Les senteurs d’une dizaine de variétés d’olives embaument l’atmosphère : Kalamata, Elhamed, Almaraqi, Watteiguène, Dekwèle, etc. Leurs parfums se répandent dans les 4 coins de l’oasis de Siwa, à quelque 750 km du Caire. Il ne faut pas moins de dix heures de bus pour s’y rendre. Chaque année, aux mois de novembre, décembre et début janvier, Siwa revêt ses plus beaux habits pour accueillir la saison de la récolte des olives. Les olivades s’étendent sur trois mois dans une ambiance de fête au cours desquelles les oléiculteurs, cueilleurs, saisonniers et habitants de la ville arpentent les champs d’oliviers, tous habités par le même engouement. Des filets sont étalés au pied des oliviers pour récupérer, sans abîmer, les olives tombées à terre. Alors que pour pouvoir accomplir le rude labeur d’accéder aux branches, on utilise souvent une échelle à trois pieds, nommée cavalet, semblable à un grand chevalet, pour atteindre le plus haut point de l’olivier.
Aboujneiba ou l’amour des oliviers

L’huile d’olive est un anti-cancer, un anti-douleur et un anti-âge.
(Photo: Mohamad Abdou)
A l’instar de tous les villages siwis, Aboujneiba, situé à 15 km du centre de la ville de Siwa, vit un état d’effervescence. Hadj Ahmad Aboujneiba, descendant de la tribu du même nom, se réveille chaque jour à l’aube pour venir travailler dans ses champs d’oliviers. Barbe grise et béret blanc, il grimpe les oliviers tel un enfant de 10 ans, toujours avec la même énergie malgré ses 78 ans. Sa djellaba verte serrée entre les genoux et manches retroussées sur ses bras musclés, c’est tout seul qu’il entame sa récolte. « Son épouse, ce sont les arbres, et ses fils sont les olives », répète son fils, Amr, pour le taquiner. Tous les matins, hadj Aboujneiba assouvit ses passions: celle de cultiver, de récolter, de presser les olives ou de les vendre. Plus tard, les quelque dix hazzazine (vibreurs) lui emboîtent le pas dans les champs pour faire la récolte manuellement. A l’aide d’appareils manuels, ils secouent les arbres et font tomber les olives, récupérées au sol dans des filets. « Un Siwi authentique choisirait plutôt de vendre sa maison que son champ d’oliviers. Pour lui, les oliveraies sont des symboles d’honneur », explique hadj Aboujneiba.
Celui-ci possède des oliveraies de 24000 arbres qui s’étendent sur 2 000 feddans. Des champs verts, à perte de vue, que le cultivateur aime parcourir pour goûter ses olives et juger de la qualité de leur chair en attendant patiemment qu’elles soient mûres. « Ici, le Siwi se fie toujours à la cueillette ancienne, où il faut attendre que les olives tombent d’elles-mêmes, lorsqu’elles ont atteint le niveau adéquat de maturité », explique Aboujneiba.
Des traditions à répétition
En pleine période de récolte, on les cueille aussi à même les arbres. On assiste à de véritables scènes d’antan où les gestes millénaires se répètent et se perpétuent. Son panier en osier solidement arrimé au cou, ou porté sous le bras, le cueilleur fait courir les olives sur le rameau. On dit alors qu’il faut « traire le rameau ». Ce geste, simple en apparence, requiert beaucoup d’adresse, surtout quand il s’agit de cueillir cent kilos d’olives en une journée, le rendement en moyenne d’un bon cueilleur.
Vient alors le tri de l’or vert. Des centaines de villageois s’affairent dans les oliveraies pour trier les olives dispersées. Assises à même le sol, les femmes et les jeunes filles, âgées entre 10 et 16 ans, font le tri des olives puis les disposent dans des caisses en plastique. A ce moment de l’année, toute la population se rassemble pour récolter ces beaux fruits, exerçant chacun une tâche précise.
Les olives sont la deuxième production de Siwa, après les dattes. Les producteurs d’olives sont à peu près les mêmes que ceux qui cultivent les dattes. Les palmiers dattiers encadrent les oliveraies et permettent de les délimiter les unes des autres. « La production des olives augmente d’une année à l’autre. Siwa, qui produisait 4 000 tonnes d’olives dans les années 1970, a atteint le chiffre de 86000 tonnes en 2018. Premier producteur d’olives d’Egypte, Siwa est considérée comme le berceau historique des meilleures variétés d’olives », explique hadj Chaker Habboune, président du syndicat des Paysans de Siwa. Chaque Siwi possède une plantation de 20, 30 ou 50 feddans, et les plus pauvres 5, 10 ou 15 feddans. « A la cueillette, la vente de la production des olives suffit pour subvenir aux besoins de la famille pendant toute l’année », poursuit-il.
De père en fils

Chaque année, novembre et décembre marquent à Siwa le début de la récolte des olives.
(Photo: Mohamad Abdou)
L’olivier est cultivé à Siwa depuis la nuit des temps. Cet arbre au tronc noueux, à l’écorce brune et au bois solide, peut atteindre 15 à 20 m de hauteur. « L’olivier a quatre âges: il ne donne ses premières olives qu’après 7 ans, atteint sa production maximale entre 20 et 30 ans et continue encore 15 ans environ. Après plusieurs centaines d’années, l’olivier trouve la mort, mais pas tout à fait, car il produit, tout au long de son existence, des rejets à son pied », précise hadj Abdallah. Ce cultivateur, âgé de 47 ans, travaille dans une grande oliveraie à Siwa et a appris le métier de ses aïeux. « Quand on est né au beau milieu de la culture des olives, on se sent tellement bien qu’on veut y rester éternellement. Les jeunes sont passionnés par le métier de leurs parents, si bien qu’ils n’essayent guère de changer de cap », explique-t-il.
Travailler la terre des olives est un métier de passion pour les familles siwies. Chez la famille de hadj Abdallah, ce savoir se transmet de père en fils depuis trois générations et même bientôt une quatrième. « C’est mon père et moi qui les avons plantés graine par graine et ils portent en eux ma sueur », répète-t-il en parlant de ses arbres, un foulard traditionnel blanc des paysans siwis vissé sur la tête. Le cultivateur possède 15 feddans et apprend à ses 10 enfants comment cultiver ces arbres. Tous ses enfants rêvent d’avoir leurs propres oliveraies, même le plus jeune de 7 ans, Adham, qui a acquis une expérience sans pareille en matière de culture. « Un arbre peut produire chaque année jusqu’à 20 kg d’olives. Deux conditions sont essentielles pour sa culture: l’eau et la chaleur. L’olivier a besoin d’un climat sec et chaud et d’une température qui varie entre 40° et 50° », note le paysan en herbe Adham.
L’olivier, élément culturel
Cet arbre, chargé de symboles, est un élément culturel majeur. L’être humain a toujours associé l’olivier à ses traditions et à ses rites religieux. Dès l’époque de l’Egypte Ancienne, on retrouve beaucoup l’olivier sur les peintures égyptiennes où ses feuilles symbolisent, par exemple, la couronne de justice, placée sur la tête de Toutankhamon. La valeur symbolique attribuée à cet arbre était importante à cette époque. Preuve en est cette plantation d’oliviers que Ramsès III offrit au dieu Râ pour ses huiles, symboles de vie et d’éternité.
Apparu en Egypte 6000 ans avant J.-C., l’olivier n’en est alors qu’au début d’une très longue histoire. Dans tout l’Empire romain, en Sicile, en Grèce, à Chypre, en Syrie, etc. Les textes faisant référence à l’arbre et à sa culture abondent. Symbole de paix, de sagesse et de victoire, il est aussi présent dans les textes fondateurs de nos cultures. Dans la culture islamique, l’olivier est l’arbre central, l’axe du monde, symbole de l’homme universel, c’est-à-dire le prophète. L’arbre béni est associé à la lumière, l’huile d’olive alimentant les lampes. La colombe et la branche de l’olivier étaient, aussi, couramment utilisées par les premiers chrétiens au XVIIIe siècle. Par exemple, dans l’Ancien Testament, c’est un rameau d’olivier que ramène la colombe à Noé pour annoncer la fin du déluge. Que des exemples démontrant l’importance de l’olivier et de l’huile d’olive pour l’homme depuis la nuit des temps.
Et encore aujourd’hui, l’olivier, ses fruits et son huile font toujours partie du quotidien de chaque Siwi. En pleine période de récolte, en fin de journée, des voitures et des camionnettes se pressent aux six moulins, où sont déversés les kilos d’olives précieusement cueillies. Après la cueillette, les habitants partent directement vers le moulin pour presser les olives fraîchement, en moins de 48 heures.
A l’intérieur des moulins, il existe plusieurs étapes de la fabrication d’huile d’olive. « Après stockage, ces olives partent sur un tapis roulant jusqu’à la première étape du circuit de production: le broyage. La décantation permettrait ensuite de séparer la matière solide (débris de noyaux, d’épiderme, etc.) des fluides (huile et eau de végétation), la centrifugeuse se chargeant enfin de séparer l’huile de l’eau », explique Am Hussein, ouvrier au sein du moulin Al-Maraki.
Et durant toute cette période de récolte, les moulins tournent toute la nuit pour écouler au petit matin des litres d’huile d’olive fraîchement pressée. « En général, 100 kilos d’olive donnent 10 kilos d’huile, mais parfois, le nombre de kilos augmentent ou diminuent selon la qualité des olives », estime Am Hussein. Là aussi, amateurs, visiteurs, professionnels et oléiculteurs se retrouvent. Et parmi les amateurs, certains choisissent de garder leur huile pour la consommer et la partager en famille. D’autres choisiront de la vendre à la coopérative qui se chargera ensuite de la commercialisation du précieux nectar.
« L’huile d’olive vierge extra doit renfermer un taux d’acidité libre inférieur à 0,8% par 100 grammes », précise Omar Abdallah, titulaire de la plus grande huilerie à Siwa. Sans aucun doute, il existe énormément d’avantages pour la santé. « Il prévient contre le cancer du côlon et du sein, le diabète, améliore le métabolisme, la digestion et prévient contre le vieillissement et les problèmes cardiaques, etc. Nos anciens parents nous recommandaient d’avaler deux cuillères à soupe chaque jour pour réduire le risque de maladie cardiaque », se souvient-il.
Renommée pour ses olives, ses huiles et ses dattes, Siwa ne cesse de nous faire dons d’ingrédients utiles pour notre métabolisme, notre santé .
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