Vendredi au petit matin, dès 6h, commence la vente aux enchères de chameaux de Birqach, située à environ 35 km au nord-ouest du Caire, sur une superficie de 25 feddans de terre désertique. Dans la ville de Birqach se trouve le plus grand marché en son genre en Egypte et le plus important au monde arabe et en Afrique. Des milliers de camélidés de différents genres, espèces et âges s’agitent. Des troupeaux de dromadaires, de toutes les tailles grande, moyenne et petite, marchent instinctivement les uns derrière les autres. Ils mesurent de 1,80 m à 2,10 m de hauteur, 2,20 m à 3,40 m de long et pèsent entre 450 et 650 kg. Les troupeaux sont introduits dans le marché à travers un grand portail en fer forgé. Des enchérisseurs, principalement des bouchers ou des collectionneurs, mais aussi des commerçants de chameaux viennent de tous les coins de l’Egypte. Certains viennent aussi de pays arabes ou africains. Ils viennent de loin pour former leurs troupeaux ici. Des millions de livres égyptiennes passent de main à main avant midi à Souk Al-Guémal. Ici, les enchères se font à la criée pendant la journée. Au début de la vente, le chameau est installé au centre d’un cercle de clients, puis le vendeur ouvre les enchères en annonçant le prix qu’il souhaite retirer.
Aujourd’hui, la scène commence par la vente aux enchères d’un troupeau de 15 dromadaires. Leur propriétaire annonce le prix de 19000 L.E. pour chaque bête. Un acheteur originaire de Qéna, en Haute-Egypte, accourt pour prendre part aux négociations concernant cet animal de pure race somalienne, il hausse la voix en disant: « Je le prends à 22000 L.E. ». Un autre commerçant lève la main et dit: « Je paie 25000 L.E. ». Tout le monde se tait. Un moment de silence et le propriétaire annonce la vente adjugée pour 25000 L.E. Après avoir examiné les chameaux avec attention, vendeurs et acheteurs s’assoient à même le sol et engagent une discussion qui se termine parfois par un accord, symbolisé par une simple poignée de main. Sur le marché, les discussions vont bon train. La vente se base sur la confiance, sans contrat. Celui qui achète les chameaux repart avec ses bêtes et ne les paie parfois que plusieurs mois plus tard. Et dès qu’une enchère est conclue, le dromadaire est parqué dans un lieu à part, il est marqué sur le côté de sa bosse et il monte à l’arrière d’un camion avec les autres bêtes. A ce moment-là, il est courant de voir les dromadaires se débattre. La scène la plus touchante est de voir des bêtes pleurer quand elles sont
séparées de leurs troupeaux. En fin de journée, une dizaine de camions sortent l’un après l’autre par le portail du marché.
Un long parcours
Le premier marché aux chameaux avait été installé en 1919 dans la région de Baraguil.
(Photo : Mohamad Adel)
A Souk Al-Guémal, les bêtes viennent du Soudan, de Somalie, de Libye et du Maroc. Les troupeaux soudanais et somaliens parcourent des milliers de kilomètres avant d’arriver en Egypte. Que ce soit en navire ou à pied, le trajet est long, difficile, et seules les bêtes les plus robustes arrivent jusqu’à la capitale. Un voyage difficile. En été, un chameau coûte plus cher, car le trajet sous le soleil est particulièrement pénible. Pendant le trajet, les vendeurs guident les dromadaires à coups de bâton « sinon l’animal fait ce qu’il veut », explique Fahmi Fawzy, un vendeur de chameaux originaire de Daraw, un village de la province d’Assouan lui aussi réputé pour son marché aux chameaux. Il a parcouru plus de 800 kilomètres pour vendre son troupeau de chameaux sur le marché de Birqach. Entre 20000 et 30000 chameaux ou dromadaires sont vendus chaque mois au souk. « 90% des bêtes sont exportées du Soudan, tandis que le reste vient de Somalie, d’Ethiopie, du Maroc et de Libye », dit hadj Abou-Shanab Al-Geneiny, chef et responsable du marché aux chameaux.
A Birqach, il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. La concurrence est acharnée. Le prix d’un jeune chameau originaire du Soudan, âgé entre 4 et 9 ans, varie entre 7000 et 10000 L.E., en fonction de son physique. Les dromadaires adultes sont vendus entre 11000 et 21000 L.E. La majorité des dromadaires vendus sur ce marché est destinée à la consommation alimentaire. L’animal est avant tout recherché pour sa viande, surtout lors de l’Aïd El-Adha (Grand Baïram).
Le marché aux chameaux en Egypte a été dans un premier temps construit en 1919 dans la région de Baraguil, situé au quartier d’Imbaba, dans la banlieue ouest du Caire. Mais l’Etat a estimé la nécessité de le déplacer à Birqach en 1995, pour des questions à la fois d’espace et de salubrité publique.
Une viande bon marché
La viande de chameau est réputée pour sa bonne qualité, similaire à la viande d’autruche et de boeuf.
(Photo : Mohamad Adel)
Généralement, 150000 personnes assistent au marché du vendredi, le plus important. Tout au long de l’année, le marché se fait deux fois par semaine, le vendredi et le dimanche, mais avant le Grand Baïram, il devient quotidien et l’affluence peut doubler. Or, cette année, un grand nombre de musulmans ont préféré sacrifier un chameau ou un dromadaire parce que le prix d’un kilo de viande de chameau ne dépasse pas les 40 L.E., tandis que le kilo de viande de boeuf ou de mouton dépasse les 170 L.E. Les dromadaires blancs, prisés pour leur fourrure plus claire, ont beaucoup plus de valeur. Sans aucun doute, la viande de chameau est réputée pour la qualité, tout comme la viande d’autruche et de boeuf, tandis que la viande d’un jeune dromadaire est comparée à celle du mouton.
« Depuis des années, le prix de la nourriture augmente remarquablement en Egypte, alors que les salaires stagnent. En conséquence, de nombreux foyers ont du mal à bien se nourrir », se justifie Abdel-Qader, boucher, qui fait un très long trajet, depuis le gouvernorat de Ménoufiya. « Seuls les pauvres mangent la viande de chameau, les personnes les plus aisées préférant le boeuf. Moi, en tant que boucher, je n’ose jamais vendre du boeuf et du dromadaire en même temps, dans le même magasin. Si je le fais, je serai accusé de mélanger les viandes et de tricher les clients », poursuit-il en préparant quelques kilos de viande de chameau pour un client. Il prend la viande et se dirige vers un restaurant très modeste qui se trouve en face du marché et demande au cuisinier de lui préparer du kebab, en lui ajoutant des légumes frais. « C’est très bon et copieux. Ça ressemble à du boeuf, mais avec un léger goût, un peu comme de l’autruche mais à un prix raisonnable », commente-t-il.
En fait, le marché aux chameaux de Birqach joue un rôle très important dans l’économie du pays, car la viande des camélidés est la viande rouge la moins chère en Egypte et constitue même une option plus saine que le boeuf. Il est à noter qu’au début des années 2000, les clients préféraient acheter les camélidés car la grippe aviaire, porcine et le virus Ebola suscitaient une grande inquiétude, alors, la vente de la viande des camélidés avait connu depuis une grande prospérité.
« Les chameaux qui sont amenés des villes soudanaises Limrat et Al-Obeid sont considérés comme les meilleurs en ce qui concerne la qualité de la viande. En effet, ils sont bien nourris, à partir d’une végétation épineuse, de brindilles et de feuilles séchées », assure Am Abdallah, vendeur, venant d’Abou-Simbel, au sud de l’Egypte. Il poursuit: « Le coût de transport d’un seul chameau entre Abou-Simbel et Birqach s’élève à plus de 2500 L.E. ».
Tout au long de cette vente aux enchères, les chameliers provoquent les bêtes par de petits coups de bâton sur leurs organes génitaux ou la tête ou en fouettant leur dos. « D’après des croyances locales, plus le chameau se montre résistant et vif, plus il est fort et jeune, et par conséquent, meilleure sera sa viande », raconte un des vendeurs qui vient du Soudan pour vendre 40 chameaux et dromadaires.
Un bémol
Des milliers de chameaux de différents genres, espèces et âges sont présents sur le marché.
(Photo : Mohamad Adel)
Souk Al-Guémal pourrait être donc qualifié de véritable cauchemar pour les militants qui défendent les droits des animaux. La maltraitance de ces bêtes soulève depuis quelques mois un tollé dans les journaux et sur la toile électronique. La majorité des chameliers traitent les chameaux d’une manière brutale. « Les chameaux de Somalie sont sauvages, ils doivent être frappés parce qu’ils sont forts, mais les chameaux égyptiens et soudanais ne supportent pas d’être frappés. Il est impossible de jeter une selle sur le dos d’un chameau somalien. Mais un chameau égyptien peut être domestiqué, il est possible d’installer une selle sur son dos et de le soumettre. Les chameaux somaliens sont élevés dans le désert, mais les chameaux égyptiens grandissent dans des fermes, ils se laissent donc plus facilement dompter », répond Sayed Abdel-Hafiz, chamelier originaire de Farchout, interrogé sur la manière dont les animaux devraient être traités. Généralement, les vendeurs guident les dromadaires en les attachant par groupe de trois ou quatre. Lorsqu’un chamelier les bat pour les faire avancer, certains tentent de s’échapper. Les plus récalcitrants se font frapper à coups de canne à sucre, parfois jusqu’à la mort.
« Danse! Danse! », ordonne un jeune garçon en frappant un des dromadaires. La bête a hurlé de douleur et s’est mise à courir de gauche à droite jusqu’à se retrouver face à un mur. Le père du garçon explique qu’ils doivent frapper les bêtes pour que les enchérisseurs puissent les examiner sous toutes les formes. « Mais en réalité, tout ce qui compte, c’est leur dentition », affirme-il, en disant qu’il suffit de vérifier les dents d’un dromadaire pour savoir s’il est en bonne santé ou non .
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