Une heure avant l’arrivée de Sameh à la maison, les climatiseurs s ’ a c t i o n n e n t automatiquement pour chauffer la villa. Dès qu’il rentre, les volets de certaines chambres s’ouvrent et quelques éclairages s’allument automatiquement. Dans la cuisine, Sameh prépare son déjeuner. « L’ensemble des appareils électroménagers est branché au système, et en cas de dysfonctionnement, un signal apparaît. Si la température du four électrique augmente ou si l’enfant oublie de fermer correctement la porte, un bip sonore se fait entendre pour le prévenir de la refermer », dit Fawziya, directrice générale dans un hôtel 5 étoiles. Cette maman ne rentre pas à la maison avant 18h.
Quant à son mari, directeur dans une grande entreprise pétrolière, il revient à la maison tard le soir. Après le déjeuner, Sameh ne veut pas faire ses devoirs, il voudrait regarder un film comique. « Tiens, la télé ne s’allume pas ! Pas même les jeux vidéos ! », marmonne l’adolescent, bien déçu. En fait, Fawziya a tout prévu pour obliger son fils à faire ses devoirs. « Je reçois un SMS m’informant que tout va bien et que mon enfant est en sécurité à la maison. Je suis rassuré, car il est en train de réviser ses leçons », dit Fawziya qui peut surveiller son fils à travers son smartphone.
En fait, la domotique, toute nouvelle en Egypte, se compose d’un box central connecté au réseau Internet de la maison à travers des modules qui communiquent avec elle. Ces modules doivent être installés sur les objets que l’on souhaite piloter pour assurer la sécurité de la maison et permettent de contrôler la gestion de l’énergie, à commencer par l’éclairage, ainsi que l’ouverture ou la fermeture partielle ou totale des volets roulants et le fonctionnement de la télévision, des climatiseurs ou de la porte du garage, en plus d’activer ou de désactiver les systèmes d’alarme, et ce, même à distance.
Le terme « domotique » est formé du mot latin « domus », qui signifie maison, et du suffixe « tique », qui veut dire automatique. Ce système peut être actionné à partir d’un smartphone, d’une tablette, d’un ordinateur ou d’un écran de contrôle, que l’on se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de la maison. Il a commencé à apparaître en Egypte au début des années 2010 dans les quartiers huppés d’Al-Tagammoe Al-Khamès, Al-Chourouq, Maadi, Moqattam et Qattamiya. Environ 10 000 villas et palais en sont dotés, de même qu’une centaine d’hôtels et de banques. L’immeuble gigantesque de la société Petrojet, situé à Al-Tagammoe Al- Khamès, l’Organisme national de communications, situé à Madinet Nasr, et le Smart Village utilisent cette nouvelle technologie. Quant aux particuliers, ils semblent surtout l’apprécier pour son aspect sécuritaire, notamment les mères très prises par leur travail, à qui elle permet d’avoir l’esprit plus tranquille quand leurs enfants sont seuls à la maison.
Une technique coûteuse
Si la domotique peut permettre de gagner du temps et de jouir d’un certain confort, cette technologie provoque aussi des questionnements. En effet, son coût est exorbitant. Alors, la question est : l’installation de la domotique est-elle utile à la maison ?
Nathalie, épouse d’un homme d’affaires, habite une belle villa de deux étages à Moqattam. Elle dit que le détecteur de fumée inclus dans le système domotique a coûté 150 dollars, le thermostat intelligent 320 dollars, la serrure automatisée 370 dollars et l’adapteur pour prise électrique 45 dollars, sans compter toute l’installation et les frais d’électricien. « Plus la superficie de la maison est grande, plus les coûts sont élevés. Pour les gens aisés qui désirent automatiser leur maison, les dépenses peuvent atteindre 200 000 dollars. A ce prix, c’est toute la maison qui devient intelligente, allant des serrures au lave-linge et au lave-vaisselle, en passant par le DVD et l’arrosage du jardin », explique l’ingénieur Mohamad Ali, propriétaire d’une entreprise en Egypte et aux Etats- Unis. On peut aussi choisir de n’installer le système que dans une seule pièce, en général la salle de séjour, pour inclure le climatiseur, les volets, la télé et la lumière, le prix variant alors entre 15 000 et 20 000 dollars. « Tous ces équipements sont importés et donc leurs prix augmentent en fonction du cours du dollar », explique hadj Abdel-Aziz, qui travaille au sein d’une grande entreprise d’électricité.
Plusieurs urbanistes voient d’un oeil critique ce luxe, à l’instar de Yéhia Chawkat, l’ingénieur et sociourbaniste. « Depuis des années, les gens riches, et même ceux de la classe moyenne, n’hésitent pas à dépenser de l’argent pour s’offrir tout ce qui est nouveau dans le domaine de la technologie, alors que beaucoup de citoyens vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Un quart de la société égyptienne vit avec 2 dollars par jour et beaucoup habitent des bidonvilles », déclaret- il.
Pour un certain nombre de mamans de la classe aisée et qui travaillent, cela est, en effet, une solution qu’elles apprécient, puisqu’elle leur facilite la vie et leur permet d’avoir l’esprit tranquille quand leurs enfants sont seuls à la maison. Sans parler des avantages de confort. Tel est le cas de Hoda, PDG dans une entreprise privée. « Je ne peux pas commencer une journée sans café et donc il est possible de régler mon système domotique de façon à ce que chaque matin en me levant, une tasse de café bien chaude m’attende dans la cuisine. Je quitte le travail assez tard et j’aime trouver les lumières allumées à mon retour ; il me suffit donc d’ouvrir l’application domotique et de presser sur un bouton. Cela me permet aussi d’assurer que le repas soit prêt avant que mes enfants et mon époux rentrent à la maison », explique-t-elle. Et d’ajouter : « Je peux aussi activer le mode sommeil en sortant de chez moi, ce qui provoque la fermeture des lumières, l’arrêt des appareils électroménagers et l’activation du système de sécurité. L’application de cette nouvelle technologie me facilite la vie ».
Comme avec toutes les technologies modernes, il y a aussi un revers de la médaille. La domotique — si elle est utilisée pour la surveillance d’enfants qui sont seuls à la maison pendant que leurs parents travaillent — est susceptible de modifier la relation parent-enfant et, partant, d’avoir des effets négatifs sur le bien-être de l’enfant. Et ce, d’autant plus si elle a pour effet de tranquilliser les parents à tel point que ceux-ci rentrent encore plus tard à la maison. D’après le Dr Nabil Zahar, professeur en psychologie éducative, l’enfant peut manquer de tendresse et cette technologie est susceptible de le priver d’une vie chaleureuse avec ses parents, ce qui peut le rendre malade ou entraîner des troubles psychiques à long terme.
Dr Yasser Al-Taliawy, expert en matière de développement humain, partage cet avis. Il attire l’attention sur le fait que cette technologie n’influence pas seulement le corps physique, mais aussi la façon de penser et de raisonner.
Les personnes nées après 1980 seraient ainsi différentes des précédentes générations du fait de leur exposition aux nouvelles technologies, qui influencent leur cerveau pour façonner des modes de pensée et d’apprentissage différents. « En grandissant, l’enfant peut manquer de créativité pour réaliser ses projets. A long terme, il peut devenir incapable de résoudre ses problèmes. Et quand un équipement tombe en panne à la maison, il se sentira perdu. D’ailleurs, compter sur cette nouvelle technologie peut aussi le rendre paresseux », explique-t-il.
Une aide pour les personnes âgées ?
En plus des aspects psychologiques, la domotique, si elle se répand, peut avoir des effets plus larges au niveau de la société. Selon la sociologue Sahar Hassani, elle pourrait ainsi contribuer à augmenter le taux de chômage, puisqu’elle permet de se passer, dans certains cas, d’une nounou ou d’une personne de compagnie. C’est le cas de Karima, qui a perdu son travail chez une famille quand les parents de la personne âgée de laquelle elle s’occupait se sont tournés vers la domotique.
Là encore, la domotique répond à un besoin sécuritaire : « Mes frères et moi avons décidé d’installer ce système dans la villa de mon père, âgé de 70 ans, et qui oublie souvent d’éteindre le four. L’année dernière, un court-circuit a provoqué un petit incendie et de la fumée s’est dégagée de la cuisine. Grâce au système d’alarme, on a été alertés à temps », relate Nahla, professeur d’anglais dans une école internationale. Nahla et ses frères ont installé le système au niveau des équipements électroménagers pour que leur père ne soit pas en danger, surtout que la plupart d’entre eux sont mariés et habitent ailleurs. « En cas d’accident, l’embouteillage pourrait nous empêcher d’arriver à temps. Avec ce système, on est plus tranquille ».
Lors d’un incendie, les fumées dégagées sont repérées par le détecteur d’incendie et la caméra de surveillance. Les capteurs de température signalent un réchauffement anormal. Toutes ces informations sont traitées par les systèmes d’équipements connectés. « Lors de l’incendie, la centrale domotique m’a alertée instantanément via ma tablette. J’ai ainsi pu prévenir les secours. Les volets et la porte se sont ouverts automatiquement pour faciliter l’évacuation de mon père », explique Nahla. Et d’ajouter : « Il vaut mieux recourir à cette nouvelle technologie qu’à une femme de ménage, qui vient un jour et s’absente le reste du mois ».
Reste à dire que malgré son coût élevé, la domotique ou « maison connectée » a le potentiel de devenir un vrai moyen d’économiser de l’énergie, à condition que le prix de son installation baisse. « J’ai installé le système de domotique chez moi, car cela m’aide à économiser de l’énergie. D’habitude, mes enfants sortent de leur chambre en laissant les lumières allumées et ils partent à l’école sans éteindre les climatiseurs. Parfois, ils laissent même les robinets ouverts. A présent, je ne suis plus obligé de tout contrôler derrière eux et cela me permet d’économiser du temps, de l’énergie et de l’argent », conclut avec satisfaction un père de famille de Qattamiya.
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