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Femmes, choisissez votre itinéraire

Dina Bakr, Dimanche, 16 décembre 2018

Le Conseil natio­nal de la femme et le Fonds des Nations-Unies pour la Population (FNUAP) ont lancé une cam­pagne de sensibilisation, dont le but est d'encourager les femmes à lutter pour leurs droits dans différents domaines. C'est dans les stations de métro qu'ils ont choisi de s'adresser au public.

Femmes, choisissez votre itinéraire

La station de métro de Ataba, qui est l’une des stations de métro à enregistrer le plus grand nombre de passagers, a récemment changé d’aspect. De grandes affiches recouvrent les murs, portant des illustrations et des messages courts destinés aux femmes comme aux hommes et qui s’inscrivent tous dans le contexte du soutien de la femme, de la lutte contre le harcèlement et d’autres thèmes en lien avec le droit des femmes. On peut lire des phrases du genre Hayatek mahattat matkhallich mahatta twaëfek (ta vie est une série de stations, ne laisse pas une station t’arrêter). « Nous avons voulu comparer la vie de la femme à un ensemble de stations, dont cer­taines peuvent empêcher son développement, alors que d’autres peuvent lui donner un élan pour avancer sur le bon chemin », explique Safaa Habib, directrice générale des relations publiques au Conseil national de la femme.

Le slogan fait partie d’une campagne de sensibilisation organisée par le Conseil national de la femme et le Fonds des Nations-Unies pour la Population (FNUAP), qui ont décidé de prendre pour cadre les murs, les wagons et les guichets de vente des billets de métro. « Cette campagne s’inscrit dans le cadre des objectifs du plan de dévelop­pement durable 2030, dont le cinquième objectif souligne l’égalité des sexes », précise Mona Ghazali, coordinatrice nationale pour le projet au FNUAP.

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Le mariage précoce nuit à la santé de la fille et peut provoquer sa mort.

La comparaison de la vie d’une femme à une série de stations de métro n’est pas la seule raison pour laquelle la campagne a été lancée dans le métro. En effet, le métro accueille quelque 2 mil­lions de personnes par jour, selon les chiffres de la Compagnie de fonctionnement et de gestion du métro. Les organisateurs de la campagne ont par ailleurs choisi les stations les plus fréquentées, soit Ataba, Chohada (Ramsès), Abbassiya et l’Université du Caire. « Des gens de différentes classes sociales et de tous les âges prennent le métro. La cam­pagne de sensibilisation parvient ainsi à un large public », précise Safaa Habib.

Les messages sont portés par des illustrations fortes et expres­sives. Par exemple, la mise en garde contre le mariage précoce est illustrée par la photo d’une jeune fille enceinte coiffée de deux tresses, avec un texte qui dit: « Une enfant porte un enfant ». Plus loin se trouve l’image d’une jeune fille en robe de mariée, suspendue aux fils d’un marionnettiste, avec le commentaire: « Donnez à la femme la liberté de choisir ». La campagne incite aussi la femme à ne plus se taire si elle est vic­time de harcèlement sexuel, et ce, à travers l’image d’une femme qui ouvre la fermeture éclair qui recouvre sa bouche et le commentaire très direct indi­quant: « 1 059 jours de prison pour le harceleur et une amende de 20000 L.E. ». La campagne ne manque pas non plus de s’adresser aux hommes en les incitant à apporter leur soutien aux femmes victimes de harcèle­ment: « Ne t’en fiche pas, ta virilité exige que tu inter­viennes ».

Pour illustrer les messages de la sensibilisation, l’une des affiches montre un plan de métro, dont les stations représentent les étapes potentielles dans la vie d’une femme. Certaines stations sont de couleur rouge— symbo­lisant un feu de signalisation rouge— par exemple, le choix de ne pas dénoncer un harceleur, tandis que d’autres stations sont de couleur verte pour symboliser le feu vert et le développement, par exemple le choix de mener une carrière professionnelle et d’épauler son mari.

La campagne s’étend égale­ment à d’autres sujets, notam­ment au planning familial et à l’importance de l’enseignement pour pouvoir participer au mar­ché du travail. Les affiches rap­pellent par ailleurs le n°15115, la ligne verte du bureau des plaintes du Conseil national de la femme. Ce bureau, qui possède déjà 27 branches dans les différents gou­vernorats, joue un rôle principal dans l’identification des pro­blèmes de la femme égyptienne. « Les idées traitées par la cam­pagne sont le fruit d’un brains­torming sur la base des plaintes présentées par les femmes, qui a permis la détermination des fac­teurs qui influent positivement ou négativement sur l’émancipa­tion de la femme », souligne Safaa Habib.

Un nouveau discours

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Les femmes sont encouragées à porter plainte en cas de harcèlement sexuel.

L’idée de la campagne et son exécution montrent que le Conseil national de la femme a changé son concept. Selon Rania Nabil, bloggueuse féministe, elle ne se contente plus du discours élitiste d’experts dans des confé­rences ou des ateliers de travail et qui proposent des projets de loi en faveur de la femme. Elle s’adresse directement au public, ce qui donne de l’espoir en un avenir meilleur pour la femme. « On espère atteindre toutes les femmes, surtout celles qui vivent dans des environnements qui ne défendent pas les droits de la femme. Parvenir aux femmes qui vivent dans les gouvernorats est notre objectif. Nous n’allons pas nous contenter de la campagne du métro, qui va durer 3 mois », a déclaré Maya Morsi, présidente du Conseil national de la femme.

Pour sa part, Fatma Khafagui, membre du Conseil d’adminis­tration de l’Union de la femme arabe, aurait souhaité que la campagne soit plus proche du terrain. Il n’est en effet pas rare que les femmes qui revendiquent leurs droits subissent des pres­sions de la part de leurs proches. Par exemple, une femme qui décide de porter plainte pour harcèlement et dont l’entourage essaie de l’en dissuader pour « ne pas entacher l’honneur de la famille ». Un facteur dont il faut, selon elle, tenir compte pour tendre efficacement la main aux femmes.

Par son idée, la campagne appelle les femmes et les hommes à ne pas se plier à des traditions rétrogrades et suscep­tibles de freiner l’émancipation de la femme. Auprès des passa­gers du métro, elle suscite les réactions les plus diverses. « Chez nous, à Chibine Al-Qanater, à Qalioubiya, il arrive que des filles perdent leur vie à cause du mariage précoce. Récemment, une fille de 14 ans est morte après une semaine de mariage. J’espère donc que cette campagne s’étendra à d’autres moyens de transport et parvien­dra aux gouvernorats pour sen­sibiliser ceux qui ne quittent pas leurs villes natales », indique une étudiante à la faculté des lettres de l’Université du Caire.

Merihane, étudiante à la facul­té des sciences informatiques, met l’accent sur ce fait. « Puisque les passagers viennent de milieux culturels différents, je pense qu’il aurait mieux valu filmer ces messages pour qu’ils parvien­nent aussi aux personnes illet­trées », dit-elle. Elle pense par ailleurs que le public du métro, surtout à la station de l’universi­té, n’a pas besoin d’une sensibi­lisation sur l’importance de l’en­seignement notamment, car la plupart des passagers sont des étudiants universitaires.

Aya, étudiante à la faculté de commerce, en revanche, approuve les différents messages de la campagne de sensibilisa­tion, car elle pense qu’ils s’adres­sent au milieu dans lequel elle a grandi. « Ma mère n’a pas pour­suivi ses études au-delà du cycle primaire. Par conséquent, elle n’a pu travailler que comme femme de ménage. Quant à ma soeur, elle s’est mariée très jeune, et après 15 ans de mariage, elle a réalisé qu’elle avait manqué son enfance. Face à ces expé­riences, j’ai décidé de me battre pour ne pas subir le même sort », souligne-t-elle. Aya a dû étudier les matières nécessaires pour l’obtention d’une équivalence au bac et trouver une place à l’uni­versité. Et le défi continue. « Si le travail exige que je suive d’autres stages de formation, je le ferai », déclare-t-elle.

La campagne de sensibilisation est donc lancée, montrant aux femmes qu’elles sont écoutées. Il reste à souhaiter qu’elle réussisse à atteindre le plus grand nombre possible de femmes et que celles-ci se sentent interpelées .

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