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L’antibiotique qui tue

Dina Bakr, Mardi, 09 mai 2017

Férus d'automédication, les Egyptiens sont parmi ceux qui consomment le plus d'antibiotiques sans prescription médicale. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) tire la sonnette d'alarme.

L’antibiotique qui tue

Les maladies diffèrent, leurs symptômes et leurs traite­ments aussi. Ce n’est pour­tant pas ce que pensent nombre d’Egyptiens, fans de l’auto­médication. « L’arthrose, les dou­leurs au dos ou même la grippe, je les soigne aux antibiotiques », dit Saïd, un fonctionnaire de 52 ans, qui en consomme à mauvais escient. Ce monsieur pense qu’en prenant des antibiotiques, il nettoie son corps des microbes, et donc des maladies.

Or, il ignore que ces antibiotiques n’auront aucun effet en cas de grippe ou de rhumatismes. Saïd est content d’avoir un médecin à l’institution où il travaille, prêt à lui prescrire une ordonnance sans même l’examiner. Quant aux médicaments, il peut les avoir gratuitement dans la pharmacie qui se trouve sur place.

Malheureusement, Saïd n’est pas la seule personne à penser qu’un antibiotique soigne tout. Guirguès, comptable, bientôt à la retraite, pré­cise que si les symptômes de la maladie persistent, il appellera son pharmacien pour commander la même boîte d’antibiotique. « Si je prends un antibiotique durant trois semaines et constate qu’il n’y a aucune amélioration, là, je décide de voir le médecin pour qu’il me change le traitement », dit Guirguès, le plus simplement du monde. Une façon pour lui d’économiser le prix de la consultation qui coûte 200 L.E.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a, en effet, présenté une étude révélatrice, lors d’une conférence qui s’est tenue à la fin de 2016. Sur un échantillon de 3 000 malades répartis dans 18 hôpitaux, cette étude a démontré que 54 % de personnes ont consommé des anti­biotiques durant l’année et 76 % en ont pris au cours des 6 mois précé­dents. Plus étonnant encore, 60 % consomment des antibiotiques sans avis médical. 34 % pensent qu’il n’y a aucun problème à consommer le même antibiotique prescrit à un ami ou à un membre de la famille alors qu’un antibiotique est spécifique à chaque personne. 52 %, réalisant que leurs symptômes n’ont pas disparu, reprennent le même antibiotique. 55% sentant que leur état s’est amé­lioré, décident d’arrêter le traite­ment. 22 % ont déjà entendu parler de résistance aux antibiotiques.

Une étude alarmante, pour le moins que l’on puisse dire. Mais à qui revient la responsabilité d’un tel constat ? Aux malades qui en consomment à tort ou aux médecins qui en prescrivent sans que le besoin ne soit nécessaire, ou bien aux phar­macies qui en délivrent sans ordon­nance ? Ou bien au ministère de la Santé, qui n’a pris aucune mesure pour contrôler la vente d’antibio­tiques ?

De vrais risques

Pour le moment, au sein de la société, le débat est presque absent. Et rares sont ceux qui sont conscients que trouver des astuces pour se soi­gner en commandant un antibiotique de la pharmacie sans avis médical ou en présentant une ancienne peut-être fatal. « Lorsqu’un malade prend des antibiotiques trop souvent, ses lym­phocytes ne peuvent plus fabriquer les anticorps nécessaires pour détruire les microbes, alors que notre système immunitaire doit être en mesure de le faire », explique Mahrous Osman, doyen de la faculté de pharmacie à l’Université d’As­siout. « Dans quinze ans, cette sur­consommation va entraîner une catastrophe, le corps humain ne pourra résister à aucun microbe », explique Chéhata, professeur en maladies immunologiques.

Autre chose, il y a des repères standard que les médecins doivent prendre en considération comme l’âge, le poids, les risques d’allergie, l’état psychologique du patient, la durée du traitement et le genre d’an­tibiotique à prescrire. « Le médecin, connaissant les propriétés de chaque antibiotique, doit tout d’abord demander au malade de faire des analyses comme un antibiogramme. Il s’agit là de faire une culture de bactéries en présence d’un ou plu­sieurs antibiotiques pour savoir si la bactérie en question est sensible ou résistante à ces antibiotiques avant de prescrire au malade le médica­ment qui lui convient. Mais personne ne fait ces analyses faute de moyens », explique Mohamad Al-Ammari, chef du comité de la santé au parlement. De plus, les médecins demandent rarement une telle analyse. Ils prescrivent les anti­biotiques capables de traiter les maux de gorge, l’otite, la bronchite et autres problèmes respiratoires.

De fausses idées

De son côté, l’OMS a lancé une initiative visant l’utilisation modérée des antibiotiques, car en cas de mala­dies graves, les antibiotiques ne pourront plus être efficaces. « En cas de fièvre par exemple, ce n’est pas la peine de prendre des antibiotiques, du Paracétamol et un analgésique peuvent suffire avec quelques jours de repos pou laisser le corps résister à la fièvre », explique Maha Abou-Zékri, pédiatre.

Ce médecin, qui a travaillé à l’hô­pital d’Aboul-Rich, déclare avoir fait un constat alarmant. « Beaucoup de mamans croient que l’antibio­tique aide à lutter contre la fièvre. Ce qui est complètement faux. Il suffit de donner à l’enfant un anti­pyrétique pour faire baisser cette fièvre. Et si elle persiste, il faut alors emmener l’enfant chez le médecin », dit-il. Mais ces mamans n’ont pas la patience d’attendre et vont tout de suite donner à leur enfant un antibiotique en sirop que le pharmacien leur conseillera ou passer à un autre type d’antibiotique qui, selon elles, serait plus efficace. « C’est pour cette raison que j’in­siste à dire qu’il faut attendre 48 heures avant de prescrire un anti­biotique et constater un état d’amé­lioration. En plus, les mamans ne respectent pas souvent la durée du traitement. Si la bouteille de sirop est terminée, il faut en acheter une autre et finir le traitement jusqu’au bout. Il est aussi important de suivre les directives du médecin », poursuit Abou-Zékri.

Par ailleurs, une consommation peu dosée peut rendre également le corps humain plus fragile. « Lorsque je souffre d’une grippe, je vais à la pharmacie et demande magmouet al-bard (la potion de la grippe), c’est-à-dire 3 cachets de Paracétamol, un contre l’allergie et un autre d’antibiotique). En avalant tout cela en même temps, je me sens mieux et je peux me rendre à mon travail », dit Neama, femme de ménage. Elle confie que c’est une pratique courante dans son quartier à Matariya. En fait, dans les quartiers populaires et les zones rurales, plu­sieurs pharmaciens présentent aux malades ces doses incomplètes de médicaments. Hani, pharmacien, dit avoir des difficultés à expliquer aux malades qu’ils ont besoin d’un véri­table traitement et qu’il faut en res­pecter les doses et la durée. « La plupart des gens sont convaincus qu’une gélule aura l’effet d’une potion magique », dit Hani.

Si certains pays ont pris l’initiative de lutter contre la consommation à mauvais escient des antibiotiques, en Egypte, les efforts se font attendre. Mais l’OMS bouge. Cette dernière présente un soutien technique aux pays membres, afin d’établir des plans pour la prévention concernant la résistance aux antibiotiques. Et en attendant, Adel Nousseirat, respon­sable médical à l’OMS, présente quelques conseils utiles, à savoir : « Ne pas choisir un antibiotique au hasard, c’est au médecin de le faire. Terminer son traitement jusqu’au bout, même si le patient se sent mieux. Ne pas essayer le traitement d’un ami ou d'un membre de la famille, car le choix de l’antibiotique est spécifique à chaque personne, et enfin, se laver régulièrement les mains pour éviter toute contagion pouvant entraîner la consommation d’antibiotiques ».

Un plan d'action sur trois ans

Suite à l’initiative de prévention contre la résistance aux antibiotiques, le bureau de l’OMS en Egypte soutient le gouvernement de l’Egypte en lui suggérant de lancer un plan d’action national. Dans cet objectif, un comité de coordination a été constitué au sein du ministère de la Santé groupant les représentants des départements concernés. Ce comité a déjà participé à un atelier les 23 et 24 avril dernier et a élaboré la première phase du plan d’action sur 3 ans (2017-2020) suivant le même objectif du plan d’action établi en 2015. Des mesures ont été proposées portant sur 5 éléments importants : La prévention contre l’infection, le contrôle, le suivi de la mise en application du plan d’action, élargir le plan d’action concernant le programme de gestion des antibiotiques, la sensibilisation publique et encourager la production de nouveaux médicaments. D’autres propositions (comme la vaccination, le diagnostic précoce, etc.). L’atelier a mis l’accent sur la nécessité d’avoir une vision concrète pour mieux traiter les symptômes, afin de faire face à la résistance des antibiotiques en Egypte. Amr Gandil, président du secteur de la prévention médicale au ministère de la Santé, propose que les hôpitaux à la fois publics et privés soient dotés de laboratoires en analyse microbiologique, afin de détecter les microbes qui sont responsables des maladies.

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