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Faggala, un marché en recession

Chahinaz Gheith, Dimanche, 24 septembre 2017

Qui dit rentrée sco­laire dit achat de fournitures scolaires à Faggala. Pourtant, face à la hausse des prix et au recul des ventes, ce marché de manuels parasco­laires est cette année en stagnation. Reportage.

Faggala, un marché en récession
(Photo : Mohamad Maher)

Au quartier de Faggala, les librairies et les échoppes qui vendent les fournitures scolaires et les manuels parascolaires chassent les mouches. C’est un lieu qui, d’habitude, ne connaît ni silence, ni sommeil et où il est difficile de mettre les pieds, deux semaines avant la rentrée scolaire. Or, cette année, la scène est différente. C’est le calme absolu dans cette longue artère fréquentée d’ordinaire par des citoyens modestes venant des quatre coins de la capitale pour acheter des fournitures scolaires, en raison de la différence des prix entre cet endroit et d’autres quartiers de la capitale. Sur les étals du marché et dans les papeteries, on peut voir des cahiers, petits et grands formats, des stylos, des classeurs, des boîtes de crayons de couleurs, des cartables, des sacs à dos, des trousses et des livres, etc. Les marchandises sont exposées sur des tables ou à même le sol. Les voix criardes des vendeurs essaient tant bien que mal d’attirer les clients. Malgré ce décor, il y a très peu d’affluence et les affaires ne sont pas au beau fixe.

Faggala, un marché en récession
Les familles se contentent du strict nécessaire, en raison des prix élevés des fournitures scolaires. (Photo : Mohamad Maher)

Une simple tournée dans les papeteries permet de le vérifier. La hausse des prix des cahiers, et du papier en général, est perceptible au premier coup d’oeil. Les plus prévoyants parmi les ménages qui, traditionnellement, venaient pour s’approvisionner avant la rentrée pour éviter la cohue des premiers jours, ne sont pas au rendez-vous. « J’ai trois enfants qui vont regagner dans les prochains jours les bancs de l’école et je ne sais pas comment faire, car les prix des fournitures scolaires ont connu une hausse de 100 %. Le protège-cahier, qui coûtait 2,5 L.E. l’année dernière, est vendu aujourd’hui à 4 L.E., le cahier de 60 pages est affiché à 7 L.E., alors qu’il se vendait à 3,5 L.E. La rame de papier A 4, qui était vendue à environ 22 L.E., l’année dernière, est vendue aujourd’hui à 45 L.E. Quant au cartable, il varie entre 150 L.E. et 300 L.E., alors qu’il ne dépassait pas les 100 L.E. l’an dernier », énumère Hicham, fonctionnaire qui est contraint d’acheter le strict nécessaire.

Car son salaire ne comble pas les besoins de ses enfants, raison pour laquelle il a eu recours à une gameeya (une tontine), et a même emprunté de l’argent. Il n’est plus question pour lui d’acheter de nouveaux cartables, des boîtes à sandwichs (Lunch Box) ou des gourdes même s’il sait que cela va déplaire à ses enfants. Il confie avoir sacrifié le mouton et les vêtements de l’Aïd pour pouvoir payer les frais de la rentrée scolaire.

Cette année, les dépenses sont difficiles à assumer pour de nombreuses familles. Beaucoup de parents affirment que leurs enfants vont devoir réutiliser certains objets scolaires de l’année dernière. Les fournitures scolaires, la tenue de l’école et les frais de scolarité constituent un lourd fardeau pour les familles. L’effet de la crise est assez clair. Dans les rues, les gens contemplent les articles, demandent parfois les prix, marchandent avec les vendeurs et partent sans rien acheter. La décision n’est pas facile à prendre, il faut réfléchir mûrement, trouver le meilleur prix avant de sortir le sou. Le citoyen fait face à un dilemme au quotidien. Les prix ne cessent de grimper alors que les revenus avancent à pas de tortue.

Comme beaucoup de mamans, Nadia est venue à Faggala à la recherche de manuels scolaires moins chers que dans les boutiques du centre-ville. « J’ai cinq enfants qui sont dans différentes écoles et sont scolarisés dans différents cycles. Vu mon salaire modeste, je ne pourrai pas assumer toutes ces dépenses. De plus, les commerçants sont difficiles, et rares sont ceux qui acceptent de nous accorder la moindre réduction », dit-elle, tout en inspectant les étals des libraires.

Quant à Dalia, veuve et mère de quatre enfants en cycles primaire et préparatoire, elle explique sa situation. « Cette année, je ne vais pas me casser la tête. Ce qui me préoccupe c’est comment trouver quelques cahiers, stylos et livres pour mes enfants. Quant au problème de la tenue scolaire et des sacs à dos, c’est au-delà de mes moyens. Tout coûte cher au marché. J’ai demandé à mes enfants de revêtir les anciennes tenues et de laver leur sac à dos ou leur cartable. Je ne peux pas assumer toutes ces dépenses. Je suis seule, j’ai perdu mon mari il y a quatre ans. Je ne veux pas me créer d’autres soucis et faire des dettes que je ne pourrai pas rembourser, et par la suite, je me retrouverai en prison », dit-elle en criant son ras-le-bol face à la cherté de la vie.

Ventes, un recul de 50 %

Faggala, un marché en récession
La rentrée scolaire est la saison prospère à Faggala, premier marché de papeterie en Egypte. (Photo : Mohamad Maher)

En effet, Faggala, connu pour être le premier marché de fournitures scolaires en Egypte, souffre aujourd’hui de récession à cause de la hausse exorbitante des prix, due à la dévaluation de la livre égyptienne. Autrement dit, cette année, c’est la période des vaches maigres pour les vendeurs alors qu’autrefois, la rentrée scolaire était pour eux une saison prospère. En effet, les ventes ont diminué de plus de 50 %. Une stagnation qui incite certains à changer d’activité. Il est à noter que depuis la dévaluation de la livre, l’Egypte connaît une forte tendance inflationniste. Le taux d’inflation annuel pour le mois de juillet a été de 34,2 % par rapport au même mois de l’année dernière, chiffre que l’Egypte n’avait pas connu depuis 1986, selon les statistiques de l’Organisme central pour la mobilisation et le recensement. Ahmad Abou-Gabal, directeur des équipements de bureau à la Fédération des chambres de commerce, attribue la hausse des prix des fournitures scolaires à la hausse du dollar, le flottement de la livre et la TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée). « La plupart des équipements scolaires sont importés, ce qui explique cette hausse des prix », selon Abou-Gabal. Il n’y a de statistiques ni sur la valeur totale des importations égyptiennes de fournitures scolaires ni sur l’ampleur de leur baisse en raison de la hausse des taux de change du dollar. Cependant, selon les données du ministère du Commerce et de l’Industrie, le mois dernier, les importations égyptiennes au premier semestre de cette année ont diminué de 30 % pour atteindre 24 milliards de dollars contre 34 milliards de dollars au cours de la même période de l’année dernière.

Un marché perturbé

Faggala, un marché en récession
Cette année, les librairies ont réalisé la moitié de leur chiffre d’affaires habituel. (Photo : Mohamad Maher)

Sans aucun doute, cette montée en flèche des prix sur le marché des four­nitures scolaires dérange et perturbe non seulement les clients, mais aussi les propriétaires des papeteries et les commerçants qui se plaignent d’une baisse des ventes et reconnaissent qu’il y a plus de quémandeurs que d’ache­teurs actuellement. Les vendeurs com­mencent à perdre tout espoir. Tel est le cas de Omran, qui a un kiosque bourré de cahiers et autres fournitures sco­laires. Il attend impatiemment les clients. « Depuis que j’avais commen­cé ce travail, je n’ai jamais vu une telle récession. Il n’y a pas assez de ventes, je reçois les clients au compte-gouttes, cela n’est pas bon pour nos affaires. Même les cahiers qui se vendaient facilement à la veille de la rentrée ont du mal à être écoulés. Et mes clients qui venaient acheter les fournitures avant la rentrée scolaire n’ont pas encore pointé le nez », souligne-t-il.

Un avis partagé par hadj Hussein, propriétaire d’une papeterie très fré­quentée à la rue Faggala. « Cette année, c’est la dèche, du jamais-vu. L’année dernière, les clients étaient nombreux. C’est surtout à cause des prix qui ont grimpé, mais je pense que c’est aussi la conjoncture qui est trop dure pour la population. Les gens demandent les prix mais n’achè­tent pas. Et si ça continue comme ça, nous risquons d’avoir des pertes », précise-t-il, tout en confiant avoir réalisé seulement la moitié de ses gains habituels. Et d’ajouter : « D’habitude, j’ai beaucoup de clients qui habitent le quartier et qui ont une idée du nombre et des formats des cahiers dont leurs enfants ont besoin. Ils prenaient habituellement les devants en s’approvisionnant avant la rentrée scolaire. Mais cette année, à peine si j’en ai reçu quatre ou cinq clients. Ils n’ont acheté que la moitié de ce dont leurs enfants ont besoin », nous raconte-t-il.

Faggala, un marché en récession
Les prix des fournitures scolaires ont connu cette année une hausse vertigineuse de 100 %. (Photo : Mohamad Maher)

Pour lui, l’activité est en plein recul, la clientèle est de plus en plus rare, et nom­breux sont les commerçants qui ne par­viennent plus à couvrir les frais men­suels de leurs échoppes : les salaires des employés, les factures d’électricité et les impôts. « La hausse des prix a engendré non seulement une forme de récession et des pertes financières, mais aussi une augmentation du chômage », explique hadj Hussein. Toutefois, les prix élevés des fournitures scolaires ont amené cer­tains commerçants à réduire leurs marges bénéficiaires. « Je ne peux pas faire de gros gains parce que les prix sont élevés », déclare Ali, propriétaire d’une papeterie.

Pourtant, certains vendeurs restent optimistes au sujet d’une affluence dans les jours qui suivent la rentrée scolaire. Beaucoup de parents font plusieurs fois le tour du marché. Ils ont encore les anciens prix en tête et n’ar­rivent pas à s’accommoder à ceux qui sont affichés cette année. « Je vais attendre que les premiers jours de la rentrée scolaire passent, et peut-être que les vendeurs vont réduire les prix faute de clients », dit Nadine, femme au foyer qui a opté pour cette stratégie. Cependant, Mokhtar, un vendeur, pense autrement. « Les parents vien­nent à la dernière minute pour faire leurs achats. Aujourd’hui ou demain, ils finiront par acheter, car sans ces fournitures scolaires, leurs enfants ne pourront pas étudier », conclut-il, en gardant l’espoir de voir les clients se présenter à sa porte .

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