Chaque année pendant le Ramadan, alors que le soleil s’apprête à se coucher, les cuisiniers s’activent autour des marmites. Et il en faut, des victuailles, pour nourrir au moins 400 personnes après de longues heures de jeûne. A la résidence d’étudiants de l’association Sofarä Al-Hidaya, située dans le quartier de Madinet Nasr, se côtoient des étudiants qui ont quitté leur pays pour venir étudier les sciences islamiques et la culture arabe dans la célèbre et prestigieuse Université d’Al-Azhar. Des étudiants d’horizons divers, mais malgré les différences de culture, la cohabitation semble se dérouler dans le respect et la tranquillité. Trente nationalités y sont représentées, et chaque soir de Ramadan, à la rupture du jeûne, les étudiants se retrouvent au réfectoire pour partager un repas. « Nous recevons chaque soir, pour la rupture du jeûne, des dattes, de la soupe, de la salade, du riz, des légumes, du poulet et parfois de la viande », dit Aslyah Meeajan, Mauricienne et étudiante à la faculté des sciences islamiques d’Al-Azhar.
Les halaqat (des cercles où l’on étudie l’islam et le Coran) sont très appréciés
par les expatriés pendant le Ramadan.
Au début de son séjour, la jeune étudiante a eu du mal à s’adapter aux plats égyptiens, mais au fil du temps, elle a fini par en apprécier le goût. « Durant le mois de jeûne, ma famille, et surtout les délicieux repas concoctés par ma mère, me manquent. Mais j’ai eu la chance de découvrir comment se déroule le mois de jeûne en Egypte, et c’est tout à fait exceptionnel ici », dit Aslyah, le sourire aux lèvres. Et d’ajouter: « Je suis très friande de fritures à la mauricienne. Je profite des week-ends pour en préparer pour toute la semaine ».
Comme de coutume, l’administration de l’association Sofarä Al-Hidaya organise, tout au long du Ramadan, des iftars (repas de rupture du jeûne) collectifs pour rassembler les différentes communautés. « C’est plus agréable que de manger chacun dans son coin. Nous essayons aussi de préparer des plats typiques de différents pays. Tout cela entre dans le cadre d’une volonté de rendre agréable la cohabitation entre les résidents et de faciliter leur intégration dans un milieu différent du leur, afin qu’ils ne ressentent pas le manque d’ambiance familiale durant ce mois sacré », explique Khaled Mahmoud, responsable du développement de l’association.
30 nationalités se côtoient à la résidence de l’association Sofarä Al-Hidaya.
Ramadan est un mois de privation et de persévérance, également synonyme de nostalgie pour ces étudiants qui ne sont pas retournés chez eux depuis qu’ils ont posé les pieds en Egypte. « J’apprécie l’idée des responsables d’organiser de tels moments. C’est normal de se sentir dépaysé quand on est loin de son pays. Mais là, j’avoue avoir retrouvé un peu l’atmosphère familiale à tel point d’oublier d’où je viens », confie Mahmadou Diakté, étudiant malien qui passe son deuxième Ramadan à la résidence. Il se dit très surpris de l’ambiance festive qui règne durant le mois du Ramadan en Egypte. « Chez nous, au Mali, le Ramadan ne se caractérise pas par tant de festivités », explique-t-il. Il est aussi étonné de voir les gens s’énerver plus facilement sous l’effet du sentiment de faim, alors qu’au Mali, les gens sont plus détendus, selon lui. Une ambiance différente donc et aussi de la nostalgie pour ces étudiants.
Toutefois, la lecture du Coran, les prières à la mosquée et la présence à leurs côtés de compatriotes et d’étudiants issus d’autres pays subsahariens leur permettent de s’occuper sans trop se noyer dans les pensées, jusqu’à l’heure de l’iftar. Un moment durant lequel ils ne peuvent s’empêcher de laisser leur esprit voyager jusqu’à chez eux et de se rappeler l’odeur des mets locaux. Préparer un plat de son pays d’origine peut d’ailleurs aider à atténuer un peu le sentiment de nostalgie. Au Burundi par exemple, comme dans de nombreux pays subsahariens, c’est le kinkéliba qui sert de café au lait et aide à la digestion, après la journée de jeûne. « Ensuite, nous prenons la Wougoulla, une purée à base de farine, et le Mony, qui est une bouillie sucrée à base de miel », explique Bourima Konaté, étudiant à la faculté de jurisprudence et de la charia, tout en savourant un plat de bananes cuites. C’est une spécialité de son pays à base de bananes coupées en tranches et assaisonnées de sel et de piment, que l’on fait frire et que l’on sert accompagnées de morceaux de viande. « On consomme aussi des plats égyptiens que l’on apprécie beaucoup », fait savoir Konaté, apparemment très séduit par les dattes, un aliment universel, selon lui.
Ayant des difficultés d’adaptation à cause de la langue, et bien que maîtrisant plus ou moins l’arabe classique, Konaté a dû utiliser, durant des mois, les gestes pour communiquer avec les Egyptiens. « Je ne comprenais rien du tout de ce qu’on me disait. C’est grâce à la lecture du Coran et à la poésie de l’imam Al-Chaféi que j’arrive
aujourd’hui à me faire comprendre », confie-t-il, tout en ajoutant qu’il a fait le tour de plusieurs mosquées pour essayer de trouver la voix douce et profonde du muezzin qui lui convient. Il s’est fixé à une mosquée pour faire ses tarawihs (prières surérogatoires) et écouter le prêche.
A la tombée de la nuit, la résidence se réveille et s’anime, après une journée de torpeur. Les activités à caractère religieux ou culturel, telles que les débats et les séminaires, sont programmées après l’iftar. Les étudiants sont plus dynamiques et se sentent ragaillardis après la rupture du jeûne.
La frustration d’être loin de la famille
Ramadan à Sofarä Al-Hidaya : entre nostalgie, quête de spiritualité et adaptation.
L’ambiance du Ramadan est particulière. Qui dit Ramadan, dit mets succulents, soirées et réunions familiales. Tout un monde qui nous enveloppe de chaleur par ses parfums et ses saveurs. Pourtant, nombreux sont ceux qui passent ce mois sacré en solo, loin de leur famille et de leur patrie, pour des raisons d’études ou encore de travail. Or, si certains estiment que le Ramadan entre étudiants a ses bons côtés et que le repas de l’iftar entre copains et les soirées nocturnes ont un goût particulier, d’autres ont plus de difficultés, notamment ceux qui séjournent seuls dans un pays où l’on ne suit pas le Ramadan. Le coup de blues n’est, pour eux, jamais bien loin, surtout au moment de la rupture du jeûne.
C’est le cas de Abdel-Rahmane Hicham, qui avait quitté ses parents à 19 ans pour poursuivre ses études au Japon. « Une occasion pour moi de prouver à mes parents que je peux vivre seul, être indépendant et me débrouiller comme un adulte », raconte l’étudiant en relations Internationale et titulaire d’une licence en interprétariat. Il ajoute qu’il garde de mauvais souvenirs de la période du Ramadan là-bas, qui réveillait en lui des sentiments de solitude. Il raconte qu’il ne connaissait personne à Tokyo et que c’était la première fois de sa vie qu’il était loin de chez lui. Les repas étaient un véritable fiasco, les plats du restaurant à peine mangeables pour lui, qui, en plus, ne savait pas cuisiner. Abdel-Rahmane a donc dû s’armer de patience pour avaler ces plats et passer ses soirées tout seul dans sa chambre, à réviser ses cours. « Le Ramadan en Egypte est vraiment unique, lorsqu’on entend la voix du muezzin annoncer l’iftar. Le décalage horaire me rappelait tous les jours la distance qui m’éloignait de ma famille. J’ai vraiment subi de plein fouet le blues et ai souvent pleuré à l’heure du sohour (le repas précédant le jeûne), lorsque rien n’indiquait l’appel à la prière. Et en rompant le jeûne tout seul, j’avais l’impression d’être un orphelin. Mais j’ai pris mon mal en patience et aujourd’hui, je suis de nouveau avec ma famille, après cinq ans d’études à l’étranger », explique-t-il.
Idem pour Rania Mostafa, âgée de 21 ans et qui a failli faire une dépression nerveuse. Pour elle, quoi qu’on fasse et quelle que soit la compagnie, Ramadan rime avec famille. Elle a vécu une fois cette expérience lorsqu’elle était en stage au Canada et elle a failli craquer, surtout en travaillant avec des horaires difficiles. « C’est très compliqué dans les pays non musulmans. Nous ne pouvons pas nous permettre de demander des horaires aménagés pour le jeûne. Nous sommes obligés de maintenir le même rythme de travail que les autres travailleurs », souligne-t-elle.
Ahmad Moustafa, psychiatre, pense que différents éléments peuvent conduire un individu à avoir le mal du pays, comme la difficulté à s’adapter à une nouvelle culture, la solitude et l’éloignement des proches. On a l’impression d’avoir quitté sa patrie avec ses fragilités dans les bagages. Ce type de malaise se manifeste généralement quelques semaines ou quelques mois après l’installation dans le pays d’accueil, une fois que le sentiment d’euphorie lié à l’installation est retombé. Il se traduit de différentes manières suivant chaque personne, sous forme de nostalgie, de mélancolie ou d’une forte envie de s’enfermer chez soi. « Plus la culture de la patrie d’origine est éloignée de celle du pays d’accueil, plus le mal-être est susceptible d’être important et de s’aggraver au fil du temps », explique Moustafa. Il va sans dire que le moment des fêtes, d’habitude passées en famille, peut accentuer ce sentiment de nostalgie ou de solitude.
Nouvelles expériences
Les plats et les desserts égyptiens très présents au moment de la rupture du jeûne.
Audrey Paulicon, une Française qui travaille en Egypte, vit, elle, l’expérience d’une expatriée dans un pays musulman, ce qui signifie s’adapter aux nouveaux horaires des commerces et des bureaux, ainsi que respecter le jeûne et la prière de ses collègues ou amis pratiquants. Pour autant, le mois du Ramadan n’est pas synonyme d’isolement pour les étrangers, comme en témoigne Audrey Paulicon. Selon elle, les soirées du Ramadan sont l’occasion pour les expatriés de découvrir leur pays d’accueil dans une ambiance festive. Les étrangers sont souvent agréablement surpris par leur première expérience du Ramadan en Egypte. « Un jour, je rentrais chez moi et j’étais coincée dans un bouchon quelques minutes avant la rupture du jeûne, quand soudain, des conducteurs sont sortis de leurs voitures et ont commencé à offrir à manger à tout le monde », raconte-t-elle.
Vivre le Ramadan loin de sa terre natale peut aussi être synonyme de partage, d’une expérience enrichissante et inoubliable. Il y a 5 ans, Hassan Mahmoud, un jeune Egyptien, a passé son premier Ramadan à l’étranger, à New York, où il faisait des études d’économie. Il raconte qu’il se levait à 3h pour prendre le sohour tout en essayant d’éviter de faire le moindre bruit pour ne pas réveiller ceux qui partageaient avec lui la résidence. Et d’ajouter que parmi les lieux qu’il a appréciés durant le Ramadan, il y a le Centre islamique de l’Université de New York (ICNYU). « Là-bas, j’ai participé à de nombreuses activités comme les halaqat (des cercles où l’on étudie l’islam et le Coran), que j’ai beaucoup appréciés. J’ai rencontré des frères et des soeurs de Malaisie, du Pakistan, de Palestine, du Nigeria, d’Algérie, du Maroc et de la Tunisie. En un mois, j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour de la planète », raconte-t-il.
Il indique que le Ramadan à New York, c’est aussi les nombreuses mosquées de la ville qui, en plus des activités cultuelles, proposent des iftars chaque soir. Une véritable invitation à découvrir les différentes cultures qui peuplent la cité. Hassan a également visité un autre centre islamique largement fréquenté par la communauté sénégalaise. Il y a rencontré des gens qui ne cessaient de lui répéter qu’il était le « bienvenu chez lui ». Son moment préféré était le grand qiyyam, un événement annuel organisé par l’ICNYU pendant le Ramadan, durant lequel les fidèles prient durant une grande partie de la nuit. « On était près de 700 personnes et c’était vraiment une soirée inoubliable. Imaginez 700 personnes, des femmes, des hommes, des enfants, originaires des quatre coins du monde, de toutes les catégories sociales, qui prient ensemble jusqu’à l’aube. A la fin de l’événement, la majorité de la salle était en larmes en écoutant les invocations de l’imam. C’était un moment de communion indescriptible », conclut Hassan
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