Al-Ahram Hebdo : Parties de revendications économiques, les manifestations ont vite dégénéré et les manifestants se sont tournés contre la classe politique. Que signifie ce ras-le-bol ?
Dr Tareq Fahmi : Certes, l’origine du mouvement est économique, mais on ne peut pas séparer économie et politique. Les manifestants veulent un changement radical dans le système politique, ils réclament la fin de la corruption, mais ils veulent aussi limiter l’influence du Hezbolla. Surtout, nombreux sont les Libanais qui réclament un changement du système politique basé sur le confessionnalisme. Autrement dit, ils veulent une révision de l’accord de Taëf qui a mis fin à la guerre civile libanaise (1975-1990), un accord basé sur des critères communautaires et confessionnels. Et nombre de Libanais n'en veulent plus. Ils revendiquent un choix libre et démocrate pour les postes-clés du pays. Or, ceci est difficilement applicable car le communautarisme et le confessionnalisme régissent l’ensemble de la vie politique. Par exemple, le ministre de la Défense et son vice-ministre sont des chrétiens, ensuite le troisième poste est occupé par un musulman sunnite. Autre exemple, le ministre de l’Intérieur et son vice-ministre doivent être sunnites. Mais les chiites ne peuvent jamais occuper un poste ni à l’armée ni à la police.
— Les partis politiques tentent chacun de récupérer la crise, cela ne peut-il pas attiser les tensions ?
— La démission du gouvernement n’est pas une solution, au contraire, cela ne fera qu’aggraver la situation car le pays fera face à un vide politique et il sera encore une fois difficile de trouver une issue. La crise actuelle résulte notamment de la période de vide politique que le pays a vécu avant les élections de 2018. Ensuite, le premier ministre, Saad Hariri, a passé 8 mois pour pouvoir former son gouvernement. Mais ce dernier est faible. En fait, ce sont les intérêts particuliers et partisans qui prônent et non les intérêts généraux du pays. C’est cela la vraie crise. Et la vraie menace, c’est le vide politique. Déjà, la démission des ministres du parti des Forces Libanaises (FL) de Samir Geagea complique la situation et embarrasse les autres membres du gouvernement. C’est facile de démissionner mais c’est le pays qui payera le prix.
— Et quels sont les possibles scénarios dans la période à venir ?
— D’abord, Saad Hariri a présenté une liste de réformes économiques et politiques, il faut lui donner du temps et les ministres doivent l’aider pour les réaliser. Le Hezbollah, qui refuse la démission d’un gouvernement qui lui garantit ses intérêts, fera tout son possible pour le maintenir, et ce, en soutenant Hariri. Il est aussi possible que le mouvement baisse d’intensité comme ce qui s’est passé en Iraq ou en Algérie. La communauté internationale peut aussi exercer une pression sur les différents partis.
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