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Violences familiales : L’urgence d’agir

Dina Bakr, Mardi, 05 novembre 2019

La mort de la petite Ganna, 4 ans et demi, suite à des violences familiales, a secoué l’opinion publique. Un cas extrême mais pas isolé. Plusieurs organismes agissent activement pour protéger les enfants et surtout mettre fin à ces pratiques. Enquête.

Violences familiales : L’urgence d’agir
Les parents perpétuent inconsciemment les actes de violence subis durant leur enfance.

Il est déjà trop tard, lorsque la photo de la petite fille allongée sur un lit du service des soins intensifs à l’hôpital privé de Mansoura est publiée sur les réseaux sociaux. Inconsciente, Ganna Samir, âgée de quatre ans et demi, est sous respiration artificielle et ses chances de survie sont minimes.

La photo est accompagnée de propos acerbes et haineux réclamant une peine sévère pour la grand-mère maternelle, qui l’a torturée durant 6 mois, d’après le témoignage de ses enfants. Trois jours après les partages sur Facebook dénonçant cet acte inhumain, la petite fille meurt à la suite d’une septicémie.

Le rapport du médecin légiste mentionne que Ganna porte des plaies ouvertes et des brûlures sévères sur tout le corps, y compris les parties génitales, causées au moyen d’une barre de métal chauffée. Amani, 6 ans, sa soeur aînée, a, elle, été sauvée des mains de son bourreau. Des traces de coups et des brûlures du second degré sur tout le corps attestent de la violence vécue par la petite fille.

Présentée devant la justice pour répondre aux accusations de torture, la grand-mère explique avoir agi ainsi pour châtier ses petites-filles. Ces violences, ou plutôt ces actes barbares, sont régulièrement répétées sur Ganna, lorsqu’elle tente de fuguer ou a fait pipi au lit. Les deux soeurs connaissent parfois le même sort lorsque ensemble elles vont chercher dans le réfrigérateur une ration de plus à manger.

A ce jour, la grand-mère a été condamnée à 3 ans de prison pour avoir torturé l’aînée Amani. Achraf Yassine, l’avocat bénévole des 2 petites filles, a réclamé la peine de mort pour le meurtre de Ganna dont le procès aura lieu le 1er décembre. « Le problème est que dans la législation égyptienne la sanction pénale est de 3 à 7 ans de prison et peut parfois atteindre 15 ans pour les coups et blessures ayant entraîné la mort. Et c’est au juge de trancher », explique-t-il. Et d’ajouter : « Les médias et les réseaux sociaux ont eu un impact important sur l’opinion publique, et la peine de mort doit être appliquée pour dissuader quiconque de commettre des violences à l’encontre des enfants ». Il explique que les avocats de l’adversaire ont réussi à faire interner cette femme en hôpital psychiatrique, à Abbassiya, pour tester ses capacités mentales et avoir le temps de préparer la défense de la grand-mère.

Discuter et non violenter

D’après Dr Mohamed Al-Mahdi, psychologue à l’Université d’Al-Azhar, les différentes formes de violences reflètent principalement des troubles psychologiques. « En général, ce sont des violences subies dans l’enfance que les parents reportent sur leurs enfants », explique-t-il.

La violence physique est utilisée chez certaines familles qui vivent surtout dans les zones de grande pauvreté. Pour beaucoup de parents, le châtiment corporel est le principal moyen d’éducation. « Je travaille depuis 35 ans dans ces quartiers, pour faire changer l’état d’esprit des femmes car la violence dans ces régions est omniprésente. Il est normal qu’un homme batte sa femme, qu’une mère frappe son fils, lequel va ensuite avoir des comportements violents avec son frère ou sa soeur », décrit Imane Beibars, directrice de l’Association de l’émancipation et du développement de la femme. Elle explique que l’absence de discussion pour connaître l’origine des problèmes fait du châtiment corporel la réponse facile pour clore l’affaire. Elle se souvient d’une femme qui lui avait confié avoir ligoté les mains et les pieds de son fils âgé de 13 ans puis l’avoir suspendu au plafond, la tête en bas, car elle l’avait surpris en train de fumer. « Je suis tout de suite allée lui porter secours. Il était en état de choc et avait envie de vomir. Malheureusement, cette maman ne pensait pas que ce genre de punition pouvait entraîner la mort de son enfant », se souvient Imane Beibars.

Salah Yassine, directeur de la fondation Protection et surveillance sans limites, explique que la violence est due à l’absence du concept de paternité. « Certains parents ne savent que frapper leurs enfants. Ils croient bien faire en perpétuant les mêmes actes de violence subis durant leur enfance pour corriger leurs propres enfants. Ils n’ont pas l’impression de leur faire du mal », regrette-t-il. « On ne peut pas éduquer un enfant en recourant à la violence car cela peut influer sur des générations sans que personne se rende compte du problème », appuie-t-il.

La mort de Ganna rappelle malheureusement un autre fait divers qui a eu lieu en 2017. Le cas de deux soeurs qui vivaient à Marg, un quartier populaire au Caire, avec leur père et sa seconde femme. Celle-ci profitait de l’absence du père pour maltraiter Radwa, 10 ans et Fatma, 8 ans. « Lorsqu’elle constatait que le biberon de son bébé était trop chaud, elle jetait le liquide sur mon visage. Une autre fois, elle a failli me casser le bras et j’ai dû porter un plâtre pendant deux semaines suite à une entorse », raconte Radwa, dans une vidéo publiée sur YouTube. Les deux soeurs étaient dans un état de maigreur terrifiant. Ce cas de violence a été révélé le jour où la belle-mère a mis à la porte les deux filles de la maison. La première fois, elles sont revenues.

Mais la femme a fait croire au père qu’elles avaient fugué de la maison, ce qui n’était pas le cas. Furieux, le père les a violemment battues. La deuxième fois, elle leur a interdit de retourner à la maison. C’est une habitante du quartier qui a recueilli chez elle les deux enfants. « Ma fille m’a dit qu’en bas de l’immeuble, il y avait 2 jeunes filles en pyjama, terrifiées et l’air hagard. Je les ai accueillies chez moi en les rassurant. J’ai appelé la ligne verte qui m’a conseillé de me rendre à l’hôpital pour leur faire passer une consultation et avoir un rapport médical », relate Asmaa, femme au foyer, qui habite ce même quartier. Après l’enquête de police, la belle-mère violente a été emprisonnée. Mais Asmaa craint que les deux filles ne soient maintenant violentées par leur père et espère que le Conseil de l’enfance et de la maternité protégera de tels cas.

Des moyens de protection existent

En effet, le Conseil national de l’enfance et de la maternité et l’Unicef protègent les enfants de ces cas de violence. De janvier 2018 à juillet 2019, la ligne verte dépendant du Conseil national de l’enfance et de la maternité a enregistré 363 000 appels dont 26 932 venant d’enfants victimes de violence. « En 2019, 66 % des appels reçus sont des dépôts de plaintes pour violence familiale, mais on sait que beaucoup d’enfants n’osent pas téléphoner, donc ce taux est bien plus élevé en réalité », regrette Azza Achmawi, présidente du Conseil national de l’enfance et de la maternité. Elle ajoute que la violence familiale passe souvent sous silence, ce qui représente un défi pour le conseil chargé de défendre les droits de l’enfant. « A cet égard, on propose, lors des rencontres organisées dans les écoles, les clubs et dans des conférence, de porter plainte sur la ligne verte 16 000 qui existe déjà depuis 2005 afin de faciliter l’accès aux services juridiques et psychologiques pour les enfants traumatisés », précise Azza Achmawi.

Afkar Youssef, directrice de la Fondation égyptienne pour le développement des conditions des mineurs, souligne que son organisme contribue à la protection de l’enfant. « Notre équipe est constituée de 13 avocats très actifs qui interviennent dans les tribunaux dans 5 gouvernorats (Le Caire, Guiza, Alexandrie, Assiout et Charqiya). Chaque mois, depuis 2009, on traite environ 45 cas dans chaque gouvernorat. C’est vrai que l’équipe n’est pas grande, mais on s’occupe d’une bonne partie des cas de procès intentés dans les tribunaux », affirme Afkar Youssef.

D’après les experts de cette fondation, il est urgent de revoir la loi du Haq Al-Taëdib Al-Charéi (le droit à la correction légitime), l’article 7 de la loi de l’enfant numéro 12 datant de 1996. « La correction légitime peut entraîner un crime car la loi est floue et ne précise pas les méthodes à appliquer pour éduquer les enfants », déclare-t-elle. Elle ajoute qu’il n’y a pas de mécanisme juridique qui protège les enfants au sein de la famille.

Par ailleurs, Il existe aussi des comités de protection de l’enfant au sein des quartiers. Chaque comité est constitué d’un président de quartier, d’un représentant des ministères de l’Intérieur, de la Santé, de l’Education, de la Jeunesse et du Sport, d’Al-Azhar, de l’Eglise et de la société civile. Ces comités communiquent les informations nécessaires pour aider l’enfant à franchir l’étape vécue suite à des violences.

De plus, le Conseil national de l’enfance et de la maternité a lancé la troisième phase de la campagne nationale de la protection des enfants et la lutte contre la violence Awladna (nos enfants) portant le slogan Belhadawa Mech Bel Qassawa (doucement et pas cruellement) organisée en partenariat avec le ministère de l’Education, en collaboration avec l’Unicef et avec le financement de l’Union européenne. Au cours des trois dernières années, la campagne a ouvert le dossier de la violence à l’égard des enfants au sein de la maison. L’action met aussi l’accent sur une approche éducative alternative qui est la discipline positive : un concept éducatif ni laxiste ni autoritaire qui consiste à rechercher le juste milieu entre fermeté et bienveillance pour éduquer les enfants. « Le message d’Awladna est d’appliquer la discipline positive comme moteur de changement afin de prévenir les pratiques nuisibles à l’encontre des enfants. Ce concept de discipline positive n’est pas utilisé seulement pour se référer à la relation parent-enfant, mais aussi pour la relation personne-enfant. Foyers, écoles, clubs sont aussi les endroits ciblés dans la campagne », confie Bruno Maes, représentant de l’Unicef en Egypte.

Dernièrement, Al-Azhar a demandé aux conseils religieux d’inviter chaque partie à assumer sa responsabilité tout en rejetant toute forme de violence utilisée comme moyen d’éducation. L’islam appelle à garantir la sécurité de l’enfant au sein de sa famille. Al-Azhar a lancé une campagne qui porte le nom de la victime Ganna pour guider les parents à bien éduquer leurs enfants. « La responsabilité de l’éducation de l’enfant doit être répartie entre les membres de la famille et pas seulement les parents. Al-Azhar lance une campagne de sensibilisation auprès de diverses parties pour que chacune joue son rôle positivement. Il est nécessaire de se réunir avec les parents qui utilisent la violence au quotidien et leur présenter un soutien psychologique car cette violence risque de mettre en jeu la vie de l’enfant », conclut le cheikh Mahmoud Al-Hawari, membre au comité de la campagne Ganna.

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