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La guerre contre le plastique est déclarée

Dina Bakr, Mardi, 16 octobre 2018

Les Egyptiens utilisent chaque année 12 millions de sachets en plastique pour faire leurs courses et dans les tâches ménagères. Vu les problèmes environnementaux causés par le plastique, l’heure est toutefois venue de changer de comportement. Enquête.

La guerre contre le plastique est déclarée
(Photo : Yasser Al-Ghoul)

Des tas de sachets en plastique sont posés sur les étalages des vendeurs de fruits et de légumes. Des sachets transpa­rents de couleur jaune servant à emballer les achats. Chaque client en saisit un ou plusieurs pour emporter ce qu’il désire. Personne ne peut se passer de ces sachets, même si certains légumes sont emballés dans des barquettes, comme c’est le cas des champi­gnons frais ou des aubergines et courgettes nettoyées et vidées servant à la préparation de mah­chis (légumes farcis).

« A chaque fois que je fais mes courses, je reviens du marché avec un tas de sachets en plastique. Je les réuti­lise pour envelopper l’intérieur de la poubelle de la salle de bain et celle de la salle de séjour », déclare Magda, femme au foyer. Elle glisse le surplus dans un tiroir du buffet de cuisine, et lorsque la quantité devient impor­tante, elle s’en débarrasse en les jetant à la poubelle.

D’autres personnes, qui vont dans les supermarchés, profitent de prendre deux ou trois sachets supplémentaires, même si elles ne vont pas les utiliser dans l’immédiat. « Je les trouve très pratiques. Je m’en sers pour mettre les restes de nourriture ou de vieux vêtements. Quant aux grands sachets, je glisse à l’inté­rieur les couvertures lavées avant de les ranger dans le placard. Et lorsque je vais en voyage, je mets les produits cosmétiques tels que champoing, crème et dentifrice dans des sachets séparés avant de les ranger dans la valise. Au cas où les bouchons seraient mal fermés, mes vêtements resteront intacts », explique Hend. Cette jeune maman choisit souvent des sacs de dimen­sions qui lui conviennent pour les réutiliser à la maison. Il arrive même que les caissières lui mettent un seul article dans un sachet qui peut en contenir 5.

Ghada Moughni, experte au Center of Environment and Development for the Arab Region and Europe (CEDARE), explique que d’un point de vue environne­mental, les sachets en plastique contiennent du polyéthylène, une matière produite à partir du pétrole et qui est difficilement dégradable naturellement. Elle souligne que le premier sac, qui a été fabriqué en 1970, ne s’est pas décomposé jusqu’à nos jours. « Les recherches ont montré que les sacs en plastique sont une source de pollution consi­dérable et qu’il faut entre 100 et 400 ans pour qu’ils se dégradent », dit l’experte, ajoutant que la situa­tion en Egypte est très grave. Les observateurs du CEDARE estiment que du point de vue économique et touristique, c’est un désastre : 12 millions de sachets sont utilisés par an, dont le coût de production s’élève à 2,5 milliards de L.E. « Ce chiffre est un fardeau pour l’écono­mie, car pour importer les produits dérivés du pétrole qui entrent dans la fabrication de ces sacs, il faut payer en dollars », précise Moughni.

Le plastique pollue et tue

L’experte signale encore que ces sacs en plastique sont légers et ont tendance à s’envoler. On les retrouve donc partout, dans les champs, les rivières, en montagne et en mer, où ils contribuent à la dégradation de l’environnement. Chaque année, 100 000 mammi­fères marins meurent parce qu’ils ingurgitent des déchets plastiques. Les tortues sont les plus touchées, car elles confondent la forme des sacs avec celles des méduses. De la même manière, plus d’un million d’oiseaux meurent, car ils confon­dent les sachets avec des oeufs de poissons flottant à la surface de l’eau.

Alors que les touristes viennent en Egypte pour découvrir la mer Rouge, plusieurs récifs coralliens étouffent sous les déchets plastiques. Du coup, les coraux blanchissent et perdent leurs jolies couleurs. Quant à la mer Méditerranée, elle est infestée de sachets plastiques. Selon les Nations-Unies, le plastique compte parmi les produits les plus polluants pour les fonds marins.

Voyant ces dangers, beaucoup de pays à travers le monde ont compris combien le plastique pouvait pol­luer l’environnement et certains tentent de restreindre leur utilisa­tion et même de les interdire. Dans plusieurs pays européens, par exemple, il faut payer entre 3 et 5 centimes par sac dans les supermar­chés, et ce, pour limiter leur utilisa­tion. Par ailleurs, les citoyens ont trouvé des substituts à ces sacs, comme les caddies de la ménagère plus pratiques. Certains points de vente proposent aussi des sacs en papier ou biodégradables pour leurs clients. D’autres pays, comme le Maroc, la Tunisie et le Rwanda, ont entièrement interdit les sacs en plastique.

La guerre contre le plastique est déclarée
(Photo : Moustapha Emeira)

Le CEDARE a entamé, en juin 2017, une campagne de sensibilisa­tion pour réduire l’utilisation des sachets plastiques en Egypte. « Nous avons eu des séances de consultation avec les fabricants de sachets plastiques et les proprié­taires de différentes antennes de supermarchés et pharmacies, afin de trouver le meilleur moyen de protéger l’environnement. Les pro­ducteurs ont été d’accord pour fabriquer des sacs biodégradables, ce qui va toutefois augmenter de 10 à 11 % les coûts de production », précise Moughni.

Le CEDARE a également distri­bué des sacs biodégradables dans 72 antennes de supermarchés, afin d’instaurer ce principe. De même, ces supermarchés proposent des sacs de substitution fabriqués dans une matière esthétique et plus résis­tante et qui se vend à 17 L.E., alors que les sachets plastiques sont gra­tuits. « Les citoyens ne sont pas encore conscients des dégâts cau­sés par les sachets plastiques que l’on jette partout », remarque l’ex­perte. L’organisation internationale projette donc de prolonger la cam­pagne. « On a besoin de sensibili­ser les gens à travers les médias et faire de la publicité à une heure de grande écoute, afin de toucher le maximum d’auditeurs », dit Moughni.

Le recours au recyclage

Outre les alternatives au plas­tique, il existe des efforts de la part de quelques ONG consistant à recourir au recyclage. Transformer les sachets plastiques en matières réutilisables pour la fabrication de nouveaux articles est l’initiative de l’Association Roh Al-Chabab, à Manchiyet Nasser. Une vingtaine de femmes travaillent sur la pre­mière ligne de cette industrie basée sur le recyclage du plastique. « On achète le kilo de sacs à 5 L.E. chez les chiffonniers et on lave les sacs avec des détergents pour en retirer la saleté. Après le lavage, on vérifie s’il y a toujours des taches, et si c’est le cas, on les jette. Puis, on les étend sur des cordes à linge pour les faire sécher. Cette première étape se fait hors des locaux de l’asso­ciation », explique Racha, 33 ans, l’une des employées du pro­jet.

Quant à la seconde étape, elle a lieu au sein de l’association, où un immense fer à repasser est disponible. Il sert à repasser les sacs plastiques en utilisant un procédé spécial pour rendre la matière plus maniable et plus résistante au moment de la coupe. Le tout se transforme alors en une plaque rigide. « Une certaine qualité est exigée. Les plaques ne doivent pas avoir de plis », déclare Samah, directrice du projet à l’association.

Chaque femme travaillant dans ce projet produit 120 plaques par mois. Toutes sont satisfaites d’exercer un travail non loin de chez elles, ce qui ne serait pas le cas si elles tra­vaillaient dans une usine, avec des horaires allant de 7h à 19h.

« Dans ce projet, on est à la fois proches de nos enfants, de notre lieu de travail et des chiffon­niers », avance Marie, l’une des employées. Les plaques sont envoyées au siège d’une société de design, où des stylistes les utilisent pour créer des pochettes, des porte­feuilles et des sacs à main. « J’ai suivi des stages de formation en Allemagne sur le recyclage créatif, afin de contribuer à la protection de la nature. On insiste sur la notion environnementale en écri­vant sur tous les articles la phrase suivante : Je suis le sac de tous les jours que vous préférez. Je respecte la planète et les gens. En me possé­dant, vous aidez au recyclage d’une trentaine de sacs en plastique », explique Yara Yassine, co-fonda­trice du projet. Les articles sont vendus en Egypte et même exportés en Allemagne et aux Etats-Unis.

Un autre projet, mené par de jeunes entrepreneurs au Caire, consiste à transformer des sacoches en plastique en chaises multico­lores et en accessoires pour la déco­ration des maisons. « Ces chaises attirent souvent le regard des clients. Et lorsque ces derniers apprennent qu’elles ont été fabri­quées avec du plastique recyclé, ils restent bouche-bée, et même s’ils les trouvent un peu chers, ils les achètent pour encourager les fabri­cants », dit un vendeur dans un magasin à Zamalek.

En plus des initiatives du CEDARE, des ONG et du ministère de l’Environnement qui, à l’occa­sion de la Journée mondiale de l’environnement le 5 juin, a abordé l’usage des sacs en plastique dans les médias. Il s’agit surtout de faire un effort pour changer les compor­tements. Pourquoi ne pas revenir aux habitudes d’antan, en utilisant par exemple des paniers en osier pour faire nos emplettes, comme le faisaient nos grands-mères ?

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