A environ 120 km du Caire, sur la route qui mène au gouvernorat d’Ismaïliya, l’odeur des mangues commence à se faire sentir. Et plus on s’approche de la ville, l’air est embaumé. Les arbres de ce fruit tropical qui font la particularité de cette ville se dressent de part et d’autre de la route. Eweis, Alfonse, Hendi, Sokkari et d’autres variétés de mangues sont exposées par des dizaines de vendeurs. Ces variétés sont si soigneusement empilées sur des étals en bois qu’il est difficile de résister à la tentation d’en acheter. Mais avant de le faire, il faut savoir reconnaître les différentes variétés de mangues pour ne pas être dupé par les marchands.
De la mi-juin à la mi-septembre, Ismaïliya accueille les gourmands de ce fruit. Ils viennent des quatre coins de l’Egypte pour acheter ce fruit délicieux. Ce gouvernorat est réputé pour être l’endroit qui produit les meilleures mangues en Egypte. « Tout le monde sait faire la différence entre les fruits de notre ville et ceux des autres régions qui peuvent avoir le même calibre mais pas le même goût », dit Yasser Al-Dahchan, avocat et grand propriétaire de vergers de manguiers à Ismaïliya. Il ajoute qu’à Ismaïliya, on cultive les mêmes variétés de mangues qu’en Haute-Egypte, à Charqiya par exemple ou ailleurs, mais que le goût des mangues d’Ismaïliya est unique.
La saison de la récolte, un signe de prospérité pour les habitants d’Ismaïliya.
(Photo : Ahmad Aref)
D’après lui, cela est dû au climat et à la qualité du sol. « La terre est très fertile et renferme une grande quantité de sels minéraux provenant de l’eau du Canal de Suez et du lac Al-Temsah. « Il y a à Ismaïliya 110 000 feddans de plantations de manguiers qui produisent environ 200 tonnes de fruits, et c’est notre vrai trésor et c’est aussi le gagne-pain de beaucoup d’habitants. 90 % d’entre eux travaillent dans la culture des mangues ou sont liés d’une manière ou d’une autre à ce marché », dit Al-Sayed Khalil Moubarak, vice-ministre de l’Agriculture. Et d’ajouter qu’Ismaïliya est le premier gouvernorat en ce qui a trait à la superficie des terrains cultivés en mangues et les quantités produites. Dès le début du mois de juillet, tout le train de vie des habitants change et tout le monde commence à se préparer à la saison de la récolte. Et même si certains exercent d’autres boulots, toute leur attention est portée sur la saison des mangues qu’ils attendent avec impatience. Durant cette saison, le besoin en chauffeurs, ouvriers, paysans, fabricants de boîtes en carton ou en bois et d’autres métiers se fait sentir. Les habitants contribuent à la cueillette et la vente des mangues, chacun dans son domaine. Yasser Al-Dahchan passe la majeure partie de son temps avec les paysans. Habillé en djellaba, il suit chaque détail de la récolte et travaille lui-même avec ses mains. Les préparatifs commencent au mois d’octobre de l’année qui précède la récolte. Il faut d’abord tailler les arbres pour diminuer leurs volumes et permettre aux rayons du soleil et à l’air d’y pénétrer. Puis, il faut nettoyer le sol pour enlever les mauvaises herbes et les pulvériser de pesticides. Une étape très importante qui dure jusqu’à la saison de la récolte.
Mohamad Banayoti, marchand de gros, tâte lui-même les mangues avant de les cueillir
(Photo : Ahmad Aref)
C’est au mois de mars qu’a lieu la floraison, et au mois d’août, la récolte. Alors, au mois de juillet, les marchands commencent à faire le tour des vergers pour conclure des accords d’achats avec les propriétaires. « Les contrats sont verbaux, car on se connaît tous ici et chacun doit respecter sa parole », dit Mohamad Banayoti, marchand de gros. Une fois les accords conclus, les commerçants ramènent les paysans et les ouvriers pour qu’ils séjournent dans des champs jusqu’à la fin de la saison. « Tout le monde attend cet événement annuel important, car les revenus de la récolte servent à améliorer notre niveau de vie tout le reste de l’année », dit Banayoti. Il parle en donnant des ordres aux paysans, les sommant de faire le tour du verger pour récolter les fruits mûrs. Abdallah se met à la tâche immédiatement, tenant à la main un bâton en bois dont l’extrémité porte un crochet en fer. Il n’a que 18 ans, mais il semble être un expert dans la cueillette des mangues. Il tâte chaque fruit avec son bâton puis décide d’en récolter certains et d’en laisser d’autres sur les arbres. « Je ne peux vous expliquer comment choisir le moment convenable pour récolter chaque fruit, il n’y a pas de règles précises à suivre. C’est vrai qu’il y a la texture ou l’apparence de la mangue qui peuvent donner une bonne idée quant à sa maturité, mais la plupart du temps, je le fais par instinct car c’est une chose qu’on acquiert par expérience », explique Abdallah. Ce dernier vient de réussir au bac et se prépare à entrer à l’université. L’argent qu’il va gagner à la fin de la récolte servira à payer ses études universitaires. D’ailleurs, c’est ainsi qu’il a pu économiser de l’argent, les années passées, pour payer ses frais de scolarité. D’après Ahmad Al-Dahchan, les premiers manguiers ont été introduits dans cette ville lors du creusement du Canal de Suez au XIXe siècle. Et les Européens en ont planté dans leurs jardins. « Au fil des ans, la culture de mangues s’est étendue à travers tout le pays et ce, après que les gens eurent remarqué la bonne qualité des mangues d’Ismaïliya. Dans les années 1980, les manguiers ont envahi les terrains agricoles et les mangues ont remplacé d’autres fruits comme les pamplemousses et les fraises », dit Al-Dahchan.
Angoisses et inquiétudes
Il faut examiner chaque fruit.
(Photo : Ahmad Aref)
En dépit de cette prospérité, l’angoisse s’est emparée du marché des mangues, car des maladies ont attaqué dernièrement les manguiers, ce qui a entraîné une baisse de la production. C’est surtout la maladie de la moisissure noire qui affecte les manguiers actuellement car elle assèche les feuilles tout en se propageant facilement sur le reste des arbres par l’intermédiaire des insectes. « Ce problème a commencé il y a quelques années. Mais, la situation s’est aggravée dernièrement, ce qui a poussé certains propriétaires à vendre leurs terrains ou à extirper les manguiers pour cultiver d’autres plantes », ajoute Al-Dahchan. Et d’ajouter que les agriculteurs souffrent aussi de la hausse des prix des pesticides et de l’absence de suivi de la part du ministère de l’Agriculture. « Autrefois, des hommes du ministère de l’Agriculture passaient pour examiner les arbres et vérifier les quantités de pesticides utilisées. Or, ils ne passent que rarement depuis quelques années », dit Al- Dahchan. Ce dernier se rappelle le temps où les marchands de gros organisaient des ventes aux enchères pour acheter les produits des vergers. « C’était l’époque de gloire de la mangue et on ne sait pas si cela va reprendre et si l’on parviendra à sauver cette culture, ou bien la situation va se détériorer davantage », précise Al-Dahchan. Le ministère, lui, a commencé à réagir. En effet, le gouverneur d’Ismaïliya a annoncé que près de 52 000 feddans de manguiers ont déjà été traités contre la moisissure noire. « On a commencé à utiliser des pesticides pour protéger les arbres sains et on a organisé des stages pour apprendre aux paysans à lutter contre les diverses maladies et les empêcher de se propager », déclare Al-Sayed Moubarak. En fait, cette situation qui cause des tracas à toutes les personnes concernées par la culture des mangues ne touche pas les fans de ce fruit. Ces derniers ne sont pas du tout inquiets, puisqu’ils trouvent encore leur fruit favori exposé sur les étals des marchands.
Parfois on couvre les mangues avec de la paille afin d’accélérer son mûrissement.
(Photo : Ahmad Aref)
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« Je viens chaque année et à plusieurs reprises pour acheter de grandes quantités de mangues ici, et j’ai remarqué que les prix ont augmenté cette année », dit Hatem, médecin, qui passe d’un vendeur à l’autre tout comme d’autres clients, hommes et femmes tous âges confondus, pour tâter les fruits et sentir leur odeur, comme s’il s’agissait de bijoutiers examinant des pierres précieuses. La plupart d’entre eux achètent des cartons remplis de mangues et rentrent chez eux portant le plus beau souvenir qu’on peut avoir d’Ismaïliya.
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