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Se ressourcer grâce au sel du désert

Manar Attiya, Lundi, 10 décembre 2018

Située à 700 km du Caire, l'oasis de Siwa attire les visiteurs, tant égyptiens qu'étrangers, pour ses nombreux atouts, notamment la possibilité d'y effectuer un séjour thérapeutique. Les soins à base de sel sont très appréciés. Reportage.

Se ressourcer grâce au sel du désert
(Photo : Mohamad Abdou)

« Pendant près de 20 ans, j’ai souffert de lombalgies aiguës avec une sciatique de la jambe droite. A la fin, je ne supportais plus les anti-inflammatoires, quelle qu’en soit la forme : comprimés, pommades, piqûres. En 2016, mon médecin généraliste m’a proposé d’essayer une cure de sel à Siwa. Voilà enfin deux hivers passés sans lombalgie ni sciatique, à peine quelques douleurs articulaires et mus­culaires lorsque le climat est très humide. Aujourd’hui, je ne prends plus de médica­ments », raconte Monique, une Française âgée de 72 ans qui vient, depuis deux ans, faire des séjours curatifs à Siwa.

Allongée sur une chaise longue en bois sur une terrasse ensoleillée dans un vaste jardin semé de palmiers dattiers, Nicole, 69 ans, pro­fite d’une séance thérapeutique en plein air. « La cure me permet de passer l’hiver de façon plus confortable. J’ai des problèmes ligamen­teux à l’épaule droite et la thérapie respiratoire à base de sel m’a permis de ne pas me faire opérer ». A quelques mètres de la terrasse se trouve une source d’eau salée naturellement chaude, en hiver comme en été. Ces sources chaudes forment une piscine naturelle en plein air, d’où l’on a une vue splendide sur les mon­tagnes. « Je me baigne dans ces sources pen­dant des heures pour soigner mon rhuma­tisme », dit Sohayla, une femme âgée de 65 ans, qui visite les lieux avec son fils. Et d’ajouter : « Selon mon médecin, ces eaux chaudes ont des propriétés curatives efficaces en cas de troubles nerveux, de mauvaise circulation, de douleurs musculaires et articulaires, ou d’irritation de la peau ».

Thérapie en plein désert

Se ressourcer grâce au sel du désert
Mounir Neëmatallah, propriétaire, a remis au goût du jour l’utilisation du kershief, se faisant aider des plus vieuxh abitants du village, afin qu’ils transmettent leurs techniques de confection. (Photo : Mohamad Abdou)

L’hôtel Adrère Amellal, dont le nom signifie « la montagne blanche » en langue amazigh ou berbère — d’après le nom du lieu où il a été édifié —, réunit le luxe et la nature. Il semble ne pas avoir d’adresse, comme perdu en plein désert. Pour y arriver, on doit s’engager dans le désert de Libye et traverser une mer de sable jusqu’à l’oasis de Siwa. Toutefois, les dix heures de route depuis Le Caire n’empêchent pas les visiteurs de parcourir les 700 km pour faire un séjour thérapeutique dans ce lieu magique, situé à 300 km des côtes méditerra­néennes, au sud de la ville de Marsa Matrouh et à 80 km des frontières libyennes. Un périple qui les mène dans un hôtel que certains considèrent comme l’un des plus étonnants d’Egypte, comme un ancien palais sorti des Mille et une Nuits. « On y trouve une ambiance qui apaise l’esprit et améliore le sommeil, ainsi que les facultés d’attention et de concentration. C’est un moyen efficace pour lutter contre l’anxiété, la dépression ou la tristesse. Bref, c’est un endroit qui stimule les sens », déclare un client, homme d’affaires, en visite pour la première fois. « Ici, on est loin des ventilateurs, des cli­matiseurs et de tout équipement moderne ou électronique. Tout au long de mon séjour, je n’utilise pas mon smartphone, interdit ici à l’hôtel », ajoute-t-il d’un ton satisfait.

Depuis sa création, Adrère Amellal attire les touristes à la recherche d’un hébergement à la fois simple et de haute qualité, qui viennent y respirer l’air salin dégagé par les pierres de sel. Un endroit tout à fait différent d’un hôtel de luxe traditionnel, puisque les clients peuvent y faire une thérapie à base de sel — appelée halothéra­pie — dans deux salles de spa. Les bienfaits de cette thérapie sont attribués à la présence, dans l’air ambiant, de minéraux importants pour l’équilibre du corps, d’oligo-éléments et d’ions négatifs. A l’abri de toute pollution atmosphé­rique, la qualité de ce sel est intacte. Il est natu­rellement pur, sain et riche de toutes les vertus de sa mer d’origine. « Ce sel blanc renferme 80 minéraux et oligo-éléments essentiels, ce qui le rend bénéfique pour notre organisme. Il est riche en magnésium, potassium, iode, calcium, fer, zinc, cuivre, chrome, fluor, lithium, phosphore, brome, aluminium, cobalt et autres. Sa structure cristalline extrêmement fine rend ces éléments et minéraux facilement assimilables par l’orga­nisme et lui procure de l’énergie positive », explique Am Eissa, ouvrier qui a participé à la construction de « la montagne blanche » avec plus de 150 maçons, charpentiers et menuisiers habitant la région et qui ont été recrutés pour donner jour à cet édifice grâce à leurs techniques ancestrales et leur artisanat. Ce bédouin du désert, âgé d’une soixantaine d’années et illettré, a appris toutes ces formations concernant les bienfaits du sel d’un chercheur polonais qui a visité Siwa pendant la construction de l’hôtel.

« Les minéraux et oligo-éléments diffusés dans l’air par les cristaux de sel agissent sur les voies respiratoires pour purifier et revitaliser l’organisme. Les bienfaits de la thérapie par le sel sont multiples : prévention des troubles res­piratoires, renforcement du système immunitaire et revitalisation de l’organisme, diminution de l’état de fatigue et de stress, réduction des troubles du sommeil et de dépression, élimina­tion des toxines et assouplissement de la peau, etc. », énumère Dr Abdel-Samie, médecin géné­raliste, habitué à se rendre régulièrement à Siwa. Il n’hésite pas à prodiguer ses conseils aux patients, comme passer quelques heures au spa ou dans la grotte de sel. « Ici, le patient peut profiter des mêmes bienfaits qu’à la mer, et ce, au milieu d’un environnement riche en iode. Ce sel a des effets positifs sur la santé et peut rem­placer certains médicaments », dit-il.

A l’intérieur de l’hôtel, les matériaux sont exclusivement naturels et locaux. Les murs sont revêtus de sel de roche, des feuilles de palmiers tressées sont utilisées pour les toits, tandis que des branches d’oliviers permettent d’accrocher les vêtements. Il n’y a ni électricité, ni télé­phone, et les portables sont bannis. Les passages sont éclairés par des bougies à la cire d’abeille ou des lampes à huile, donnant une lumière bleutée tamisée. Le bâtiment est un véritable labyrinthe de couloirs sinueux menant à des terrasses somptueuses et à des espaces recou­verts de sel de roche. Les lits sont faits en blocs de sel, les fenêtres sont sculptées ou ornées de pierres blanches, alors que les meubles et les sofas sont en terre et couverts de coussins blancs. Le décor des 40 chambres de l’hôtel est simple, mais chic.

Hébergement écologique

Se ressourcer grâce au sel du désert
Des couloirs sinueux mènent à des places couvertes, des salons de lecture et des terrasses ensoleillées. (Photo : Mohamad Abdou)

L’idée de construire cet hôtel écologique revient au Dr Mounir Neëmatallah, un Cairote âgé d’une soixantaine d’années, épris des lieux. La vie de ce chef d’entreprise, diplômé de l’Uni­versité de Columbia à New York, a complète­ment changé après sa rencontre fortuite, en 1995, avec la montagne blanche, à 17 km de Siwa. Touchée par la beauté des lieux, Neëmatallah a décidé de lancer un vaste projet de développement durable. Romantique et rêveur, il a eu l’idée de construire un hôtel à 100 % écologique. « C’était là et nulle part ailleurs », raconte Neëmatallah, qui a déterré les ruines d’un ancien hameau et y a créé cet havre de paix. Après 5 ans de travaux, l’édifice, construit en « kerchief » — un mélange de pierre, de terre, de sel et d’eau salée — a vu le jour en 2000. Avant la construction de l’hôtel, les lieux étaient habités par quelques familles siwies, réparties sur 22 petites maisons. Neëmatallah, qui est devenu par la suite proprié­taire de l’hôtel, a racheté l’endroit à ses habi­tants et leur a ensuite donné du travail, ainsi que l’occasion d’utiliser leur savoir-faire et leurs recettes ancestrales au profit du bien-être des clients de l’hôtel. « Jadis, je possédais 70 fed­dans, mais je les ai vendus au Dr Mounir pour ensuite travailler chez lui », raconte Am Edriss, un homme de 52 ans, dont les origines remon­tent à la tribu Moussa et qui parle le berbère.

Grâce au kerchief, les habitants d’Adrère Amellal et de Siwa ont toujours vécu sans avoir besoin ni de ventilateurs, ni de climatiseurs, et ce, pour une simple raison : « Le kerchief possède des facultés d’isolation surprenantes. Il conserve la chaleur de l’été pendant l’hiver et la fraîcheur de l’hiver pen­dant l’été. Donc, la climatisation devient inutile. Et tant mieux, car il n’y a pas d’électricité », note Neëmatallah. Dans les années 1990, le kerchief avait quasiment disparu en tant que matière de construction locale. Neëmatallah est alors parti à la recherche des derniers artisans qui possédaient encore les secrets de sa fabrication. Grâce à l’en­thousiasme du propriétaire de l’hôtel et après plu­sieurs essais, le kerchief a recommencé à être uti­lisé comme alternative au ciment.

Construit sur le flanc d’une montagne de cal­caire blanc, avec une superficie de 75 feddans et sur un seul étage, Adrère Amellal est un hôtel où les clients ressentent une énergie positive. Avec son côté à la fois simple et exclusif, il vise une clientèle aisée, qui comprend notamment des hommes d’affaires égyptiens et des célébrités étrangères qui cherchent un refuge thérapeutique. Sur la liste des clients célèbres ayant séjourné à l’hôtel figurent l’acteur français Gérard Depardieu, la reine de Belgique, le présentateur français Antoine de Caunes et le prince Charles et son épouse Camilla. Enfin, « 20 ambassadeurs de différents pays d’Europe sont venus y passer le week-end du 4 octobre 2018 », raconte cheikh Soliman Abdallah, directeur de l’hôtel. Assis sur une « galsa arabi », soit « à l’arabe », sur des coussins directement installés sur le sol, il aime offrir à ses invités un repas léger composé de légumes, d’olives et de dattes cultivés dans le jardin biologique de l’hôtel. Le tout suivi d’un shay fil khamsina (le thé à la siwie) aux feuilles biologiques de citron provenant également du jardin de l’hôtel.

Adrère Amellal est un exemple encore trop rare d’écologie sociale. Ecologique, car il res­pecte et protège l’environnement, et social, parce que tout se fait en collaboration avec la population locale. Un modèle d’hôtel basé sur l’écologie durable, comme le dit un client habi­tué des lieux.

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