En franchissant le seuil de l’hôpital de charité Al-Sanabel, situé dans le quartier populaire de Hadaëq Al-Qobba, le visiteur découvre un petit jardin verdoyant. Il est entouré d’une clôture sur laquelle sont suspendues des pancartes affichant le slogan « Izrae Chagara » (plante un arbre). Un grand contraste avec les tas de détritus qui jonchent les rues menant à l’hôpital, où un chien baladi se lèche les babines. Rassasié, il s’éloigne, laissant la place à une bande de chats errants. Il faut traverser toute la cour de l’hôpital pour arriver au siège de l’association Izrae Chagara, qui occupe une superficie d’un feddan. Quant à l’hôpital Al-Sanabel, il est construit sur 37 feddans. Divers parfums émanant de pots de plantes, d’herbes aromatiques telles que le romarin, le basilic, la menthe et autres, à usage médical, embaument l’air.
Dans un coin à l’entrée du jardin se trouvent des bacs remplis de boue noire. En regardant de plus près, on y découvre une grande quantité de petits vers : « Ce sont des vers de compost, qui transforment les déchets organiques en engrais, qu’on utilise ensuite pour fertiliser le jardin et cultiver toutes ces plantes », explique Nabil Mahrous, fondateur de l’association Izrae Chagara. Sur la clôture et les colonnes de soutènement sont suspendus des demi-pneus, à l’intérieur desquels sont plantées des fleurs de toutes espèces et couleurs. On voit aussi de grands tuyaux de canalisation contenant des plantes de diverses espèces. Ce sont des tuyaux utilisés pour l’hydro-botanique.
L’emblème de l’association est le morlingue, un arbre connu en Haute-Egypte sous le nom d’« arbre de vie », planté partout dans le jardin en raison de ses bienfaits pour la santé. « Notre jardin est un complexe qui regroupe toutes les recettes d’un bon écosystème. Allant du recyclage des déchets solides et organiques à l’agriculture hydro-botanique. Il sert aussi de centre pour promouvoir la conscience environnementale et sensibiliser les habitants du quartier à respecter la nature », poursuit le fondateur, passionné par la protection de l’environnement et ayant déployé de grands efforts pour transformer ce terrain jonché d’ordures en un complexe écologique.
Le morlingue est une plante essentielle dans ce jardin.
(Photo: Mohamad Hassanein)
« Lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai commencé à réfléchir pour trouver des moyens d’inculquer aux enfants l’importance de s’intéresser à la protection et à la préservation de l’environnement », souligne Mahrous. Il raconte que le directeur de l’hôpital, un ami de longue date, lui a lancé un défi : il lui a dit que s’il réussissait à nettoyer cette décharge d’ordures, il pourrait utiliser le morceau de terrain à sa guise. Défi relevé. Avec l’aide d’une trentaine de bénévoles, il a réussi à se débarrasser de près d’une tonne de déchets solides et organiques. Ce processus a été le motif de la fondation du centre. « Au départ, nous avons eu un problème avec les camionneurs, car ils n’ont pas voulu transporter les déchets solides non recyclables et donc non profitables pour eux. Il fallait trouver une solution pour les pneus. Car les brûler est nocif pour la santé et la fumée aurait indisposé les habitants du quartier », dit-il.
Le kiosque, qui sert de lieu de rencontre pour les visiteurs et les membres de l’association, est fabriqué entièrement de vieux tuyaux de plomberie provenant d’un hôpital. Des morceaux de pneus coupés, peints de différentes couleurs, servent de pots de plantes. « C’était le meilleur moyen de recycler ces deux matières », dit Samah Al-Sayed, surnommée Oum Omar, une habitante du quartier. C’est en participant aux activités du centre que cette femme a fini par s’intéresser de près à la protection de l’environnement. Depuis, elle y fait du bénévolat.« Mon fils Omar, qui a 12 ans, vient régulièrement au centre pour s’occuper des arbres et des roses. Son enthousiasme m’a incitée à venir le visiter », raconte-t-elle.
Nabil Mahrous lui a alors proposé de lui apporter les déchets organiques au lieu de les jeter à la poubelle. En échange, il lui donnerait quelques bouquets d’herbes aromatiques à chaque fin de mois, tout en lui expliquant les effets bénéfiques de chacune. Il a ainsi fait d’une pierre deux coups: cela lui assure de quoi nourrir ses vers de compost, et en même temps lui permet de changer la mentalité et le comportement des habitants du quartier. Grâce au bouche-à-oreille, de plus en plus d’habitants du quartier ont en effet commencé à apporter leurs déchets, lui permettant de produire son compost. Quant aux enfants, ils sont très motivés par les diverses activités, telles que la culture de fleurs et la pêche dans le petit étang au sein du jardin.
Toutefois, le succès d’Izrae Chagara est aujourd’hui terni par un conflit entre Nabil Mahrous et l’ami qui lui avait laissé le terrain, puisque celui-ci veut, selon Mahrous, le récupérer pour le transformer en garage pour l’hôpital. Il vient d’imposer à l’association un loyer de 12000 L.E. par mois. « Alors que la l’association ne bénéficie d’aucun revenu, ni de donations », dit Nabil Mahrous avec amertume. Le conflit s’est transformé en procès devant le tribunal, toujours selon Mahrous.
La mise en place du projet a aussi mis la vie familiale à rude épreuve. « J’ai failli divorcer lorsque j’ai commencé le processus de nettoyage du terrain. J’ai en effet utilisé une grande partie de l’argent de ma retraite pour rendre cet endroit verdoyant », raconte Nabil Mahrous. Ce conflit-là est aujourd’hui heureusement résolu. « Mes enfants, qui participent aux activités du centre, ont réussi à faire changer leur mère d’avis. Aujourd’hui, elle utilise les différentes herbes aromatiques cultivées ici pour préparer les repas », se réjouit Nabil Mahrous.
Engagement croissant
Nabil Mahrous est fier de son compost, résultat du recyclage des déchets organiques.
(Photo: Mohamad Hassanein)
Le concept de protection de l’environnement fait aujourd’hui de plus en plus d’émules, prenant plusieurs formes, allant de l’agriculture organique à la non-utilisation des sacs plastiques. Ainsi, Soha Al-Rameli, directrice de marketing à l’association Hurghada Environment Protection and Conservation Association (HEPCA), une organisation de protection et de conservation de l’environnement à Hurghada, ne se contente pas de la campagne lancée par son association contre l’usage des sacs plastiques à Hurghada. Elle veut donner l’exemple elle-même. « Si je commande de la nourriture et que le restaurant me la livre dans des boîtes en plastique, je refuse catégoriquement d’y toucher. Si besoin est, je vais moi-même avec mes ustensiles chercher la nourriture », dit-elle.
Avant de devenir une activiste aussi convaincue, Soha Al-Rameli était une femme comme les autres, qui s’intéressait juste à la propreté de la rue et de la plage qu’elle fréquentait. C’est lorsqu’elle a commencé à faire de la plongée qu’elle a été fascinée par la faune et la flore marines. « J’ai été fascinée par les coraux et les poissons de la mer Rouge et émerveillée par la découverte du milieu marin. Dès lors, j’ai cherché des moyens plus professionnels pour protéger et préserver l’univers marin contre toute forme d’agression », raconte-t-elle. Et d’ajouter qu’après être devenue membre de la H.E.P.C.A., elle a lu beaucoup de recherches et d’études scientifiques sur les effets négatifs, voire mortels, des déchets plastiques sur la vie maritime et les êtres humains. Cela a incité l’association à mener une campagne acharnée contre l’usage de produits en plastique à Hurghada. Aujourd’hui, les sachets en plastique sont non seulement interdits à Hurghada, mais aussi dans les villes de Dahab et de Marsa Alam, situées elles aussi au bord de la mer Rouge.
Commencer par soi-même
La campagne de sensibilisation contre l'usage des sacs plastiques dans la mer Rouge a porté ses fruits.
(Site officiel de l'organisation HEPCA)
Or, le concept de protection de l’environnement n’intéresse pas seulement les activistes. Les journalistes écologistes se battent eux aussi, à tel point d’adopter certains principes dans leurs journaux. Hanane Badawi, une journaliste écologique de renom, est fascinée par les différentes sortes d’agricultures biologiques. « Je suis allée au centre d’observation du climat et j’ai acheté quelques dizaines de vers de compost, que j’élève chez moi. J’utilise l’engrais organique qu’ils produisent pour fertiliser mon petit jardin, dans lequel je cultive toutes sortes de légumes », explique-t-elle.
Hanane Badawi a installé de grands tubes d’hydro-botanique, ce qui fait de son jardin un petit exemplaire de l’association Izrae Chagara. Mais l’engagement de cette fervente porte-parole de la cause écologique ne se limite pas à la culture de son jardin. Hanane Badawi a aussi renoncé catégoriquement à utiliser des sacs en plastique. A la place, elle utilise des sacs en tissu pour faire ses courses. Enfin, elle trie ses déchets pour en donner une partie à son voisin, qui élève de la volaille, et utilise le reste pour nourrir ses vers de compost. Quant aux déchets solides, elle les remet aux kiosques de tri. « Je ne peux pas écrire sur l’importance de la protection de l’environnement et les effets nuisibles de l’usage du plastique si je continue de l’utiliser moi-même. Si on veut véritablement changer les choses et modifier le comportement des gens, il faut commencer par soi-même », conclut la journaliste .
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