« Nous sommes submergés par le cri de détresse des malades. Mais que peut-on faire ? Nous sommes à l’arrêt et les patients souffrent, car plusieurs traitements de base pour les enfants souffrant de maladies cardiaques sont en manque », dit Dr Omayma à l’hôpital d’Aboul-Rich, tout en ajoutant que la crise financière du pays s’est répercutée avec force sur les donations qui représentent une partie importante du budget de l’hôpital. Une visite dans cet hôpital permet de faire ce constat. Médecins et infirmiers tirent la sonnette d’alarme.
Les appareils d’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) ne fonctionnent plus, et presque tous les services souffrent de rupture de stocks de médicaments, d’antibiotiques et de produits liés aux urgences. Le mot d’ordre est la débrouille. « Tu me donnes du fil, je te donne du sérum », dit le médecin du service de chirurgie thoracique qui n’a plus de fil pour les sutures. « Les sondes, les bonbonnes d’oxygène et les poches de sang sont introuvables à l’hôpital. On a une longue liste d’attente et on a dû renoncer à faire plusieurs interventions chirurgicales à cause du manque de donations et d’argent », s’émeut Dr Tareq, spécialiste à l’hôpital, tout en assurant qu’Aboul-Rich est l’un des plus grands hôpitaux publics accueillant quotidiennement en consultation 2 000 enfants venus de divers gouvernorats.
Une situation qui a poussé cet hôpital à lancer un appel à ses donateurs sur les réseaux sociaux, les enjoignant de profiter du Ramadan pour s’acquitter de la zakat dans un élan de ferveur religieuse et de générosité. Idem pour les autres hôpitaux publics comme Qasr Al-Aïni, Demerdach, l’Institut du coeur et le Centre national du cancer.
Ces hôpitaux s’inquiètent aussi après la baisse de 60 % des donations versées à leurs caisses. « Nous déployons des efforts herculéens pour pouvoir pallier ce manque de dons. Mais que peut-on faire face aux coûts des soins et aux prix des équipements médicaux qui ont flambé après le flottement de la livre égyptienne ? Nous attendons les dons des citoyens pour garantir la réussite et la continuité des projets que nous avons entrepris en faveur des plus démunis », affirme le directeur général de l’hôpital Qasr Al-Aïni.
Les donateurs se font rares
Misr Al-Kheir, soutenue par l’ancien mufti, a réussi cette année à doubler le volume de ses activités. (Photo : Al-Ahram)
En effet, cette situation n’est pas propre aux hôpitaux universitaires, puisque la pénurie des donations touche aussi les associations caritatives. La crise économique et la hausse des prix ont émoussé la générosité des Egyptiens et ont provoqué un repli frileux. Une donnée qui ne se dément pas, même pendant le mois du Ramadan, où les pubs de dons de charité mitraillent les téléspectateurs, comme d’habitude, pour les inviter à faire sortir leur aumône. Près de 22 000 associations religieuses et de bienfaisance (7 000 au Caire) reçoivent des fonds à titre de zakat, afin de les distribuer aux orphelins et aux nécessiteux, bien que l’ingénieur Abdel-Ati Loutfi, chef de l’Union des associations de développement, estime qu’il est difficile de donner des chiffres exacts sur la somme dépensée par les Egyptiens pour les oeuvres de charité durant ce mois.
Quelques chiffres incitent au pessimisme : selon lui, un tiers des donateurs a arrêté de faire des dons, et le nombre de personnes donnant plus d’une fois par an a nettement diminué avec la quasi-inexistence de nouveaux donateurs. « Plusieurs associations caritatives ont vu le montant des dons chuter en comparaison à l’année passée. Aujourd’hui, les donateurs n’ont plus les moyens. Ceux qui donnaient de l’argent à plusieurs associations ont tendance à se limiter à une seule, et certains réfléchissent même à deux fois avant de faire un don », explique-t-il.
C’est le cas de l’association Al-Chérif, située dans le quartier de Aïn-Chams, qui a puisé dans ses ressources et se trouve désormais dans une grande difficulté. Al-Chérif sert environ 150 familles démunies, et 150 orphelins reçoivent des assistances mensuelles, sans oublier le nombre de malades couverts par l’association et qui a atteint environ une centaine par mois, incluant les maladies coûteuses (insuffisance rénale, tumeurs, maladie thoracique et cardiaque, et les maladies de foie). « On avait l’habitude de préparer 120 trousseaux de mariées par an. Ce chiffre a baissé pour atteindre 40, notamment après la hausse vertigineuse des prix de l’électroménager. Quant aux assistances mensuelles et aux traitements médicaux, nous avons été obligés de les baisser de moitié. La même chose pour le nombre de sacs de nourriture du Ramadan, qui ont aussi diminué, car le prix d’un sac a doublé pour atteindre les 120 L.E. », souligne Asmaa Ahmad, responsable des familles pauvres et des orphelins. Et de poursuivre : « Crise ou pas, nous resterons toujours aux côtés des gens qui sont dans le besoin, les portes de l’association seront toujours ouvertes ».
« Mabarra Banine », orphelinat situé dans le quartier de Manial, est touché de plein fouet. Les responsables tirent la sonnette d’alarme, car les moyens manquent pour s’approvisionner en denrées alimentaires, en médicaments et vêtements … Le fait de répondre aux besoins des orphelins devient de plus en plus difficile. Les responsables de cet orphelinat ne sont pas capables de garantir le minimum de nourriture pour les enfants qui n’ont aucun autre endroit où aller. « Il semble que cette année, le Ramadan a changé d’aspect. Ce mois sacré a été toujours l’événement phare de l’orphelinat. A tel point que 80 % des dons annuels étaient récoltés à cette période, ainsi que durant les fêtes religieuses. Nous recevions un tas de vêtements neufs pour l’Aïd, des cartons de souliers, notre cuisine était pleine de provisions et la clinique saturée de médicaments. Aujourd’hui, nous arrivons à peine à nourrir les enfants, car un nombre important de donateurs, les plus assidus, ont réduit leurs dons cette année de 50 % », affirme Mahmoud, propriétaire de l’orphelinat.
Les associations célèbres ont paradoxalement réussi à doubler le volume de leurs activités. C’est le cas de Ressala, Dar Al-Ormane ou Masr Al-Kheir dont les publicités passent toutes les demi-heures sur les chaînes satellites. Son appel : faire parvenir 5 millions de repas aux démunis.
Le sens de la charité change
Aboul-Rich, l’un des plus grands hôpitaux publics, accueille quotidiennement 2 000 patients. (Photo : Al-Ahram)
Le sociologue Mohamad Abdallah pense que si on enregistre une baisse des dons au sein de quelques associations caritatives, les explications n’ont rien à voir avec le marasme économique. C’est vrai qu’il y a une baisse considérable qui varie entre 40 et 60 %, mais il ne faut pas non plus négliger que plusieurs associations religieuses n’ont plus aujourd’hui ni la confiance, ni les faveurs absolues du public. « Plusieurs donateurs préfèrent aujourd’hui donner leur aumône aux associations qui n’ont pas d’étiquettes religieuses ou aux gens démunis qu’ils connaissent », ajoute-t-il. Effat, propriétaire d’une usine, avait l’habitude de s’acquitter de sa zakat en la partageant entre plusieurs associations. Pour lui, le but est de permettre aux nécessiteux de sortir de la pauvreté. Mais cette année, son usine fonctionne au ralenti. Il a été obligé de réduire la somme d’argent conscacrée à la zakat et a décidé de la partager entre ses proches ou des gens qu’il connaît et qui sont dans le besoin. « Je ne crois plus maintenant à l’efficacité des associations caritatives et je ne veux plus confier mon argent à n’importe qui. Il faut que l’on soit bien renseigné sur leurs bonnes intentions », dit-il. Des craintes qui sont bien justifiées, surtout après que plusieurs associations caritatives religieuses musulmanes, telles que Al-Gameiya Al-Chareiya, Al-Sunna Al-Mohamadiya, Dar Al-Fath, Al-Nour wal Amal et Al-Gameiya Al-Khayriya Al-Islamiya ont été fermées et leurs avoirs gelés à cause de leur dépendance de la confrérie des Frères musulmans.
Mais ces associations ont été la seule alternative, voire la lueur d’espoir pour garantir aux familles défavorisées un niveau de vie digne. « Il semble que les pauvres soient toujours les premiers à payer l’addition. Nous sommes étranglés. On nous laisse mourir à petit feu », se lamente Sabha, une veuve qui a cinq enfants, dont une fille s’apprête à se marier. Elle a fait le tour de diverses associations caritatives pour leur demander de l’aide pour préparer le trousseau de sa fille ; malheureusement, elle est retournée bredouille à la maison. « Je ne sais comment faire pour m’en sortir. Al-Gameiya Al-Chareiya m’avait aidée dans le trousseau de l’aînée, mais aujourd’hui, toutes les portes sont fermées, et il n’y a plus qu’un seul moyen, celui de contracter des prêts avec le risque de me retrouver derrière les barreaux en cas de non-remboursement », se plaint-elle. Et d’ajouter : « Où sont les âmes charitables ? Pourquoi les gens ont-ils cessé de faire l’aumône ? Le sac du Ramadan est vide, il ne renferme qu’un seul sachet de sucre et de riz. Chaque année, nous attendons le mois du Ramadan avec impatience pour goûter au poulet et à la viande que nous envoient les bienfaiteurs ; malheureusement, ils ne le font plus. Et même les tables de charité sont devenues rares ».
Le manque des médicaments a créé une nouvelle forme de charité. (Photo : Al-Ahram)
Mais loin des formes traditionnelles de charité, certaines personnes ont opté pour de nouvelles idées, afin de couvrir les vrais besoins des pauvres. Une charité nouveau look qui a vu le jour en fonction des nouveaux besoins, des caractéristiques de notre époque, mais toujours avec le même objectif. Omar, étudiant, veut faire son don de charité avec ses petits moyens. Il a décidé de remettre au propriétaire d’une pharmacie une petite somme d’argent pour aider les malades nécessiteux à acheter leurs médicaments. Pour lui, la charité n’a jamais été aussi perceptible, voire urgente, que cette année, avec la crise économique et l’augmentation des prix des produits alimentaires et des médicaments. « Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. De plus, le fait de savoir que son argent a été utilisé à bon escient est un sentiment satisfaisant. Que Dieu accepte nos oeuvres », confie-t-il. Raison pour laquelle Omar a créé un site sur Internet pour collecter les médicaments et les fournir aux gens nécessiteux. Sur la même longueur d’onde, l’association Mirsal a distribué 400 sacs de médicaments aux malades issus de milieux défavorisés. « C’est la première fois cette année qu’on remplace les sacs de denrées du Ramadan par des sacs de médicaments », conclut Héba Rached, directrice de Mirsal, tout en citant le sens d’un hadith du prophète : « Le meilleur des hommes est celui qui se rend utile aux autres ».
Lien court: