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Voix de femmes

Dina Bakr, Mardi, 16 avril 2019

Dans plusieurs pays arabes, des radios ont été créées sur Internet, par et pour les femmes, abordant des sujets sur leurs conditions de vie, leurs problèmes. Des voix de plus en plus écoutées. Enquête.

Voix de femmes

Sur les ondes, les voix fémi­nines résonnent dans plu­sieurs pays arabes. Des voix fortes, engagées, qui connaissent une audience grandis­sante. Comme au Soudan, Banate (radio pour les filles), sur Internet, lancée en juillet 2017. La première du genre au Soudan. Elle aborde plusieurs thèmes concernant les femmes à travers 31 programmes couvrant toutes les facettes de la vie des Soudanaises. Leurs droits, leurs devoirs et leur culture sont abordés dans les émissions Soudania (souda­naise), Anti Al-Hadath (tu es l’évé­nement), Nissä Foq Al-Settine (des femmes au-delà de l’âge de 60 ans). « Nous voulons montrer au monde notre culture et changer les idées reçues sur le Soudan », explique Khalda Al-Manna, fondatrice de Radio Banate. Pour elle, atteindre un maximum d’auditeurs à travers le monde permettrait de faire mieux connaître le Soudan, ses problèmes et en particulier ceux concernant la femme. « J’ai une amie jordanienne qui voulait visiter mon pays et les gens lui ont déconseillé de le faire. Nous voulons montrer au monde que nous ne vivons pas dans une jungle, entourés de bêtes sauvages ».

Selon Al-Manna, le monde est devenu un petit village. L’opportunité pour Radio Banate d’être entendue bien au-delà des frontières. « Il y a une crise de conscience dans notre société. En consultant les groupes de femmes sur Facebook, on remarque que beaucoup ignorent leurs droits et sont incapables de soulever un problème, ce qui donne une vision rétrograde de la femme souda­naise », poursuit Khalda Al-Manna. Par le biais de cette radio, elles s’expriment, parlent de leur quoti­dien, de leurs traditions et coutumes. Par exemple, au Soudan, la pratique de l’excision est profondément ancrée dans les traditions et étroite­ment liée au respect de normes sociales. Les rites de l’excision sont pratiqués aussi bien dans la capitale que dans les villages. Cette mutila­tion génitale marque à vie les fil­lettes et peut parfois entraîner la mort. « Il est important de faire des reportages, inviter des spécialistes pour en parler et appeler les gens à abandonner cette pratique qui cause des douleurs atroces à la femme et dont les conséquences peuvent être bien plus graves. Notre radio permet à celles-ci d’échanger leurs expé­riences avec d’autres, et ce, même en dehors de leur pays », explique Sékina Hamed, co-fondatrice de Radio Banate.

Et d’ajouter: « Radio Banate n’aborde pas seulement des sujets comme l’excision, le mariage pré­coce et la non-poursuite des études supérieures, elle traite aussi de sujets sur l’histoire de notre société, comme le statut de la femme souda­naise durant les années 1960 ». Car à cette époque, des femmes étaient promues à l’université, maîtrisaient les langues étrangères et beaucoup travaillaient comme bénévoles dans des ONG. Elles étaient très actives dans la société civile. Radio Banate transmet un message important, à savoir l’illettrisme et la soumission ne sont pas le sort de toutes les Soudanaises. Et que d’écouter son histoire peut aussi donner de l’espoir à la jeune génération. « Nous avons l’exemple édifiant d'Amna Attiya, la première femme à avoir conduit une voiture dans les années 1960, alors qu’en Arabie saoudite, les femmes n’ont été autorisées à le faire qu’en 2018 », rappelle Khlada. Pour elle, émettre sur Internet a aussi l’avan­tage de pouvoir toucher un maxi­mum de monde avec un petit budget. « C’est l’idéal pour un pays pauvre comme le Soudan. Car posséder une antenne de radio classique coûterait 200 000 L.E. par an. Et une telle somme ne pourrait couvrir qu’une distance de 45 km », explique-t-elle.

Des solutions en ligne

En Egypte aussi, Motallaqat Radio we Radio Al-Osra (radio des femmes divorcées et de la famille) émet depuis 2009 sur Internet. Abl Ma Téoul Ya Talaq (avant de divorcer), Ibnek Ala Ma Trabih (ton fils est le fruit de ton éducation), Mozakkarat Ragol Motallaq (les mémoires d’un homme divorcé) sont autant de pro­grammes dédiés aux femmes divor­cées. « Cette radio a pour objectif de changer les idées reçues sur la femme divorcée. Changer la menta­lité de la société qui les stigmatise est l’objectif de cette radio. Les atti­tudes vis-à-vis d’elle changent dès qu’une femme se sépare de son mari, ce qui n’est pas le cas lorsqu’elle est mariée », précise Mahassen Saber, fondatrice de la radio. Des pro­grammes apportent des solutions aux conflits conjugaux et d’autres sur le statut de la femme divorcée, dont l’environnement social est souvent complètement bouleversé après la prononciation du divorce. « Nombreuses sont celles qui subissent des actes de malveillance. Une femme nous a, par exemple, appelées pour se plaindre des com­portements de ses voisins. Elle exerce le métier de médecin et a toujours fait des gardes de nuit. Après son divorce, son voisinage s’est mis à la guetter, surveillant l’heure à laquelle elle rentrait à la maison », rapporte Mahassen.

Les clés de l’indépendance

De même, la radio informe les femmes sur les services présentés par le gouvernement. Beaucoup d’entre elles ignorent qu’une somme men­suelle est allouée à la femme divor­cée, que des maisons d’accueil existent pour les victimes de maltrai­tance ou de violence. Venir en aide aux femmes est l’une des raisons pour laquelle ces radios ont vu le jour.

En Palestine, la radio Nissä FM (Femmes FM) soutient les Palestiniennes dans l’indépendance économique. « Grâce à notre pro­gramme, nous avons aidé beaucoup de femmes à devenir financièrement indépendantes. En leur faisant par exemple de la publicité gratuite pour leurs microprojets, nous leur avons permis de se faire connaître et d’augmenter leurs revenus », explique Mayssoun Odeh, directrice de Nissä FM.

Depuis 9 ans, cette radio a un impact positif sur la vie des Palestiniennes. Elle les soutient en cas de procès et les aide aussi à revendiquer leurs droits. Et surtout grâce à ses émissions, les autres médias ont commencé à prendre ces sujets au sérieux.

Ouvrir de nouveaux horizons

Autant d’exemples qui montrent que ces radios ont un rôle positif pour ces femmes, comme le souligne Hassan Abou-Taleb, conseiller au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Dans beaucoup de pays arabes, la femme doit braver nombre de défis pour obtenir ses droits. Il s’agit là d’une excellente plateforme de sensi­bilisation, d’échange et de communi­cation. Le fait qu’une femme ait la possibilité de s’exprimer à travers cette radio permet de mieux com­prendre ses besoins. Et faire partici­per les hommes au débat concernant ses droits est tout aussi important ».

Selon Abou-Taleb, Youtube, Facebook ou la radio sont des outils de pression sur l’opinion publique et les preneurs de décision. Cela pousse à mettre sur la table des sujets liés aux droits des femmes, citant l’exemple de la pression exercée par des médias en Egypte pour obtenir une loi qui condamne celui qui empêche la femme d’avoir son droit à l’héritage. « Le fait d’avoir cette plateforme permet de connaître les difficultés rencontrées par les femmes actives. On a besoin d’avoir un discours différent, loin des médias classiques qui font intervenir des experts qui ne sont pas aptes à por­ter des solutions sur la réalité des femmes, car ils sont loin du ter­rain », estime l’expert, rejoint sur ce point par Iman Beibars, présidente de l’Association de l’émancipation et du développement de la femme. « Les citoyennes responsables de ces radios sont davantage conscientes de leurs difficultés et peuvent ainsi mettre la femme sur la voie d’une émancipation effective ».

Car ces dernières années, la radio sur Internet a évolué dans son dis­cours en abordant des thèmes qui touchent de plus en plus au statut de la femme. « Avant, la radio prodi­guait des conseils dans les domaines de la décoration, de l’éducation des enfants, de la mode, du nettoyage de la maison et les besoins des consom­mateurs. Ce genre de programmes servait de publicité à des produits qui peuvent rendre service aux femmes dans tous ces domaines », explique Donia Tareq, dans sa thèse de magis­tère intitulée « Le rôle des radios égyptiennes dans le traitement du statut de la femme ». Selon elle, les deux dernières décennies témoignent d’une mutation grâce au progrès tech­nologique. La création de radios Internet a ouvert d’autres horizons pour débattre de sujets qui intéressent une audience de plus en plus large, tout en recevant les réactions immé­diates des auditeurs en direct. Des réactions au-delà des frontières .

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