Qu’il s’agisse d’un hors-jeu, d’un corner ou d’un penalty, quand on suit un match à la télévision ou à la radio, on est souvent captivé par la voix du commentateur, attentif à ses explications et on se laisse facilement entraîner par ses réactions. C’est en effet lui qui livre les clés du match, comme l’explique le commentateur Ayman Al-Kachef. « Le commentateur est un élément indispensable d’un match. C’est lui qui fait l’ambiance et déclenche l’enthousiasme du public ou le contraire », dit-il.
Al-Kachef compte parmi les dizaines de commentateurs de football reconnus comme étant des experts dans le domaine. Les fans du jeu les attendent toujours impatiemment pour écouter leurs informations et critiques lors d’un match et les entendre s’enflammer, vibrer, s’attrister, s’insurger et même parfois s’emporter en poussant des cris de colère. On les distingue à leurs voix, leurs réactions et leurs commentaires souvent sarcastiques, qui se transforment d’ailleurs parfois en blagues diffusées sur les réseaux sociaux.
(Photo : Moustapha Emeira)
Al-Kachef, l’un des commentateurs les plus célèbres, ne trouve aucun inconvénient à ce que le public reprenne ses commentaires et remarques pleins de dérision, car pour lui, ils sont une marque de succès. Il détient une licence en instruction physique et travaille comme rédacteur de programme à la télévision. Enfant, il avait exprimé son désir de devenir joueur de football, mais sa famille le lui a interdit. Il a alors pratiqué le foot à la fois comme activité sportive et comme hobby. Ce mordu du ballon a commencé à commenter des matchs pour ses proches et est devenu commentateur de football officiel, il y a 14 ans.
Lui et ses collègues sont connus par tout le monde— public, joueurs et entraîneurs— et sont traités comme des stars que l’on salue dans la rue et avec lesquelles on prend des photos. Lors d’un match, ce qui attire le public derrière les écrans ou à leurs postes de radio, ce ne sont pas seulement les noms des deux équipes, mais aussi celui du commentateur. « Si le match est diffusé sur deux chaînes, je choisis celle qui a ramené le meilleur commentateur », souligne Adel Zakariya, chef de département dans une université privée. Leur popularité dépasse même le cadre du sport, puisqu’on en voit certains apparaître dans des publicités, dans des programmes en tant que spécialistes en foot, dans des scènes de films ou autres. « Les producteurs profitent de notre popularité et cela n’est pas mauvais, tant que le contenu est respectable », déclare Al-Kachef.
Du savoir-faire et du talent
La cabine des commentateurs. (Photo : Moustapha Emeira)
« Shoooooot ! », « Gooooooal ! » Les cris du commentateur sont suivis des applaudissements et des hurlements de joie des spectateurs assis de l’autre côté de l’écran. « Ces derniers voient tout ce qui se déroule au stade, alors, le rôle du commentateur est de rendre le match le plus attrayant possible. Il doit décrire l’ambiance et donner les informations nécessaires sur les deux équipes, à savoir une description détaillée des joueurs et de leur palmarès, avec l’historique de leurs confrontations », explique Al-Kachef. Et d’ajouter : « Au cours de la rencontre, le commentateur doit faire une analyse du match. Et au coup de sifflet final, il conclut son intervention en rappelant le score ainsi que les temps forts du match, notamment le temps des buts inscrits et les noms de leurs auteurs ».
Al-Kachef précise que si tous les commentateurs font la même chose, ce qui les distingue les uns des autres, c’est un certain savoir-faire. Un commentateur doit, selon lui, éviter de déranger le spectateur. Il doit savoir quand il doit continuer à parler et quand il doit s’arrêter, à quel moment il peut ajouter des informations et à quel moment il s’agit de faire un rappel des grands moments de la rencontre, quand il peut se permettre de faire monter le ton de sa voix et de crier et quand il faut rester calme.
Ajuster le son est d'une grande importance. (Photo : Moustapha Emeira)
Mohamad Al-Gheiti, commentateur depuis 15 ans, confie qu’il fait comme si ses téléspectateurs étaient aveugles. Il doit donc transmettre tout ce qui se passe au stade et donner les moindres détails pour les intéresser. Dès qu’Al-Gheiti est informé qu’il doit commenter un match— en général un jour à l’avance —, il commence par recueillir des informations sur les deux équipes et tout le reste. La veille du match, il essaie de bien dormir et boit plusieurs tasses de tisane chaude avant de se mettre au lit pour éviter le stress et préparer sa voix. Le jour du match, il se rend au studio tôt pour se familiariser avec l’endroit. « Commenter un match de foot pendant 90 minutes demande une grande concentration. Un rien peut nous faire manquer un instant qui peut se révéler d’une grande importance », dit Al-Gheiti. Il ajoute qu’il met les informations qu’il a recueillies devant lui et s’en sert en quelques secondes lorsque le jeu s’arrête. Lors du match, il explique ce qu’il voit et, tout en commentant, indique les raisons et les conséquences de telle ou telle situation, dans le souci de donner un éclairage technique aux téléspectateurs. Il précise qu’il est important que chaque commentateur ait son propre style et que celui-ci dépende de sa culture, de son éducation et de l’environnement dans lequel il a grandi.
Selon le critique sportif Hassan Al-Méstékawi, le métier de commentateur ne s’apprend pas dans les écoles et les universités, c’est un talent que certains possèdent. Qu’on soit journaliste, ancien joueur de football, médecin, officier, fonctionnaire ou autres, tout le monde peut devenir commentateur, à condition de posséder ce talent. « Pour que ce talent jaillisse, il faut que la personne possède une bonne voix. Elle doit aussi être cultivée, surtout dans le domaine du foot. Elle doit connaître toute l’histoire du jeu et être au courant de l’actualité. Un commentateur doit savoir quoi dire et à quel moment et ne doit se montrer ni raciste ni subjectif », indique-t-il.
Les origines avec le capitaine Latif
Les jumelles et le micro, deux instruments nécessaires pour un commentateur sportif. (Photo : Moustapha Emeira)
En Egypte, la présence des commentateurs a commencé avec le début du derby Ahli-Zamalek en 1948. Du temps où la télévision n’existait pas encore, le célèbre animateur Fahmi Omar donnait à la radio un résumé de cinq minutes de tous les matchs joués. Dans les années 1960, avec l’apparition de la télévision et le commencement de la diffusion des matchs, c’est le capitaine Latif, le nom le plus connu dans ce domaine, qui a lancé le phénomène. Ce dernier, ancien joueur dans les clubs d’Angleterre, a ramené avec lui cette idée et l’a appliquée à sa propre manière. « On doit beaucoup à ce commentateur, qui a été le pionnier dans ce domaine. C’est lui qui a appris aux Egyptiens ce que veut dire le jeu du foot et leur a expliqué tous les termes », dit Al-Kachef.
En ce temps-là, il n’y avait comme commentateurs que le capitaine Latif et deux ou trois autres, car on ne diffusait qu’un nombre très limité de matchs à la radio et à la télévision. Dans les années 1990, le nombre des commentateurs s’est accru suite au lancement de chaînes spécialisées couvrant les nouvelles de tous les gouvernorats ainsi qu’à la fondation de la chaîne sportive spécialisée Nile TV. Au début des années 2000, avec le satellite, et jusqu’à aujourd’hui, la situation a bien changé grâce aux dizaines de chaînes privées qui ont vu le jour. « Il a fallu alors un grand nombre de commentateurs pour couvrir le nombre de matchs locaux et mondiaux. Aujourd’hui, ils sont une centaine, mais leur niveau n’est pas celui d’autrefois », estime le commentateur Hatem Batticha.
Ce dernier, qui travaillait comme policier, a choisi de laisser tomber sa carrière pour devenir commentateur, n’ayant pas pu faire les deux à la fois. Fils d’un célèbre animateur radio, il a passé énormément de temps dans les coulisses de la radio en compagnie de son père et au stade en tant que joueur dans une équipe de football. En 1998, Batticha a été sélectionné avec 8 autres personnes parmi les 3000 candidats qui se sont présentés pour devenir commentateurs. Le comité de la radio-télévision était composé de gens des médias, de musiciens et d’anciens commentateurs. Aujourd’hui, selon Batticha, n’importe qui peut devenir commentateur sans passer par un comité spécialisé, à condition d’être connu et d’avoir une certaine popularité. « Un fait qui a multiplié le nombre des commentateurs, mais les meilleurs sont peu nombreux », dit Batticha.
Des commentateurs africains à la CAN 2019.(Photo : Moustapha Emeira)
Les commentateurs égyptiens sont, d’après Al-Kachef, les pionniers dans la région arabe et africaine. Or, pour garder cette bonne réputation, il indique qu’il faut perfectionner la formation. Les cours actuellement donnés par des commentateurs et des spécialistes en langue arabe et en diction — et obligatoires pour les commentateurs qui veulent travailler à la radio-télévision égyptienne— ne sont, selon lui, pas suffisants. Selon Al-Kachef, il faudrait aussi envoyer les commentateurs à l’étranger pour observer leurs homologues européens.
Batticha ajoute, quant à lui, que pour garder un bon niveau, il faudrait que l’Etat considère ce travail comme un vrai métier et qu’il y ait des salaires rentables. « Il faut aussi que le commentateur ait une bonne équipe avec lui, car il fait d’énormes efforts qui partent dans le vide si, par exemple, le réalisateur du match n’est pas d’un bon niveau », indique Batticha.
Celui-ci regrette aussi que les commentateurs ne se rendent que rarement dans les stades pour faire leurs commentaires et restent dans les studios. « Commenter dans un stade est tout à fait différent, car je peux voir tout ce qui se passe dans le stade, aux alentours ainsi que dans les gradins. Je peux alors transmettre aux spectateurs des informations beaucoup plus précises et plus intéressantes », explique-t-il.
Bien que de tels détails puissent effectivement influencer le niveau des commentaires, le plaisir de voir un match ne sera jamais complet sans la voix du commentateur, qui peut faire bondir les supporters devant leur écran de télévision ou leurs postes de radio à chaque but, les faire vibrer ou leur faire retenir leur souffle lorsqu’un ballon manque les filets du but
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