tendance, appelée « Slow Food », est venue pour encourager l’alimentation saine, le plaisir de la table et un rythme de vie « slow », à savoir tran­quille, une philosophie contraire à l’esprit fast-food. D’où l’escar­got comme emblème de ce mou­vement. « Manger est devenu aujourd’hui compliqué, pas seu­lement en raison du manque de temps, mais aussi parce que nous ne savons plus quoi man­ger, du poulet aux hormones, du poisson aux métaux lourds en passant par la salade aux pesti­cides... Nous sommes tellement focalisés sur tous ces problèmes que nous en avons oublié le sens et le plaisir de manger, d’appré­cier les goûts des aliments », explique Ménar Meebed, repré­sentante du mouvement Slow Food en Egypte, tout en ajoutant que ce nouveau mouvement est apparu pour remettre l’alimenta­tion au coeur d’un mode de vie sain, pour le corps, l’esprit et la nature, et ce, en prenant le temps de choisir de bons produits, de les cuisiner et de les savourer. « Après tout, nous sommes ce que nous mangeons », poursuit-elle.

Ce mouvement mondial a débuté en Italie en 1986. Il a été lancé par Carlo Petrini, un cri­tique gastronomique, en réaction au fast-food et à la standardisa­tion de l’alimentation.Aujourd’hui, le Slow Food regroupe 100000 membres dans 160 pays. Il défend la vision d’un monde où tout un chacun peut avoir accès à des aliments bénéfiques pour ceux qui les consomment, ceux qui les pro­duisent, mais aussi pour l’envi­ronnement. Il rassemble plus d’un million de militants, des cuisiniers, des experts, des jeunes, des agriculteurs, des pêcheurs et des universitaires. Slow Food a pour objectif d’em­pêcher la disparition des cultures

des traditions alimentaires locales et d’attirer l’attention des gens sur l’origine de leur nourri­ture.

Trois principes

Bon, propre, juste: trois mots-clés représentant les fondements du Slow Food. Bons: c’est-à-dire des aliments savoureux, gas­tronomiques, variés et parfois presque oubliés. Propres: sans produits chimiques, afin de pré­server l’environnement. Justes : produits pour lesquels les pro­ducteurs ont été rémunérés équi­tablement. « Pourquoi donc manger de la nourriture de mau­vaise qualité? Adopter le Slow Food, ce n’est pas une question d’argent, mais de culture et de décision », affirme Ménar Meebed. Selon elle, l’Egypte tente aujourd’hui de jouer un rôle dans le réseau de Slow Food.

A noter que les activités de Slow Food en Egypte ont débuté en 2013 et qu’il existe 22 membres participant activement aux initiatives. Sur le continent africain, l’agriculture à petite échelle occupe une place essen­tielle, mais elle est souvent menacée par les grandes produc­tions de masse, qui mettent en danger l’environnement, la bio­diversité et la culture locale. Les apports de Slow Food en ce qui concerne la sauvegarde et la pro­motion des produits traditionnels de qualité prennent de plus en plus d’importance dans la straté­gie de soutien aux petits produc­teurs, notamment avec le nou­veau projet de Slow Food. « Mille jardins en Afrique ». « Notre but est de créer en Egypte au moins 50 jardins, mais ce n’est pas un projet isolé, toutes les initiatives du Slow Food vont dans la direction de développer l’éducation du goût à partir des écoles, où le jardin sera complémentaire aux initia­tives d’éducation alimentaire. Notamment qu’en Egypte, l’obé­sité dans l’âge scolaire est un grand problème. Les jeunes doi­vent apprendre le lien direct entre la terre et le plat, le jardin scolaire est un projet à haute valeur éducative. Mais les jar­dins du Slow Food peuvent aussi être au service de la commu­nauté, faciliter la subsistance alimentaire, donner des produits frais dans les milieux sociaux où la nourriture de qualité est trop chère, faire redécouvrir les tra­ditions gastronomiques et recréer aussi une socialité conviviale souvent abandon­née », souligne-t-elle, tout en ajoutant que pour mettre en pra­tique sa philosophie, Slow Food a créé l’Arche du Goût, la Sentinelle et le Convivium. Le premier sert à cataloguer les ali­ments traditionnels menacés de disparition. La Sentinelle, elle, travaille à développer le marché des aliments en voie d’extinction en stabilisant des techniques de production. Pour ce qui est du Convivium, les adhérents éta­blissent des relations avec les producteurs, mènent des cam­pagnes pour protéger les pro­duits alimentaires traditionnels, en organisant des dégustations et des ateliers et en incitant les chefs cuisiniers à utiliser des produits locaux.

Ressusciter le patrimoine

Le Slow Food  : Quand manger redevient un plaisir
Poulet Bigawi, une race ancienne aujourd’hui en voie d’extinction.

Parmi ces initiatives, on peut citer la Sentinelle ou « le presi­dia » du Dr Adel Abdel-Salam, ce professeur du Centre des recherches agricoles engagé dans le Slow Food depuis main­tenant 5 ans. C’est exactement au gouvernorat du Fayoum qu’il continue son travail de défense et de valorisation de la biodiver­sité alimentaire à travers les poulets Bigawi. Peut-être le nom de Bigawi ne dit rien à plusieurs. Et pourtant, il s’agit d’une race de poulet qui est en train de dis­paraître. Elevé traditionnelle­ment par les femmes dans leurs arrière-cours au Fayoum, ce poulet tire son nom « Bigawi » du peuple du sud de l’Egypte, connu pour son expérience en matière d’élevage. C’est une race rurale indigène, avec des plumes blanches argentées sur la tête, qui deviennent progressive­ment bleues ou noires par taches jusqu’à devenir complètement foncées sur les pattes et la queue. Les poulets sont appré­ciés à la fois pour leur viande brune et avec une saveur simi­laire à la dinde, ainsi que leurs oeufs plus petits que ceux des autres races, mais particulière­ment savoureux. Or, ce n’est pas simplement le goût si particulier de cette poule qui mobilise Dr Abdel-Salam. « On ne peut pas laisser s’éteindre des races. Je trouve dommage de laisser gagner la standardisation de la génétique, cela signifie la perte d’un patrimoine qui a aussi une valeur », affirme-t-il.

Dans le village de Ezbet Al-Gabal à Tamaya, au Fayoum, Noura Khaled, une femme for­mée par le Dr Abdel-Salam sur la prise en charge de ces poulets spéciaux, possède aujourd’hui une entreprise comprenant plu­sieurs poulaillers et un incuba­teur pouvant renfermer jusqu’à 600 oeufs. Quant à Réhab Adel dans le village de Mandara, cette jeune veuve a utilisé le toit de sa maison pour élever les poulets avec les canards et l’oie égyptienne rare qui, comme le poulet Bigawi, est une autre race menacée d’extinction. Noura et Réhab dirigent des entreprises prospères, vendent des oeufs, des poussins et des poulets aux vil­lageois, et font connaître les avantages des poulets élevés selon les directives du Slow Food. Deux exemples de la sau­vegarde des races locales avi­coles que le Dr Abdel-Salam travaille à les reproduire dans d’autres villages à travers l’Egypte.

Et bien que le Slow Food ait beaucoup contribué à la promo­tion des poulets Bigawi, qui est devenu une Sentinelle, cette col­laboration a été étendue à d’autres produits de terroir comme les dattes de Siwa, le riz complet des Oasis, les figues de Marsa Matrouh, les raisins de Sidi-Barrani, le miel et les herbes médicinales de Sainte-Cathérine, etc. Des produits du terroir qui se trouvent dans Eish & Malh, un restaurant du centre-ville, dont les propriétaires sont membres de Slow Food Egypt. Ces der­niers tiennent à faire une exposi­tion le premier vendredi de chaque mois pour soutenir les vendeurs artisanaux du Slow Food et leurs produits et pour aider à promouvoir une produc­tion alimentaire locale, durable, en équilibre avec notre environ­nement et respectueuse des savoirs transmis de génération en génération. « C’est en faisant la promotion de mes tomates séchées que je parviens à trans­mettre l’essence de notre patri­moine culinaire », affirme Mahmoud Taha, PDG d’une société d’agriculture environne­mentale et l’un des producteurs qui tiennent à exposer leurs pro­duits au restaurant Eish & Malh. Il confie que son entreprise a réussi à améliorer les conditions de vie des villageoises de Louqsor en pratiquant la culture et le séchage pour desservir des marchés haut de gamme et d’ex­portation.

Et encourager les produits locaux

Le Slow Food  : Quand manger redevient un plaisir
Oum Abdallah est en train de vendre du fromage « qarich  ». (Photo:Mohamad Adel)

Un avis partagé par la repré­sentante du Slow Food en Egypte qui pense que les villa­geoises améliorent ainsi leurs pratiques d’une agriculture propre, ont accès à de nouveaux marchés et sont directement en relation avec des exportateurs. Ce circuit avec moins d’inter­médiaires leur offre de meilleures conditions écono­miques. « Il faut encourager les bonnes initiatives et soutenir tous ces gens qui travaillent péniblement sans se servir de pesticides ou de conservateurs. Il faut mettre leurs produits en valeur, il faut les présenter par­tout dans le monde et il faut que ces aliments soient connus et se vendent », déclare Ménar Meebed.

Cependant, il faut reconnaître que le Slow Food dépasse le cadre de l’ONG, et sème des graines un peu partout sans que l’on s’en aperçoive. De nou­veaux commerces émergent avec l’idée du retour à la nature, mais sans se revendiquer comme tel. C’est le cas de certains res­taurants qui proposent des menus équilibrés à base de pro­duits frais et souvent issus de l’agriculture locale ou bio. « Il faut défendre l’héritage culi­naire égyptien qui, par ses 7000 ans d’histoire, a subi de nom­breux changements pour deve­nir un véritable melting-pot. Aujourd’hui, le goût de la nour­riture authentique est en voie de disparition. Commencez par comparer le goût d’une molo­khiya de votre grand-mère à celui d’aujourd’hui en conserve. Rien à voir, n’est-ce pas ? Comment intégrer le premier dans son assiette? Avant même d’allumer la cuisinière, il fau­drait prendre conscience de la richesse que nous procure cette terre sur laquelle on piétine. Il est primordial de reconnaître les produits locaux à leur juste valeur et de s’instruire grâce aux idées que prône la philoso­phie du Slow Food, parce que chaque bouchée est un nouvel apprentissage de la cuisine », explique Mossaad Walid, gérant d’un restaurant situé au quartier de Maadi qui prône la cuisine lente. Il essaie de créer des ersatz de « junk food » mais en sain, des cheese-cakes et des cookies végétariens à base de produits frais.

Des consommateurs co-producteurs

Le Slow Food  : Quand manger redevient un plaisir
L’avenir est à la bouffe saine.

Quant à Mona Al-Sabbahi, cuisinière et membre de l’Asso­ciation des chefs égyptiens, elle souhaite défendre plusieurs pro­duits en voie de disparition, comme le pourpier et la mauve comme le font d’ailleurs les Italiens avec leur mozzarelle ou les Français qui luttent pour pré­server les méthodes tradition­nelles de préparation de certains aliments. Elle s’attache à redé­couvrir les potentiels des ali­ments de saison dans des recettes surprenantes. Chez elle, vous pourrez retrouver un plat composé de queue de boeuf, de fromage, de cresson, le tout arrosé de sauce et mis entre deux biscuits ou encore des salades de saison mariant fruits et légumes.

Mais selon Al-Sabbahi, le tableau ne serait pas complet si l’on oubliait le consommateur. Car changer les pratiques ali­mentaires ne se fera effective­ment pas sans ceux qui sont impliqués dans l’histoire, à savoir les mangeurs. « Manger doit être un acte agricole, c’est-à-dire qu’on doit savoir d’où et comment proviennent les ali­ments que nous mettons dans notre bouche. Le plaisir se tra­duit par la connaissance des produits et de ce qu’il y a der­rière les produits. Ainsi, nous devenons des consommateurs co-producteurs, conscients que nos actes peuvent sauver une tradition, protéger un patri­moine qui risque de disparaître, aider de petits producteurs rémunérés à leur juste labeur », conclut Mona A-Sabbahi.

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