L’ambiance est vraiment festive. Des youyous et des cris de joie accueillent Mariam Azmi, la villageoise qui a remporté le prix de la meilleure création de l’année 2019, décerné par la princesse Sabika Bent Ibrahim Al Khalifa, à Bahreïn.
Agée de 62 ans, elle s’est distinguée, dans ce concours international, parmi des centaines d’artistes venues de tous les pays arabes et du Proche-Orient, en confectionnant un joli sac en cuir, orné de petites broderies multicolores représentant des paysages de la campagne égyptienne. « Je suis fière d’avoir remporté ce prix. Et je suis encore plus fière de voir une femme arabe porter le sac que j’ai confectionné », déclare Mariam Azmi avec un grand sourire. Elle parle en tenant à la main son trophée portant l’effigie d’une femme sur lequel est inscrit son nom.
Créatrice talentueuse, Mariam Azmi, attire l’attention, l’an dernier, lors d’une exposition à laquelle a assisté Dr Ghada Wali, ministre de la Solidarité sociale. Fascinée par ses créations, cette dernière décide alors de la faire participer à un concours international pour représenter l’Egypte.
Cela fait 50 ans que les mains de Mariam font de l’or. A l’âge de 12 ans, elle commence à s’initier à la broderie et au tissage dans un centre d’artisanat situé à Akhmim, dans le gouvernorat de Sohag, en Haute-Egypte. Ici, dans ce village, situé à 500 km au sud du Caire, elle n’est pas une exception. Les habitants sont davantage tisserands et commerçants que paysans.
Le Centre de tissage d’Akhmim a commencé à former les femmes au tissage par le biais du Graal, mouvement international féminin, qui oeuvre pour l’amélioration de la condition féminine en 1960. Auparavant, seuls les hommes pratiquaient ce métier.
Professionnaliser les créatrices

Mariam Azmi a remporté le prix de la meilleure création de l’année 2019,
décerné par la princesse Sabika Bent Ibrahim Al Khalifa à Bahreïn.
L’arrivée de Joke Van Nerven, Hollandaise, et de Gall Mally, Américaine, dans le Centre social d’Akhmim va changer la donne. Leur objectif : valoriser l’art en donnant aux Egyptiennes une reconnaissance professionnelle. Elles veulent aider les femmes analphabètes à apprendre un métier et celles qui vivent dans la pauvreté à gagner de l’argent afin d’améliorer leurs conditions de vie. Ces pionnières ont commencé à apprendre aux villageoises le tissage, la broderie et la couture. Depuis ces années, elles ne produisaient que des tableaux en broderie et des tapis sur leur métier à tisser.

Mais en 2018, le centre a commencé à diversifier ses créations en ajoutant de la broderie sur les sacs. Une idée de Loula Lahham, journaliste et directrice du projet d’Akhmim, qui dirige depuis l’année dernière l’antenne de l’Association de Haute-Egypte pour l’éducation et le développement. Basé dans la rue Al-Qobeissi, au centre-ville, le centre a pour rôle de soutenir financièrement les femmes tisserandes et de promouvoir leur travail en Egypte et à l’étranger. « Les habitants d’Akhmim sont réputés pour le tissage dont le métier se transmet d’une génération à l’autre depuis 4000 ans. Durant l’époque byzantine (du IIIe au VIe siècle), le village d’Akhmim jouissait d’un éclat particulier. Et ses oeuvres sont présentes dans la plupart des grands musées du monde », raconte, fièrement, Loula Lahham.
Sacs à main, grands sacs à main à bandoulière, sacs à dos, porte-feuilles, ceintures en cuir, pochettes … et différents petits tableaux en broderie sont exposés sur une grande table au sein de l’atelier. Mariam Azmi, la primée, est en train de montrer à 150 artistes la façon de confectionner un sac en quinze jours. « La première étape est la plus logique: il faut dessiner le modèle. Il en existe différents types: des grands, des petits, des ronds, des carrés. Mais en général, le schéma demeure globalement le même. Seules les formes et les tailles des pièces changent… Les pièces du sac étant prêtes, il faut maintenant commencer à faire le montage … Vous pouvez, par la suite, ajouter les tableaux en broderie sur le sac … », explique Mariam avec précision.
Et, les artistes du centre se préparent pour confectionner toutes sortes d’articles. Leurs outils ne sont jamais très loin: Un couteau à parer, sorte de lame très affûtée qui sert à désépaissir le cuir, un marteau pour taper les coutures, des aiguilles pour la couture à la main, un alène, poinçon servant à percer les cuirs, un pot à colle et la pince à coudre, cet imposant outil en bois, qui permet de bien maintenir le cuir au moment de la couture à la main.
Pour les femmes de l’atelier, la broderie d’abord puis les sacs en cuir sont des moyens pour faire vivre leur famille. « Dans ce village, elles vivent presque toutes dans la précarité, et ce travail les aide à améliorer leurs conditions de vie, même si elles vendent leurs articles à bas prix et à l’unité », dit Samira Attiya, directrice du projet Akhmim à Sohag.
Hoda Fawzi est divorcée. Elle a deux garçons et deux filles à charge. Elle travaille dur, essayant de gagner le maximum d’argent pour subvenir aux besoins de ses enfants. Elle peut rester assise entre 6 à 10 heures par jour pour confectionner un sac avec broderie. Malgré ses douleurs aux mains, Hoda se dit heureuse de travailler dans cet atelier, où elle s’est liée d’amitié avec d’autres femmes. Elle fait son métier avec amour: « C’est gratifiant de faire un objet du début à la fin et de le voir fini », dit-elle avec satisfaction.
La nature, source d’inspiration
Pour faire de la broderie, les artistes du centre reproduisent souvent des motifs anciens, datant de l’époque copte et islamique, ou alors elles se laissent aller à la pure création artistique spontanée. Elles ont l’habitude de s’inspirer de tout ce qu’elles voient autour d’elles: la vie des champs, les tâches quotidiennes comme la lessive, la cuisine, etc. Les animaux sont aussi très fréquents: le canard, par exemple, symbolise l’union et la fertilité, les vaches et les chèvres sont essentielles à l’alimentation des hommes. Les poissons reflètent l’idée de la vie, de la naissance et de la prospérité.
La femme d’Akhmim illustre surtout la nature qu’elle découvre au cours des promenades et excursions que le centre organise. L’artiste s’imagine qu’elle est l’héroïne du tableau. Ces promenades ont pour objectif de développer l’imagination des artistes sans qu’aucune directive artistique ne leur soit donnée. « A chaque fois que je vois un beau paysage, je le garde en mémoire pour le reproduire ensuite », explique en langue des signes Noura Khalaf, une sourde-muette. A 54 ans, elle n’est toujours pas mariée. Elle attend encore le ibn al-halal (le prince charmant) qui viendra frapper à sa porte. Ils étaient des dizaines à se présenter pour demander sa main, mais ses frères et son père les ont chassés. « C’est moi qui subviens aux besoins de la famille. Je suis devenue pour eux la poule aux oeufs d’or », ajoute Noura, dont les propos en langue des signes sont traduits par Oum Ibrahim, employée au centre, pour nous faire comprendre ce qu’elle veut dire.
Chaque femme ici a une histoire. Ce travail les aide à scolariser leurs enfants, à changer les meubles de leur maison et à améliorer leurs conditions de vie, surtout que pour la plupart d’entre elles, leurs maris ne travaillent pas.

Pour les femmes de l’atelier, la broderie et les sacs en cuir sont un moyen de faire vivre leurs familles.
Oum Ibrahim fait partie de ces femmes pour qui « l’atelier est devenu sa seconde maison ». Cette mère de quatre enfants aide son mari financièrement. « Mes enfants sont à l’université et il faut bien que quelqu’un leur achète les livres », raconte cette femme, tout en s’attelant à décorer un sac d’un paysage de campagne. Oum Ibrahim est très minutieuse. « La qualité du dessin, l’innovation, le choix et l’harmonie des couleurs sont les critères d’appréciation des clients », dit-elle.
Sans aucun doute, les artistes du centre sont devenus perfectionnistes, à tel point qu’elles critiquent elles-mêmes leur travail. « Nous organisons tous les deux mois des réunions au cours desquelles le travail de chacune d’entre nous est évalué », explique Samira Attiya.
Les jeunes filles et femmes forment un comité renouvelable tous les 4 ou 6 mois, constitué de 12 personnes, élues pour prendre les décisions importantes concernant le centre et la prise en charge de sa gestion.
La réputation des ouvrages des femmes d’Akhmim n’est, donc pas, le fruit du hasard. Tout est organisé au centre pour leur assurer des conditions de travail idéales. « Nous avons l’intention, l’été prochain, de créer d’autres articles: confectionner des sacs en tissu sur lesquels les filles pourraient illustrer la mer, faire des motifs brodés sur des petites et grandes serviettes de plage … Nous continuons à évoluer et à développer nos idées », conclut Loula Lahham.
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