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Loyer : Toujours pas de solution miracle

Dina Darwich, Dimanche, 15 avril 2018

Décrétée il y a 22 ans, la loi sur les nouveaux loyers était cen­sée apporter une solution à la crise du loge­ment, notam­ment pour les classes moyennes. Mais avec une infla­tion grimpante et aucune régle­mentation sur la hausse des loyers, cette option est deve­nue elle-même problématique. Enquête.

Loyer  : Toujours pas de solution miracle
14  % de la population égyptienne habitent dans des appartements en location. (Photo : Reuters)

Après quatre ans de fiançailles, le couple, Farida, 24 ans, et Khaled, 30 ans, se marie enfin. Le couple va entamer sa vie conjugale dans un appartement loué. Les parents des deux conjoints étaient contre, mais ils ont fini par céder. « Aujourd’hui, il est très difficile pour les jeunes mariés de s’offrir un appartement. Les prix sont exorbitants. Un logement de 100 m2 dans un quartier correct du Caire coûte un million de L.E. C’est-à-dire qu’il est tout sim­plement impossible pour un couple de la classe moyenne, ou même de la classe moyenne supé­rieure, de devenir propriétaire, à moins que ce soit les parents qui payent », explique Farida, comptable. « Au lieu de reporter encore notre mariage, on a donc opté pour la location », dit-elle. Ce n’est pourtant pas la solution miracle. Cette femme et son mari doivent, chacun, exer­cer deux boulots à la fois pour pouvoir payer le loyer « qui absorbe environ 25% de nos reve­nus, soit 4000 L.E. », dit Farida. « En vivant sous le même toit, on a un budget commun, et on peut s’arranger pour mettre de l’argent de côté ou acheter un appartement à crédit », ajoute-t-elle.

En attendant d’atteindre l’objectif ultime, celui de devenir propriétaire, ce couple, comme des milliers d’autres, a tout de même trouvé une échappatoire avec la loi sur les nouveaux loyers, promulguée en 1996. « Une loi qui a permis de mettre en location sur le marché immobilier environ deux millions d’apparte­ments fermés », déclare Dr Hussein Gomaa, président de l’Association de préservation des biens immobiliers.

Selon un rapport publié par l’observatoire Al-Omran — l'un des projets du Centre 10 Tooba pour les études urbaines— à l’occasion de la Journée mondiale de l’égalité sociale, près de 14% des familles égyptiennes vivent en location, la majorité étant propriétaire. Le Caire est le gouvernorat où l’on a le plus recours à la location (39% de la population), alors que les gouvernorats de Minya, Kafr Al-Cheikh et Béheira enregistrent les taux les plus faibles au niveau de l’Egypte, à savoir moins de 5% cha­cun.

En fait, il existe trois systèmes de location. D’abord, la location selon l’ancienne loi. Dans ce cas, ce sont d’anciens contrats à loyer extrê­mement modeste, non susceptible d’augmenter, et à vie, voire qui se lèguent. Vu que ce système n’est pas du tout en faveur des propriétaires, plus aucun nouveau bail n’est conclu en vertu de l’ancienne loi. Ce genre de logement abrite 1,6 million de familles. Ensuite, la location d’appartements meublés, une pratique qui a commencé à l’époque de l’ouverture écono­mique des années 1970 et qui ne concerne que moins de 1% de la population. Face à la crise du logement, qui a explosé avec les années— puisqu’il y avait plus de nou­veaux contrats de location à cause de l’injustice de l’ancienne loi et que devenir propriétaire n’est pas donné à tout le monde—, un nouveau système a été mis en place en 1996 avec la loi sur les nouveaux loyers. En vertu de cette loi, le contrat détermine la durée et le montant du loyer, et ce dernier aug­mente régulièrement. Le nombre de familles égyptiennes, qui ont recours à ce système, atteint 1,5 million.

Pallier le manque de logements

Loyer : Toujours pas de solution miracle

Lors de sa promulgation, la loi a été perçue comme une bouée de sauvetage dans un système cloîtré, où les anciens loyers n’existaient plus et où le prix d’achat augmentait ostensiblement. Pourtant, depuis, ce système de loca­tion ne cesse de provoquer de vives polémiques. « Cela a permis de concré­tiser des projets de mariage reportés faute de pouvoir devenir propriétaire », dit Howayda Mahmoud, 58 ans, fonc­tionnaire au ministère de l’Education et dont les enfants mariés vivent en loca­tion. En fait, seules les classes moyenne et défavorisée ont profité de ce système de bail. Ces familles peuvent travailler toute leur vie pour s’offrir un appartement, car leurs revenus suffisent à peine à subvenir à leurs besoins. Et donc, elles ont du mal à faire des économies face à un taux d’inflation qui atteint les 17%, alors que le revenu annuel moyen d’un individu est de 44000 L.E. par an selon l’Organisme national pour la mobilisa­tion et le recensement (CAPMAS).

Autre cas, celui de Ragab Khalifa, âgé de 22 ans. Il affirme que ce type de logement lui a permis de trouver du travail au Caire, alors que dans son vil­lage natal d’Itsa, les conditions écono­miques étaient précaires. « Je travaille comme éboueur dans le quartier huppé d’Al-Tagammoe Al-Khamès. Je touche environ 1200 L.E. Je vis en co-location avec dix autres copains. On se partage la somme du loyer, soit 500 L.E., pour un appartement de deux-pièces dans le bidonville de Kilo arbaa we nos. Ceci me convient parfaitement, car je dois envoyer environ les trois quarts de mon salaire à ma femme et mes deux enfants », dit Ragab.

Autre scène, autre image. Au quartier Bein Al-Sarayat, situé aux alentours de l’Université du Caire, le bail, suivant la nouvelle loi, semble être plus flexible et convient aux personnes aux revenus limités. Les prix varient selon les besoins des étudiants. Ces derniers vien­nent s’installer dans la capitale durant quatre et cinq ans pour leurs études univer­sitaires, vu que certaines facultés n’ont pas de branches dans les autres gouvernorats de l’Egypte. Là, il y a trois types de locations : la location d’un lit coûte 300 L.E. par mois, celle d’une chambre varie entre 600 et 1 500 L.E., alors qu’un appartement com­mence à 2000 L.E.

« Je viens du gouverno­rat de Béheira pour poursuivre mes études en architecture. L’année dernière, j’ai habité à la Cité universitaire pour une somme de 350 L.E. par mois, mais je n’ar­rivais pas à travailler à cause du bruit. En plus, la chambre était exiguë. Il était impossible pour moi d’installer une grande table à dessin, nécessaire pour étudier », explique Hayssam, en quatrième année à la faculté de polytechnique. Et d’ajouter : « J’ai décidé de louer un appartement de trois pièces que je partage avec d’autres étudiants. Et pour pouvoir couvrir mes dépenses, je travaille dans une société de télécommunications. Bien que ce type de logement me convienne, le loyer ne cesse d’augmenter d’une année à l’autre. Il est passé de 1800 L.E. l’année dernière à 2 200 L.E. cette année », dit Hayssam.

Foyer transit

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La loi sur les nouveaux loyers a réglé en partie le problème des nouveaux couples qui n'ont pas d'appartement.

Toutefois, si ce genre de logement est une bouée de sauvetage à certaines catégories, l’idée de vivre en location reste synonyme de temporaire, ou comme le décrit Dr Hussein Gomaa, « un foyer transit ». « Ce genre de logement n’assure ni stabilité, ni sécurité, car les ménages se fixent un bud­get pour le loyer, alors que le montant peut augmenter considérablement et créer un déséquilibre dans le budget familial, ou obliger les ménages à déménager et à prendre un appartement moins cher, et donc de moindre qualité.

Par exemple, un couple qui entame sa vie conjugale avec un revenu de 10000 L.E. et qui consacre près du quart de son budget au loyer, risque de se trouver dans une situation embarras­sante quand le loyer augmente. Résultat, il y a un impact négatif sur la société. Le chiffre record de divorces le prouve, sur­tout que la majorité des divorces résultent de problèmes économiques », avance-t-il. En effet, d’après une étude conjointe effec­tuée par les Nations-Unies et le Centre d’informations et de prise de décision du Conseil des ministres, il y a 3 millions de divorces par an en Egypte, des chiffres qui classent l’Egypte, selon l’Onu, au premier rang en matière de divorce à travers le monde.

Hoda, une pharmacienne âgée de 43 ans, affirme qu’elle croyait que cette loi règle­rait son problème. A l’époque, les loyers étaient estimés à 300 L.E. dans les quartiers moyens, et plus de 1000 dans les zones un peu plus chics, et ce, pour un bail de 3 à 5 ans. Mais avec le renouvellement du contrat de location, la facture augmentait d’année en année. C’est le principe de l’offre et de la demande. « Nous n’avons eu le choix, après avoir eu deux enfants, que de quitter le quartier huppé de Maadi pour un quar­tier plus populaire dans les régions péri­phériques de Madinet Nasr, non loin d’un bidonville, à cause de la hausse des loyers », ajoute-t-elle.

39% du revenu

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(Photo : AFP)

Selon le rapport publié par le Centre 10 Tooba pour les études urbaines, la valeur moyenne du loyer (selon la loi sur les nou­veaux loyers) atteint 1200 L.E. à travers l’Egypte. Un chiffre qui a connu une hausse de 20% par rapport à l’année dernière et qui a atteint son paroxysme au gouvernorat de Port-Saïd, avec une hausse de 33%. Le taux le plus bas se trouve dans les villes frontières et désertiques comme Al-Thor dans le Sinaï et Al-Kharga à Al-Wadi Al-Guédid où les loyers atteignent environ la moitié du loyer moyen au niveau natio­nal, c’est-à-dire 600 L.E.

D’après cette même source, si le loyer absorbe environ 25% du revenu mensuel de la famille égyptienne (taux admis dans le monde), cette année, il en absorbe 39%. Selon l’expert Hussein Gomaa, il n’existe pas en Egypte de structures qui contrôlent le marché immobilier. « Partout dans le monde, il existe un indice immobilier (Real State Indicator) qui oblige les propriétaires à augmenter le loyer selon un taux qui varie entre 2 à 3%, cela veut dire qu’il existe des normes qui déterminent les aug­mentations annuelles que les propriétaires doivent respecter », dit-il.

Gomaa est catégorique: « Cette loi sur les nouveaux loyers a prouvé son échec. On a voulu se ranger du côté des propriétaires, vu que l’ancien texte, qui date de l’époque nassérienne, leur portait préjudice. Du coup, on a fait une loi déséquilibrée. Ce qui a aggravé la situation c’est ce chaos légis­latif qui règne sur le marché immobilier. Il suffit de citer qu’il existe environ 140 lois promulguées depuis 1940 qui traitent du dossier du logement en Egypte. Et, faute de coordination, chaque loi tente donc de combler les lacunes causées par la précé­dente. En plus, il y a plusieurs organismes oeuvrant dans le domaine du logement, alors qu’il devrait y avoir un seul ».

Le poids de l’inflation

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Dans les rues égyptiennes, on voit de nouveau des pancartes d’un appartement à louer.

En fait, toute la problé­matique réside dans le fait que le système de location est dépendant du revenu, par opposi­tion à la propriété, et basé sur le revenu plutôt que sur la richesse, comme l’explique l’ur­baniste Yéhia Chawkat. Ce qui signifie que c’est l’option la plus appro­priée pour les familles à faible et moyen revenus en Egypte qui ne peuvent pas acheter un logement. Or, le poids de l’inflation est lourd. Ces mêmes familles ont des revenus limités, et comme il n’existe aucun contrôle sur la hausse des loyers, cette option leur est devenue une charge à tel point que beaucoup ont quitté ces logements loués.

La baisse a eu lieu au cours de la dernière décennie, une chute spectaculaire de 17 % entre 2006 et 2017, avec près de 610000 ménages abandonnant les logements loués. Certains retournent vivre chez leur famille, d’autres achètent des logements mais ina­déquats ou de moindre standing.

Face à ce déséquilibre, l’économiste Mohamad Gad propose, dans un article publié sur le site Aswat Masriya (voix égyptiennes) en janvier 2017, que l’Etat intervienne pour mettre un plafond aux loyers. D’autres proposent des solutions à long terme. « Il faut que l’Etat encourage les investisseurs à construire des immeubles selon le système BOT (Build, Operate, Transfer). Par le biais de ce système, le locataire verse un loyer durant 30 ans et une petite somme en guise d’assurance. Une sorte de location-achat. Après cette période, la possession de l’appartement passe au locataire. Ce qui permet aux investisseurs de récupérer deux à trois fois la somme qu’ils ont versée dans la construction », précise Gomaa. Bonne nou­velle: la dernière loi numéro 12 pour l’an­née 2017 a permis aux investisseurs d’obte­nir des prêts de l’Etat à condition de construire des logements destinés à la loca­tion et qui pourraient rendre service aux couches moyenne et pauvre .

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