Par Ahmad Kamel Al-Beheri
Chercheur spécialiste de la sécurité régionale et de l’extrémisme violent
L’egypte a témoigné au cours des sept dernières années de l’une des plus grandes vagues de terrorisme depuis les années 1960. Le terrorisme s’est aggravé dans la foulée de la destitution de l’ancien président Mohamad Morsi en juillet 2013, pour atteindre son apogée en 2015, devenant ainsi le plus important défi pour l’Etat égyptien.
Avec l’expansion du terrorisme sur le territoire égyptien et l’élargissement des objectifs poursuivis par les organisations terroristes qui s’en prennent aux citoyens civils et aux lieux de culte, le gouvernement a mis au point une vision pour lutter contre le terrorisme, notamment au Nord-Sinaï. Cette stratégie mobilisant la police et l’armée se fait à trois niveaux.
Premièrement, la sécurisation des frontières, la collecte des informations et la localisation des foyers terroristes, ainsi que le démantèlement de leurs moyens logistiques et sources de financement. Deuxièmement, les raids et les frappes préventives menées par l’armée et la police en collaboration avec les habitants du Sinaï. Troisièmement, le lancement de projets de développement pour améliorer les conditions de vie des habitants.
Ces trois axes de la stratégie de lutte antiterroriste au Sinaï ont été observés lors de l’opération militaire globale Sinaï 2018, lancée le 29 novembre 2017, moins d’une semaine après l’attentat perpétré par le groupe terroriste Ansar Beit Al-Maqdès, rebaptisé Wilayet Sina (province du Sinaï), contre la mosquée d’Al-Rawda et qui a fait plus de 300 victimes.
Cette opération militaire d’envergure a coïncidé avec un changement structurel des groupes terroristes à l’échelle régionale, par conséquent en Egypte et plus précisément dans le Sinaï. Dix mois après le lancement de l’opération Sinaï 2018, plusieurs questions se posent, notamment avec ce changement de la carte terroriste. L’organisation Province du Sinaï a pris ses distances avec Al-Qaëda et a prêté allégeance à l’organisation Daech. Il s’agit d’un changement dramatique qui a affaibli Al-Qaëda et affecté sa capacité à mener des attentats similaires à ceux perpétrés dans les années 2011-2012.
Au cours du dernier trimestre de l’année 2017, l’organisation Jund Al-Islam, alliée à Al-Qaëda, a refait surface dans les médias à travers un communiqué condamnant Daech, suite à l’attentat contre la mosquée d’Al-Rawda. Cette réapparition purement médiatique a repris avec une vidéo fustigeant le régime égyptien et appelant les jeunes musulmans à travers le monde au djihad. Mais jusqu’à ce jour, Jund Al-Islam n’a pas réussi à affirmer sa présence sur le terrain, ce qui fait que les affrontements sécuritaires et militaires en cours se limitent au groupe Province du Sinaï.
Au cours des dix derniers mois, l’armée a atteint plusieurs des objectifs stratégiques qu’elle s’était fixés. Elle a réussi à liquider ou à capturer plusieurs dirigeants du premier rang du groupe Province du Sinaï, dont le numéro un Abou-Ossama Al-Masri, le responsable de la gestion, Khaïrat Sami Al-Sobki, et le responsable des médias, Mohamad Gamal, ce qui a sensiblement affaibli sa capacité de nuisance.
Outre la confrontation directe avec les éléments et les organisations terroristes, les gardes-frontières et la marine d'Egypte ont réussi à contrôler les frontières terrestres et maritimes, aussi bien dans le cadre de l’opération qui se déroule dans le Sinaï qu’à l’ouest et le sud du pays. Le contrôle de la frontière nord-est a été assuré suite à des arrangements avec le Hamas palestinien et les efforts du génie militaire dans la destruction de plusieurs tunnels reliant la bande de Gaza au Sinaï et utilisés par les terroristes.
Citoyens coopératifs
Le massacre de la mosquée d'Al-Rawda a été un tournant dans les relations entre les forces de sécurité et les citoyens qui se sont montrés beaucoup plus coopératifs dans la lutte antiterroriste, ce qui a aidé l’armée et la police non seulement à traquer les éléments terroristes, mais aussi à limiter leur mouvement.
En considérant globalement le résultat de l’opération Sinaï 2018, nous pouvons noter d’autres aspects positifs, notamment la baisse considérable du nombre et de l’ampleur des attentats terroristes au Sinaï en 2018 par rapport aux années précédentes, ainsi que la baisse du nombre de victimes dans les rangs des forces de sécurité.
L’organisation terroriste Wilayet Sina, anciennement Ansar Beit Al-Maqdès, a dû recourir à nouveau à des moyens peu sophistiqués comme les tirs, les tireurs embusqués et l’implantation des engins explosifs. Cela est dû à l’impuissance des organisations terroristes qui ont cessé de cibler les bâtiments sécuritaires comme elles faisaient en 2015.
De même, ces organisations ont perdu le contrôle géographique sur les villes et les villages dans la région du Nord-Sinaï. L’organisation Wilayet Sina a eu recours aux opérations suicide comme ce fut le cas lors de l’opération d’Al-Qassima qui a visé une usine de ciment. Cette opération est une preuve de la faiblesse de l’organisation. Celle-ci a recours donc à cette tactique pour faire le maximum de victimes avec un minimum de confrontation.
On peut s’attendre au maintien de cette tendance en 2019, sans que cela signifie la fin du terrorisme dans la péninsule. L’achèvement de l’opération Sinaï 2018, ou du moins de sa première phase, sera donc bientôt annoncé.
Malgré la neutralisation des éléments d’Al-Qaëda, certains terroristes de cette organisation se sont mis sous la bannière de Jund Al-Islam, de quoi représenter un danger latent notamment dans cette phase post-Daech. Une crainte corroborée par la relance d’Al-Qaëda en Syrie et au Maghreb, ainsi que dans certaines régions de l’Est et de l’Ouest de l’Afrique. La présence d’une organisation terroriste affiliée à Al-Qaëda dans le Sinaï est une probabilité dangereuse en 2019, même si l’organisation Jund Al-Islam est encore en phase de composition au niveau structurel.
Lien court: