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Les Saoudiennes enfin au volant

Dina Bakr, Mardi, 02 janvier 2018

L'année 2017 a connu des changements en ce qui concerne le statut de la femme dans le monde arabe. Une évolution à des rythmes toutefois bien différents. Focus sur trois pays arabes.

Les Saoudiennes enfin au volant
Permettre à la Saoudienne de conduire la voiture est un pas sur le chemin de l'égalité avec l'homme.

Septembre 2017, l’Arabie saoudite crée la surprise en annonçant une réforme autorisant les femmes à conduire. Jusque-là, c’était le seul pays à interdire aux femmes de conduire. Une avancée minime pour certains, haute en significations, pour d’autres, dans ce pays ultraconserva­teur qui commence petit à petit à s’ouvrir.

La décision entrera en vigueur en juin 2018, vu qu’elle nécessite bien des préparatifs. Depuis l’annonce du décret royal en effet, un comité conjoint de représentants des ministères de l’Intérieur, des Finances, de l’Emploi et du Développement social préparent l’événement. « Les Saoudiennes doivent commencer par apprendre à conduire, pour ce, il faut ouvrir des auto-écoles et des ateliers de mécanique automobile pour femmes, former une police féminine pour les recevoir en cas d’accident de la route ou de plaintes et surtout renforcer la sécurité dans les rues pour prévenir toutes sortes de harcèlement dont elles peuvent être les victimes », a déclaré Tareq Al-Robayiane, porte-parole du ministère saoudien de l’Intérieur, lors de différentes interventions dans les médias saoudiens. De telles procédures semblent être nécessaires dans une société ultraconservatrice qui continue d’imposer d’autres restrictions aux femmes.

D’après le ministère saoudien de l’Intérieur, 6000 femmes saoudiennes détiennent déjà des permis de conduire internationaux. Elles pourront obte­nir leurs permis saoudiens après avoir déposé leurs dossiers. Les autres devront passer le permis en Arabie saoudite. Sur place, l’Université de la princesse Noura Bent Abdel-Rahmane est la première à ouvrir une auto-école. Avant même ce décret royal, cette université réservée uniquement aux filles avait déjà formé 39 femmes à la conduite du tramway servant à relier les différents bâtiments qui sont très éloignés les uns des autres. Ferial Al-Kordi, vice-directrice de la société responsable du fonctionnement du transport à la cité universitaire, a déclaré au quotidien saoudien Al-Watan que ces femmes-chauffeurs sont hautement qualifiées et ont suivi des stages à Copenhague où elles ont appris à faire de la maintenance, des réparations en cas de panne et à reconnaître toutes les pièces de rechange du tramway car, dans cette université, l’accès aux hommes est interdit, y compris en cas de panne de ce transport.

En fait, l’autorisation pour les femmes de prendre le volant fait partie d’une réforme plus grande. « Le prince héritier, Mohamed bin Salmane, a déclaré que la société saoudienne était constitué de 70% de jeunes de moins de 30 ans. Il a ajouté que cette génération qui a suivi des études aux Etats-Unis et en Europe n’accepte pas d’être privée de ses droits les plus élémentaires, comme le droit d’être autonome au quotidien ou de se déplacer librement », dit une Saoudienne vivant en Egypte. D’autant plus que, selon l’Organisme saoudien des statistiques, l’Arabie saoudite compte 32 millions d’habitants et que 48% de cette population sont des femmes.

La décision a évidemment soulagé les Saoudiennes. « Nous étions obli­gées d’avoir tout le temps un mehrim à nos côtés (tuteur masculin comme le père, le mari, le frère et l’oncle), et en même temps, on se déplaçait avec un chauffeur qui n’avait aucun lien de parenté avec nous », affirme Joumana Abdallah, institutrice à l’Université du roi Abdel-Aziz à Riyad. Selon elle, il était aberrant d’interdire à la femme de conduire, alors qu’elle se déplace souvent en compagnie d’un chauffeur qu’elle ne connaît pas.

« Conduire n’est pas un luxe, c’est une nécessité. Jusque-là, j’étais obli­gée de me rendre à mon travail en taxi. Ça me coûte cher », lance Oum Saad, une femme divorcée de 35 ans. Soulagée, Oum Saad raconte que devoir faire appel à son frère ou à son père pour une quelconque course était pesant. « Ce décret royal redonne confiance à la femme, qui est une citoyenne égale à l’homme en droits et en devoirs ».

Un long combat
En fait, cela fait plus de trois décennies que les Saoudiennes militent pour pouvoir conduire. En 1990, 48 sont descendues dans les rues au volant de 17 voitures. La police est intervenue dispersant cette manifestation. Les femmes ont été arrêtées, certaines ont perdu leur travail suite à cette mani­festation. Plus tard, d’autres militantes ont fait entendre leur voix. On retien­dra les noms de Hatoun Al-Fassi, Menhal Al-Eteibi et Manal Al-Chérif. En 2011, Menhal Al-Eteibi a organisé une marche sous le slogan « Al-Moqawama Bel Machiy » (la résistance par la marche). Ces militantes ont aussi exploité l’extension de l’usage des réseaux sociaux, qui sont devenus leur vecteur de communication. Des vidéos où on les voit en train de conduire dans le désert du Royaume ou ailleurs étaient régulièrement diffusées afin d’animer le débat social et pousser les responsables à réagir en leur faveur.

Avant le droit de conduire, les Saoudiennes avaient déjà fait des progrès en matière d’éducation. « D’après les chiffres officiels, le nombre des filles inscrites dans les universités gouvernementales ou privées atteint environ les 551000, contre 513000 de jeunes hommes. De même, les bourses d’études à l’étranger octroyées par le roi ont connu une recrudescence, soit 12,9% pour les filles contre 8,7% pour les garçons», souligne l’analyste Moataz Salama, spécialiste des pays du Golfe.

Reste à dire que seules les femmes sont bénéficiaires de cette décision. Avec les femmes au volant, l’Etat fera de grosses économies: selon l’Orga­nisme saoudien des statistiques, le Royaume compte 1,5 million de chauf­feurs étrangers qui représentent un coût de 6,6 milliards de dollars par an. Une somme qui sera certainement revue à la baisse .

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