« J’aime tisser, et ce n’est pas si dur, sauf qu’on y passe trop de temps », lance Awatef, une femme trentenaire, dont les doigts nouent agilement chaque fil de soie. Il lui faudra quelques mois pour achever le tapis qu’elle tisse sur son métier traditionnel, comme des milliers de femmes vivant à Akhmim, dans le gouvernorat de Sohag, ville réputée depuis le temps des pharaons pour l’industrie du textile, surtout la soie. En fait, c’est la première fois que Awatef exécute ce genre d’ornementations végétales persanes. Elle avait plutôt l’habitude des compositions traditionnelles, mais cette fois-ci, l’Association des fabricants de tapis à la main l’a approvisionnée en soie, lui a fourni un métier à tisser et lui a demandé d’exécuter ce dessin d’Ispahan, en lui précisant les couleurs, ainsi que la dimension du tapis et le nombre de noeuds, fixé à 64 par centimètre. « Grâce à ce projet, intitulé Un village, un produit, le revenu de ma famille a augmenté. Mon mari était au chômage depuis longtemps et nous étions dans le besoin », confie-t-elle, tout en ajoutant que les responsables de ce projet l’ont beaucoup aidée. Ils lui ont pris le premier tapis à 5600 L.E. le mètre, alors qu’auparavant, les gros fabricants ou exportateurs de tapis lui achetaient le mètre à 3000 L.E. Ils profitaient de la situation car elle ne disposait pas d’outils de production et lui versaient un prix inférieur à celui répandu sur le marché, contre la fourniture des fils et des métiers à tisser. « La situation était difficile d’autant plus que les ventes ont massivement chuté vu la baisse du tourisme. Désormais, après avoir achevé et vendu le premier tapis au prix fixé, j’ai le matériel nécessaire pour confectionner un deuxième que je peux vendre, indépendamment de l’association et du projet, mais cette fois-ci, j’ai acquis un savoir-faire ainsi qu’une capacité à me débrouiller seule sur le marché et à acheter les fils de soie avec l’argent du premier tapis. J’ai déjà mon métier à tisser et je connais les prix internationaux. C’est le début d’un entreprenariat féminin comme ils disent », explique Awatef.
Awatef fait partie de ces femmes d’Akhmim dont la vie a changé depuis que leurs tapis se vendent partout grâce au projet Un village, un produit. Ce projet de l’Union Européenne (UE), en partenariat avec l’agence Onu Femmes et le Fonds social pour le développement, ne cesse de gagner la Haute-Egypte, il y a deux ans, apportant un nouveau soutien économique et social. « L’idée consiste à identifier, pour chaque village ou municipalité, au moins un produit commercialement viable et original à présenter sur le marché. Et ce, afin de développer l’autonomie des femmes, réduire le taux de chômage, renforcer les compétences de la main-d’oeuvre parmi celles-ci en leur offrant des micro-crédits. Ainsi, nous avons soutenu les artisanes du papier de papyrus à Charqiya, les femmes au foyer qui épluchent les artichauts à Béheira, les vendeuses de lait à Béni-Soueif et les fabricantes de tapis à Ménoufiya et à Sohag », souligne Engy Amin, responsable du projet auprès de l’agence Onu Femmes. Et de poursuivre: « Avec la réussite de ces femmes, nous sommes convaincues que d’ici quelques années, beaucoup d’entre elles s’engageront dans le business à l’échelle nationale ».
Et ce n’est pas tout. « Femmes égyptiennes: pionnières pour l’avenir » est un projet financé par l’ambassade de France, la Fondation Sawirès pour le développement social, l’agence Onu Femmes, en coopération avec le Conseil national des femmes et l’Association du développement de la femme. « Notre objectif est de former, pendant 2 ans, 450 jeunes filles des quartiers défavorisés du Caire et à les accompagner pour être employées dans les entreprises françaises et égyptiennes partenaires du projet », affirme Iman Beibars, présidente de l’Association du développement de la femme.
En fait, la situation des femmes a été l’un des grands sujets de discussion en 2017 en Egypte (et ailleurs). A tel point que le mot « féminisme » a été élu mot de l’année 2017 par le dictionnaire Webster. Et bien qu’il soit entré en 1841 sous la définition « qualités des femmes », aujourd’hui, il signifie « la théorie de l’égalité des sexes en matière politique, économique et sociale » et « l’activité organisée au nom du droit des femmes et de leurs intérêts », selon le dictionnaire.
Un bond en avant
Conscient de l’importance du rôle des femmes et qui représentent un tiers de la force du travail du secteur formel, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a déclaré l’année 2017 « année de la femme ». Une initiative qui coïncide avec le thème 2017 de la Journée internationale des femmes: les femmes dans un monde du travail en évolution: pour un monde 50-50 en 2030. De plus, la Bourse égyptienne, qui s’est jointe aux 43 Bourses du monde entier pour « sonner la cloche pour l’égalitédes sexes», a intégré une initiative exceptionnelle dans les institutions égyptiennes en faisant pression pour que 50% des membres des comités exécutifs soient des femmes. « Un grand pourcentage des employés et de l’équipe de gestion de la Banque Centrale d’Egypte (BCE) sont des femmes, ce qui constitue une étape cruciale pour souligner son engagement en faveur de l’égalité », a déclaré Dr Mohamad Omran, président de la BCE.
Nihad Aboul-Qomsane, présidente de l’Association égyptienne des droits de la femme, estime que la femme égyptienne a fait des progrès sans précédent au cours des deux dernières années. « 75 femmes ont été élues directement, dont 5 indépendantes, et 14 ont été nommées par le président. Cela veut dire que 15% des parlementaires sont désormais des femmes, ce qui représente une impressionnante progression par rapport aux élections précédentes », souligne-t-elle, en précisant que Nadia Abdou, la première femme gouverneure en Egypte, est parmi les figures marquantes. Surnommée la « dame de fer », celle-ci n’a cessé de batailler pour frayer un chemin pour les femmes, ce qui lui a permis aujourd’hui d’être nommée, au faîte de sa carrière, à plus de 70 ans, gouverneure de Béheira.
Sans oublier la stratégie ambitieuse 2030 relative à l’autonomisation de la femme présentée par le Conseil National de la Femme (CNF). Une stratégie qui se fonde sur 4 axes, à savoir l’autonomisation politique, économique et sociale, ainsi que la protection de la femme de toutes sortes d’agressions physiques ou verbales. « En ce qui concerne l’autonomisation politique, elle vise à augmenter le taux de participation des femmes à la vie politique de 44% actuellement à 50% en 2030. Le CNF oeuvre à promouvoir l’occupation par des femmes de postes-clés au sein des instances gouvernementales et privées, une tâche qui est loin d’être facile. A titre d’exemple, au sein des organes judiciaires, la représentation de la femme reste faible. Elle est de 0,5%, alors qu’on voudrait atteindre un taux de 25 % », explique Maya Morsi, présidente du CNF. Et d’ajouter: « Quant au volet économique de la stratégie, notre objectif est de diminuer le taux des femmes vivant en dessous du seuil de pauvreté de 26,3% à 9% d’ici l’année 2030. Pour ce faire, le conseil organise des campagnes de sensibilisation, comme celle intitulée Frappez à la porte, afin de faire connaître aux femmes marginalisées les différents projets économiques offerts par les autres organes gouvernementaux, comme les microprojets proposés par la Banque centrale. Le conseil organise également des stages de formation pour promouvoir les qualifications professionnelles des femmes. Nous aidons ainsi chacune à choisir le projet le plus convenable à ses besoins et à ses capacités ». Selon Morsi, le CNF tient aussi à introduire un certain nombre de modifications dans les lois concernant les droits de la femme et à durcir les peines contre toute forme de pratique lui portant atteinte comme le harcèlement. « Nous élaborons en outre un projet sur la documentation du divorce oral et de l’héritage, afin de préserver les droits financiers de la femme », souligne-t-elle, tout en notant l’importance cruciale d’adopter une loi unifiée qui criminalise toutes les formes de violence à l’égard des femmes, tant dans la sphère publique que privée.
Toutefois, l’activiste Fardos Bahnassi, féministe, voit qu’il est d’autant plus stupéfiant que 2017 soit l’année de la femme, alors que les stratégies nationales de lutte contre la discrimination fondée sur le genre n’ont toujours pas été mises en oeuvre adéquate. « Où en sont les droits des femmes en 2017 ? Tous ces programmes et stratégies font rêver mais au final, on se rend compte que ce n’est que de l’encre sur du papier. Bien qu’il y ait eu des progrès louables en ce qui concerne l’adoption de cadres juridiques et politiques favorisant les droits des femmes en Egypte, il reste encore beaucoup à faire », explique-t-elle, avant de conclure : « L’émancipation des femmes ne peut venir que de nous, les féministes égyptiennes et les Egyptiennes qui se battent pour leurs droits au quotidien ».
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