« J’aimerais réaliser mon rêve, celui de fonder le premier musée d’histoire naturelle en Egypte et au Moyen-Orient, à l’instar de ceux de Londres et de Washington ». C’est ce que confie Hicham Salam, professeur à l’Université de Mansoura au département de géologie. « Un musée renfermant des fossiles de dinosaures et d’autres spécimens d’animaux rares que les touristes pourraient visiter ». Ce rêve pourrait bien se concrétiser un jour. Car suite à la découverte du dinosaure baptisé Mansourasaurus Shahinae, le fossile le plus complet jamais mis au jour, par les équipes du professeur Salam, un centre a ouvert « pour former le personnel nécessaire à la création de ce projet ambitieux », poursuit-il.
Mansourasaurus Shahinae est le sixième dinosaure découvert en Egypte, mais le premier qui remonte à cette période du crétacé.
(Photo:Mohamad Adel)
Nous sommes à l’Université de Mansoura, précisément dans le Centre de Mansoura pour les vertébrés fossiles, le premier centre du genre au Moyen-Orient. De jeunes chercheurs réunis autour d’une grande table observent minutieusement des fossiles alors que d’autres tentent de comprendre le processus d’extraction des ossements et la procédure de leur conservation. Un troisième groupe est en train de feuilleter le Journal of Vertebrate Palentology (journal de paléontologie des vertébrés) qui publie les dernières recherches dans ce domaine, tandis qu’un autre discute des détails d’une prochaine expédition dans le désert avec le professeur.
Ce centre, qui a ouvert ses portes le mois dernier, est le résultat de la dernière grande découverte qui a fasciné les paléontologues. Il s’agit du fossile le plus complet mis au jour et datant de la fin de la période du crétacé (entre 100 et 66 millions d’années). Vu l’importance de l’événement, cette découverte a été publiée dans l’une des revues scientifiques les plus prestigieuses, Nature Ecology and Evolution. La raison est que les paléontologues ont découvert très peu de fossiles de cette période géologique en Afrique. D’où le grand intérêt suscité par Mansourasaurus Shahinae (du nom de l’université qui a parrainé l’étude et de Shahinae, le nom de famille de son épouse à qui il doit sa réussite). Ce fossile va permettre de mieux comprendre l’évolution des dinosaures à l’époque de la Pangée, l’époque où la terre ne comptait qu’un seul continent.
(Photo:Mohamad Adel)
C’est durant la période du crétacé que les masses terrestres ont commencé à se morceler et dériver, une période encore relativement floue pour les paléontologues. Et l’Afrique reste toujours un point d’interrogation pour eux en termes de vie terrestre à la fin de l’ère des dinosaures. Il était donc impossible d’élucider le mystère de la présence de certains dinosaures en Afrique sans la présence de ces fossiles. La découverte de ce super fossile marque donc une grande avancée.
En examinant la structure des os, les paléontologues ont compris que Mansourasaurus était le spécimen apparenté aux dinosaures européens et asiatiques. Ceci est la preuve que les dinosaures pouvaient se déplacer entre l’Afrique et l’Europe. « Quand j’ai vu les images des fossiles pour la première fois, les bras m’en sont tombés », a confié le Dr Matt Lamanna, paléontologue au Carnegie Museum of Natural History et co-auteur de l’étude, dans un communiqué de presse. « Ce dinosaure est le Saint Graal que nous, les paléontologues, recherchons depuis bien longtemps », ajoute-t-il dans un communiqué de presse.
Si Mansourasaurus est le sixième fossile découvert dans le Sahara égyptien qui ne cesse de dévoiler ses secrets aux paléontologues depuis 1911 — date de la première expédition guidée par l’Allemand Ernst Stromer —, cette découverte est la première réalisée par une expédition égyptienne. Une équipe constituée en majorité de femmes et dont le parcours fut semé d’embûches. Quatre jeunes filles issues d’un milieu rural ont décidé de mener cette expédition malgré toutes les contraintes sociales qui ont pesé sur elles. « On savait qu’on allait réaliser quelque chose qui allait permettre de graver nos noms dans l’histoire de la paléontologie. Et nous étions prêtes à tout pour réaliser notre objectif », explique la chercheuse Sanaa Al-Sayed, 28 ans, professeure à la faculté de sciences et membre au sein de l’équipe constituée de trois autres jeunes filles : Iman Al-Dawoudy et May Al-Amiri, natives de Mansoura, alors que Sara Saber est originaire de la Haute-Egypte. « L’idée a germé alors qu’on était en train de préparer notre thèse. On avait l’habitude de sortir dans des expéditions dans l’oasis Al-Dakhla. En examinant les roches sédimentaires, on savait que l’histoire de ces couches sédimentaires coïncidait avec la période des dinosaures avant leur disparition. On a voulu retrouver des fossiles, car on avait quelques preuves malgré le manque d’informations concernant les 40 millions d’années qui ont précédé l’extinction des dinosaures », confie Sara Saber, 28 ans, professeure à l’Université de Mansoura.
De retour en Egypte après une bourse d’études à l’Université d’Oxford en Angleterre, le professeur Hicham Salam a eu l’idée de former la première équipe d’expédition égyptienne. « Je ne pensais pas que mon rêve, celui de trouver ce fossile de dinosaure, puisse être réalisé par de jeunes chercheuses. Elles me paraissaient fragiles et incapables de supporter les difficultés sur le terrain. J’avoue avoir été fasciné par leur persévérance », reconnaît le professeur Hicham Salam.
C’est le hasard qui a guidé l’équipe à la première découverte en 2014. Un an auparavant, l’équipe était partie fouiller dans les quatre coins du désert, accompagnée par le professeur Hicham Salam qui donnait un cours à Al-Wadi Al Guédid, l’université principale des étudiants vivant dans les oasis du désert occidental. Dans ce gouvernorat, l’équipe de chercheurs avait l’habitude de faire des sorties périodiques dans le désert pour étudier les couches terrestres.
« C’était le dinosaure qu’on cherchait depuis longtemps »
Il s'agit de la première équipe d'expédition égyptienne au Moyen-Orient.
Les souvenirs défilent dans la tête de Sanaa : « Sara s’est arrêtée brusquement et nous a prié de venir sur le site où elle a découvert des ossements. Quand on était arrivé, on a compris qu’il s’agissait du fossile d’un seul spécimen, les os étaient dispersés sur une distance de 5 mètres aux alentours. C’était le dinosaure que l’on cherchait depuis longtemps avec le professeur Hicham Salam ». La jeune femme poursuit : « Au même moment, ce dernier avait remarqué un camion roulant au loin. Il nous a conseillé de nous éloigner, afin de ne pas attirer l’attention du chauffeur qui est passé juste à quelques pas du site de recherche, tentant de nous intimider et nous faire comprendre qu’il est le maître des lieux. Car il travaillait dans la carrière qui se trouvait tout près du site », raconte Sanaa.
L’équipe est sur ses gardes, car elle a déjà eu une mauvaise expérience quelques mois auparavant. « En 2013, nous avions découvert un fossile de dinosaure proche de la route en asphalte ». Mais après une semaine de dur labeur en plein désert et sous une chaleur accablante, l’équipe a vu son travail détruit par un habitant d’un village proche. « Il est passé à moto tout près du site et a saccagé le fossile, pensant que nous étions en train de déterrer des antiquités que recherchent la majorité des habitants de cet oasis dans le but de les revendre. Atterrés par ce qui venait d’arriver, nous étions même incapables d’expliquer aux gens la nature de notre mission, car la science de la paléontologie est peu connue en Egypte », se rappelle la chercheuse.
Alors, pour cette nouvelle découverte, l’équipe a pris toutes les précautions nécessaires en recouvrant les ossements avec du sable pour camoufler sa trouvaille et éviter sa destruction, et surtout empêcher que d’autres personnes s’approprient le fruit de leurs efforts. Faute de moyens, l’équipe a été obligée de rentrer à Mansoura, afin de préparer une nouvelle expédition plus longue, retourner le plus tôt possible sur le site pour terminer le travail et ce, après avoir enregistré l’endroit par GPS. « On s’est posé plusieurs questions. Comment continuer cette expédition alors qu’on n’avait pas les moyens financiers pour le faire, ni même les outils nécessaires pour mener à bien notre mission ? Comment convaincre nos parents d’aller séjourner plus de trois semaines en plein désert sans aucune mesure de sécurité ? Mais nous étions toutes déterminées à braver tous ces défis », poursuit Sara Saber.
Convaincre les familles des chercheuses
Le Centre de Mansoura pour les fossiles vertébrés, premier en son genre en Egypte, est le fruit de cette découverte importante.
Avant le départ, le professeur Hicham Salam a dû convaincre les parents des filles, leur expliquant l’importance de cette mission qui pourrait constituer un tournant dans leur vie. « Dans les milieux ruraux, les familles sont très conservatrices et n’acceptent pas que les filles passent la nuit en dehors de la maison. Alors, pour que les parents acceptent qu’elles séjournent dans un bivouac en plein désert pendant trois semaines, ça n’a pas été une chose facile », explique le professeur, qui a peiné à convaincre le père de Sanaa. « Il ne pouvait admettre l’idée de voir sa fille dormir sous une tente et j’ai mis du temps à le convaincre. Cette année, avec le père d’une autre chercheuse qui a récemment rejoint le centre, j’ai eu le même problème. Et c’est le père de Sanaa qui s’est chargé de le convaincre », dit-il d’un air amusé.
La subvention octroyée par l’Université de Mansoura est bien modeste, comparée aux frais de l’expédition. Du coup, les membres de l’équipe ont ramené l’approvisionnement nécessaire en nourriture et ont fait un voyage qui a été pénible. « Nous sommes partis avec la voiture du professeur Hicham Salam qui n’était pas équipée pour rouler dans le désert. Nous étions serrés comme dans une boîte de sardines, avec les bagages et les outils nécessaires pour la fouille entassés sous nos pieds. On a parcouru 600 km, sans avoir le luxe ni d’étendre nos jambes, ni de s’arrêter en cours de route », raconte Sanaa, qui a emporté avec elle des vêtements légers et chauds, car au mois de mars, il fait chaud le matin dans le désert, mais le soir, la température peut descendre à zéro.
Une fois arrivées sur le lieu de fouille, ces jeunes filles devaient parcourir une distance de plus d’un kilomètre et escalader des dunes de sable pour retrouver du réseau téléphonique et joindre leur famille. « On devait appeler nos parents deux à trois fois par jour pour les tranquilliser. C’était fatigant de faire ce chemin sous une température de plus de 40° C. Et on était aussi obligé de le faire le soir et en même temps profiter pour surfer sur le net à la recherche d’une information dont on aurait besoin le jour suivant », confie Sara.
L’équipe allait s’approvisionner en eau dans les villages proches, et mangeait chaque jour presque la même chose : des conserves, du fromage, du riz et quelques légumes. « La viande et le poulet, c’était du luxe pour nous. On y a goûté deux fois pour célébrer la découverte de la mâchoire du dinosaure, qui était une partie importante du puzzle, et les morceaux des plaques osseuses qui consolidaient sa peau », précise Sanaa.
Et les toilettes ? « Dans cette expédition, les ouvriers de la carrière située à proximité du site ont compris le but de notre mission et nous ont proposé d’utiliser leur WC, avec des conditions pour les horaires : avant 5h et après 22h. Je devais me réveiller à 4h et projeter une lumière d’un flash de caméra vers la tente des filles pour les réveiller et les accompagner, dans l’obscurité totale, aux toilettes situées à une distance de quelques kilomètres du site », se souvient le professeur Hicham Salam.
Dans le désert, les dangers sont multiples. Mais l’équipe semble avoir retenu des leçons des expériences précédentes. « Une bande de trafiquants d’antiquités nous a coupé un jour la route sous prétexte que cette région leur revenait de droit concernant la fouille des pièces d’antiquité. Mais cette fois, nous détenions un dossier complet renfermant tous nos papiers qui montrent la nature de la mission. On leur a même présenté des échantillons de fossiles, afin de les convaincre de nous laisser travailler », poursuit Sanaa. Et ce n’est pas tout. « Travailler dans le désert est pénible et nécessite beaucoup d’efforts. On peut tomber sur une pierre pesant 100 kg et là, il faut compter sur nos biceps pour la soulever », confie Sanaa, qui a dû pousser la voiture avec l’aide de ses collègues en plein désert pour la remettre en marche. Les tempêtes du désert ont rendu difficile le travail, mais le plus redouté était Al-Khamassine, ce vent fort qui frappe l’Egypte au printemps. « Tandis qu’il fallait déblayer soigneusement les roches, appliquer de la colle afin de maintenir les os, les emballer dans du papier normal puis dans du papier cellophane avant de les conserver dans du plâtre, on était dans une course contre la montre. On voulait à tout prix terminer la mission avant que le khamsin ne se lève. Pourtant, la tempête de sable s’est levée une demi-heure, et a emporté la tente des filles et a éparpillé leurs affaires », raconte-t-elle. « Mais notre seule préoccupation à ce moment-là était de protéger les fossiles en les couvrant de morceaux de tissus et de cailloux, afin de ne pas refaire tout le travail », explique Sanaa.
Aujourd’hui vice-présidente du Centre des vertébrés, Sanaa est à l’aise dans ce nouveau rôle et aime transmettre ses connaissances et expliquer comment faire un plan détaillé pour extraire un fossile ou raconter l’histoire de cette découverte majeure aux jeunes qui rêvent de suivre le même parcours qu’elle.
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