On est à 400 km du Caire, dans le gouvernorat de Minya, dans les villages d’Al-Edwa et Maghagha. Une large serre de près de 3 m de hauteur, 1,5 m de largeur et 20 m de longueur trône le terrain de Am Ahmad Abdel-Hafiz. Sous ce transparent tendu sur une armature constituée d’arceaux en acier galvanisé, Am Ahmad exploite chaque centimètre. Il cultive les légumes et les fruits, rois de la serre, qui poussent en hauteur comme la tomate, le concombre et les melons, mais aussi les herbes et les plantes basses comme le basilic, qui pousse aux pieds des tomates. La chaleur sous la serre est insupportable. Des gouttes de sueur perlent sur son front. En effet, il faut conserver une température constante de jour comme de nuit. La chaleur de la journée est emmagasinée pour être réutilisée pendant la nuit. Cette température peut être fixée à des valeurs variant entre 28o et 35o selon la saison et les plantes en sol.
Ahmad Abdel-Hafiz, cet agriculteur de 33 ans, a lancé son projet de culture sous serre pour cultiver les légumes hors saison. Son projet a vu le jour début 2017. Quatre salariés y travaillent. Ils chauffent la serre, arrosent les plantes grâce à un système d’irrigation de goutte-àgoutte enrichi en éléments fertilisants, et ils surveillent la luminosité et l’aération. Ils coupent, taillent et récoltent les produits qui sont arrivés à maturité. Am Ahmad parle de son parcours et des spécificités de son projet. « Auparavant, dans les champs traditionnels, ma récolte ne dépassait pas les 8 à 10 tonnes par an aux mois d’avril et de mai seulement. Mais aujourd’hui, la culture sous serre me donne une production de 35 à 40 tonnes tous les 40 jours. Les légumes plantés avec cette technique permettent une productivité beaucoup plus importante que les méthodes agricoles traditionnelles », souligne-til. Am Ahmad fait partie d’un groupe de 64 agriculteurs qui ont essayé la culture sous serre. Un nouveau système pour l’Egypte, qui a été proposé aux habitants d’Al-Edwa et de Maghagha par l’ONUDI. Dans ces villages, des camions viennent des quatre coins de l’Egypte pour transporter la production de 56 serres où travaillent, aujourd’hui, près de 80 villageois.
Grâce à ce projet unique en son genre dans les villages de la Haute-Egypte, les agriculteurs ont découvert que la culture sous serre accentue l’humidité et la chaleur. La germination est alors plus rapide ainsi que le développement et la minéralisation des matières organiques. Actuellement, il existe 76 terrains agricoles recouverts de serres à Al-Edwa et Maghagha.
Une technique auparavant coûteuse
Mais pourquoi cette technique n’estelle pas plus répandue ? D’abord, parce qu’elle coûte très cher pour un simple agriculteur. Khamis Mannaa, un autre agriculteur, avait voulu, en 2010, se lancer dans la culture de concombres avec cette technique, mais il a découvert qu’il devait payer entre 80 000 et 100 000 L.E. par serre. C’est pourquoi l’Onu a décidé d’encourager les agriculteurs en leur offrant 80 % de la somme du projet, alors qu’ils se contenteront d’en assumer 20 % seulement.
En effet, le projet Hayah (vie) a été lancé par l’ONUDI avec la coopération de l’Onu Femmes et l’Organisation des Nations-Unies pour le travail international sous la présidence du ministère du Développement local. Le projet a été financé par le Fonds des Nations-Unies pour la sécurité humanitaire et les ambassades de Suisse et du Japon au Caire. Six millions de dollars sont consacrés à la lutte contre la pauvreté et le chômage en milieu rural dans 300 villages démunis de Minya. « Ce projet a été appelé Vie, car il s’occupe de tout ce qui a trait à la vie des habitants de Minya : les enfants, les jeunes, la femme, l’agriculteur, la nourriture, les bestiaux … Bref, toute la communauté rurale. Objectif : aider les habitants de ces villages à augmenter le revenu de leurs familles. Nous avons travaillé sur trois secteurs économiques : l’agriculture, la production animale et les meubles. Et ce, pour lutter contre la pauvreté et le chômage des villageois », souligne Layla Enawy, directrice du projet Hayah auprès de l’ONUDI. Les villages d’Al-Edwa et Maghagha ont été sélectionnés en fonction des indicateurs de pauvreté et de chômage. « Environ 220 000 personnes vivent dans les villages choisis. 3 000 personnes ont trouvé du travail par le biais du projet. 500 jeunes agriculteurs et agricultrices ont commencé à faire de l’entreprenariat, et 1 000 ont suivi des stages pour lancer leurs petits projets », ajoute Layla Enawy.
Améliorer la qualité de vie ...
La station de mélange de fourrage permet de convertir les résidus agricoles en biocarburants.
(Photo: Mohamad Abdou)
Cette initiative du projet Vie a vu le jour à Al-Edwa et à Maghagha en janvier 2013, dans 5 localités tout d’abord. Mais ce n’est qu’en 2017 qu’il a commencé à porter ses fruits. Fin 2013, le projet avait été élargi à 10 villages, couvrait quelque 900 km2 et touchait plus de 60 000 personnes.
La région a été sélectionnée en raison de la pauvreté de ses habitants, de la prévalence de la malnutrition, du manque de services sanitaires, du faible taux de scolarisation des enfants et de la faiblesse des indicateurs de développement humain. Il aide donc les familles qui vivent dans la précarité à trouver des solutions pratiques. « L’argent que j’ai pu gagner grâce à l’agriculture sous serre m’a permis d’acheter une vache. Aujourd’hui, j’arrive à garantir la nourriture de mes enfants qui souffraient de la faim et du froid avec l’arrivée de l’hiver. Je consomme le lait et le beurre, et le surplus, je le vends pour subvenir aux besoins de ma famille », confie Nasser, un habitant de Maghagha. Auparavant, ses enfants avaient des problèmes de santé à cause de malnutrition. Ils ne mangeaient de la viande qu’une seule fois tous les trois mois. Nasser empruntait parfois de l’argent pour leur acheter des médicaments. D’ailleurs, à Al-Edwa, c’est principalement le manque de moyens qui poussait les parents à ne pas scolariser leurs enfants et à les envoyer travailler. « Pour emmener mon fils à l’école, je devais payer 1 000 L.E. par an. Le fait qui m’avait poussé à faire sortir mes enfants de l’école et à les faire travailler. Aujourd’hui, je pense pouvoir garantir à mes enfants les frais de cette année scolaire », assure Mohamad, père d’une grande famille.
Aujourd’hui, le projet agricole a largement amélioré la vie de ces simples paysans, mais a aussi contribué à sauver des milliers de palmiers. En effet, les habitants avaient lancé un cri d’alarme pour sauver le sort des palmiers ravagés par la rançon rouge (insecte néfaste et dévastateur). Eléwa, agriculteur, montre que l’état des palmiers se détériorait à vue d’oeil et qu’ils mourraient littéralement, selon ses propres termes, « parce qu’ils ne sont pas traités comme il se doit, de manière à les protéger contre cet insecte », se plaignait-il. Avant le lancement du projet, le village assumait d’énormes pertes, car la datte est un produit rentable qui contribue à la sécurité alimentaire. « Avant le commencement du projet, on a découvert que toutes les espèces en palmiers ont été menacées. Et il s’est avéré que 40 000 palmiers sont morts en 3 ans dans les villages d’Al-Edwa et Maghagha », précise Layla Enawi, directrice du projet « Hayah » auprès de l’ONUDI.
Et sauver l’agriculture
Les injections des palmiers sont destinées à éradiquer un insecte dévastateur.
(Photo: Mohamad Abdou)
Aujourd’hui, les paysans ont suivi des stages de formation pour leur apprendre comment éradiquer cet insecte néfaste. « C’est par l’injection de benzoate de sodium ou de l’ivermectine à travers le phloème (le tissu de l’arbre) conducteur de la sève que l’on peut traiter le palmier atteint. Cette injection est valable pour 6 mois. C’est-à-dire qu’il faut la renouveler au bout de 6 mois », souligne Ahmad Al-Amir, agriculteur. Grâce à ces injections, les habitants des villages Al-Edwa ont réussi à traiter 10 000 palmiers en un an. Il est à noter que cette épidémie avait touché entre 30 000 et 50 000 palmiers sur les 200 000 que compte Al-Edwa. « Nous avons réussi à sensibiliser les citoyens, notamment ceux qui ont des palmiers dans leur jardin. Car ces coléoptères qui volent peuvent facilement passer d’un palmier atteint et desséché à un autre encore sain », note l’agronome Ragaï Abdel-Wahab, l’un des habitants qui travaillent au bureau de l’ONUDI à Al-Edwa et Maghagha.
Sans aucun doute, le secteur économique du projet « des palmiers » a réalisé une énorme réussite. « Les habitants de Al-Edwa ont réussi à implanter deux entreprises pour le desséchement et l’emballage des dattes. Les propriétaires de ces sociétés fournissent 50 emplois pour les jeunes en chômage. Plusieurs d’entre eux ont commencé à exporter leurs produits », déclare fièrement Khaled Elwan, propriétaire d’une entreprise de production de dattes.
D’une pierre plusieurs coups
Ce n’est pas tout. Les agriculteurs des villages du gouvernorat de Minya ont aussi commencé à produire eux-mêmes du fourrage à base de déchets agricoles. « Aujourd’hui, nous pouvons faire d’une pierre deux coups. Se procurer du fourrage à bas prix et réduire la pollution qui résulte de l’incinération des déchets agricoles.
Car au lieu de brûler ces déchets, ils sont utilisés pour produire du fourrage. Nous avons appris aussi à transformer le fourrage des animaux en biogaz », assure Khaled Hassan, habitant, responsable du site, qui possède une station de mélange de fourrage. Hadj Khaled Hassan explique le mode de fonctionnement de la station. L’installation est alimentée par la paille de blé fournie par les agriculteurs des villages d’Al-Edwa et de Maghagha. Les tiges, préalablement broyées, sont déposées sur un tapis roulant où elles sont aspergées d’acides organiques qui séparent la pâte de celluloses, récupérée sur le convoyeur, et les autres constituants de la paille se retrouvent mélangés dans une sorte de jus. Après diverses opérations de filtration et de centrifugation, ce sirop est lui-même dissocié en hémicellulose et en lignine. Hadj Khaled Hassan ajoute que cette même station permet aussi de convertir les résidus agricoles en biocarburants.
« La récolte des résidus issus de l’agriculture, habituellement laissés dans les champs, peuvent se transformer en une nouvelle génération de biocarburants. Ces biocarburants pourraient générer des milliards de livres égyptiennes par an à la trésorerie de l’Etat, selon une étude élaborée par l’Onu », témoigne Layla Enawy, directrice du projet Hayah auprès de l’ONUDI. « Vu le grand succès réalisé par le projet Hayah, nous avons l’intention de lancer d’autres projets dans les autres villages de la Haute-Egypte, pour augmenter le revenu des Saïdiens et les encourager à élaborer leur propre business pour ne pas émigrer, que ce soit vers les pays du Golfe ou vers les pays européens », conclut Layla Enawy .
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