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L’industrie canine entre business et passion

Dina Bakr et Racha Darwich, Samedi, 15 avril 2017

Le concours international pour chien, Mediterranean Sea Winner’ 17, se déroule le 22 avril au Caire. L’occasion de faire une tour­née dans le monde canin qui a connu une véritable expansion ces dernières années.

L’industrie canine entre business et passion
Le business des chiens a connu une véritable expansion après la révolution du 25 janvier. (Photo: Yasser Al-Ghoul)

Un grand camion est garé dans la rue commerciale de Abbas Al-Aqqad, à Madinet Nasr. Des ouvriers transpor­tent de grands sacs de croquettes pour chiens, des niches, des jouets, des colliers, des brosses et des shampoings. Ils livrent leur marchan­dise à une luxueuse animalerie dont les branches se sont répandues dans tout Le Caire depuis fin 2010. Ahmad, 23 ans, responsable de l’animalerie, réper­torie la marchandise tout en répondant aux clients. « Je viens d’acquérir un Golden Retriever blond âgé d’un mois et je veux acheter tout ce dont il peut avoir besoin. Je ne sais pas quel genre de croquettes il peut manger », l’interroge Nihal, la quarantaine. Ahmad lui répond patiemment et la guide dans ses choix. Il lui explique qu’il existe une large gamme de croquettes correspondant à l’âge du chien et sa taille (petite, moyenne ou géante) qui varie entre des protéines animales ou végétales. Il lui explique aussi que plus le taux de protéines animales augmente, plus le prix augmente. Le prix d’un sac de cro­quettes de 12 kilos peut ainsi atteindre 2 650 L.E. « Mais le chien n’en consomme que 250 grammes par jour car le taux de protéine y atteint 38 % », explique Ahmad en véritable connaisseur. Après son entretien d’embauche, Ahmad a suivi un stage de formation d’un mois pour connaître parfaitement la gamme de produits vendus par le magasin. Le stage est donné par les anciens employés qui travaillent dans le magasin depuis plus de 5 ans.

Le commerce relatif au monde canin a connu une incroyable expansion en Egypte depuis la révolution du 25 janvier 2011. Avec le sentiment d’insécurité, la demande de chiens de garde, comme le Berger allemand, le Rottweiler ou le Caucasien, a large­ment augmenté. « Le nombre de cliniques vétéri­naires est passé de 4 il y a 15 ans à plus de 200 au Caire, et 350 dans tout le pays. Depuis l’apparition des villes nouvelles et la propagation des villas, les chiens de compagnie sont devenus à la mode, et cette mode s’est répandue dans toutes les classes sociales. Autrefois, mes clients venaient seulement de quartiers résidentiels comme Héliopolis ou Zamalek, mais aujourd’hui, je reçois des clients de tous les quartiers, même populaires », explique Dr Berge Yacoub, qui a ouvert la première clinique vétérinaire à Héliopolis il y a quelque 35 ans.

Pures races et toilettages

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(Photo: Yasser Al-Ghoul)

Le commerce des chiens s’est donc extrêmement développé et les sites Internet et les pages Facebook à ce sujet se sont démultipliés. Une page intitulée International Club Dog’s propose d’importer des chiots de pure race à partir d’Ukraine, l’un des plus importants centres névralgiques du commerce canin au monde. La page présente des photos des chiots, des informations concernant les parents et les prix qui comprennent le prix du billet d’avion, les douanes, la cage et le collier. Les personnes intéres­sées entrent en contact avec les intermédiaires rési­dant en Egypte, dont le numéro de téléphone est inscrit sur la page. Les chiots, majoritairement des Caucasiens et des Hasky, sont livrés aux clients à la porte de l’aéroport.

Une célèbre animalerie cairote propose le même service et importe ses chiots à travers la compagnie spécialisée Euro Puppy. Les prix varient entre 1 000 et 2 500 dollars par chiot. Ils sont livrés à l’âge de 45 jours après avoir reçu les vaccins nécessaires. Ils possèdent des pedigrees et des puces électroniques implantées dans le cou. « J’ai acheté un chien avec un pedigree pour être sûr que c’est une pure race. Mais entretenir un tel animal n’est pas chose facile », explique Walid Khedr, ingénieur, qui pos­sède un imposant Rottweiler. L’apparence de Mayo reflète sa force. Pour éviter les carences des os et les inflammations musculaires, Walid lui donne des vitamines dont le prix de la boîte atteint les 800 L.E. et tient à peine deux mois. Il l’emmène aussi au toilettage dans une animalerie spécialisée à Moqattam. Celle-ci procure tous les services de toilettage comme le bain, le démêlage, la tonte, la coupe des ongles. « J’amène périodiquement mon chien ici pour prendre son bain. Les produits utilisés sont de bonne qualité et les prix sont raisonnables. Le bain ne coûte que 100 L.E. pour un chien de taille moyenne », explique Tamer, 33 ans, qui vient récupérer son superbe Golden Retriever. Le toilet­tage n’est pas un luxe. Avant l’arrivée des grandes chaleurs, il faut absolument couper les poils du chien pour que la température de son corps ne s’élève pas. A la fin de la période de gestation, il faut aussi tondre les poils de la partie inférieure du corps de la femelle pour éviter les infections pendant l’ac­couchement et l’allaitement. Le toilettage est toute une science.

Tout un monde

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Dresser un chien coûte excessivement cher en Egypte, vu le nombre restreint de dresseurs professionnels. (Photo: Yasser Al-Ghoul)

« Un séminaire sera donc organisé pour la pre­mière fois en Egypte, et des experts d’Ukraine vont venir révéler aux Egyptiens tous les secrets du métier », explique Chérif Abdel-Gawad, proprié­taire d’un complexe pour chiens installé dans la nouvelle cité de Madinaty où sera organisé le sémi­naire.

Ce complexe, qui s’étend sur une superficie de 3 000 m2, comprend à l’entrée une petite clinique où trois cages sont réservées aux nouveaux chiens pour qu’ils réalisent une quarantaine de 48 heures. Devant l’entrée, une grande cour recouverte de gazon vert permet aux chiens de suivre des séances de dressage et de jouer. On entend clairement les aboiements des chiens qui souhaitent la bienvenue aux visiteurs. Un café de style bédouin avec des tables basses et des banquettes en bois est aménagé derrière cette grande étendue verte. « Il n’existe en Egypte aucun café permettant l’accès aux animaux domestiques. J’ai alors décidé d’aménager ce café pour permettre aux gens de sortir prendre un verre et de pouvoir profiter d’un moment de convivialité à l’extérieur avec leurs chiens. Car ceux-ci restent bien souvent à la maison », explique Chérif, tout en se dirigeant à l’arrière du café vers une cour en sable entourée de cages, et renfermant une centaine de chiens toutes races confondues.

Certains sont là pour le dressage, d’autres pour l’hébergement à cause du voyage de leurs maîtres, et d’autres pour s’accoupler. Chérif y loge ses 22 Rottweilers parmi lesquels figure Karlito, sa fierté. Ce superbe Rottweiler est, en effet, le champion de Serbie, de Macédoine, des Balkans, de Slovénie et d’Egypte. « Il est vrai que ce chien m’a coûté une véritable fortune, mais il va me donner une progé­niture possédant des qualités supérieures avec laquelle je pourrai participer aux compétitions internationales et remporter des prix », explique Chérif. Karlito n’est pas le seul chien en Egypte à participer à des concours internationaux. « Iliano, mon Berger allemand, participera en septembre prochain au World Dog Show qui se tiendra à Leipzig en Allemagne. Il sera le premier Berger allemand né en Egypte de deux parents possédant des pedigrees », avance l’un des plus grands éle­veurs canins d’Egypte. Ce monsieur, qui a requis l’anonymat, affirme qu’Iliano suit un mode de vie spécial pour avoir la chance de participer à un concours international. Il a suivi un dressage d’obéissance, de garde et de courage grâce auquel il a acquis un certain équilibre émotionnel.

Nouveau métier

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(Photo: Yasser Al-Ghoul)

La volonté croissante de participer à des concours internationaux a donné naissance à un nouveau métier en Egypte, celui de dresseur professionnel. Sameh Omar, dresseur privé depuis 7 ans, déclare que le dressage d’obéissance nécessite seulement 21 jours et ne coûte que 5 000 L.E. « Je viens de suivre un stage avec Vladimir Sykes, un dresseur russe de renommée internationale, venu en Egypte pour une période de 2 mois, afin de former les dres­seurs égyptiens », explique Sameh, qui refuse de révéler le coût de ce stage ainsi que les techniques apprises, car il considère que ce sont les secrets du métier et que les professionnels ne sont pas nom­breux en Egypte. On peut trouver sur les pages Facebook consacrés aux chiens le nom et le numéro de téléphone de dizaines de dresseurs qui se disent tous professionnels.

Si Karlito et Iliano sont désormais capables de participer au show international de Leipzig organisé par la Fédération Cynologique Internationale (FCI), c’est parce que la fédération cynologique égyp­tienne (Egyptian Kennel Federation, EKF) en est devenue membre en 2014. « L’idée de la création de la Fédération égyptienne de cynologie m’est venue en 2010. A ce moment-là, j’essayais d’ache­ter un chien depuis l’étranger, et lorsque la proprié­taire a appris mon pays d’origine, elle a refusé de me vendre son chien sous prétexte que l’Egypte n’était pas membre de la FCI. Je me suis senti humilié et je me suis donné comme but de créer cette fédération », affirme Mohamad Al-Azhari, président de l’EKF. C’est grâce à notre adhésion à la FCI que l’Egypte peut participer à des concours internationaux, mais aussi organiser des concours grâce au parrainage de la FCI avec des arbitres et des prix accrédités.

Autre point important : l’EKF peut désormais émettre des pedigrees accrédités par la FCI pour les chiens de pure race nés en Egypte. « C’est une grande avancée pour la création d’une industrie canine en Egypte », précise Al-Azhari, bien que de nombreux obstacles viennent encore freiner le développement du secteur. Contrairement à de nombreux pays européens, il n’existe en Egypte aucune réglementation relative à l’élevage canin. « Nous avons les moyens en Egypte de développer l’élevage canin et nous souhaitons que les autorités nous aident à faire de ce secteur une véritable industrie, réglementée et éthique », ajoute Mohamad Al-Azhari, président de l’EKF. Berge Yacoub par­tage cet avis et ajoute : « Tout ce qui a trait aux besoins des chiens est considéré comme des pro­duits de luxe. Qu’il s’agisse d’accessoires, de nour­riture, de vaccins ou de médicaments, tous ces pro­duits sont soumis à des douanes et des taxes exorbi­tantes ». Yacoub explique qu’il se voit parfois obli­gé de prescrire des médicaments humains pour ses patients à cause des prix élevés des médicaments vétérinaires, mais aussi à cause de leur pénurie.

Alternatives locales

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(Photo: Yasser Al-Ghoul)

En effet, si de nombreuses personnes cherchent à acquérir des chiens de pure race avec des pedigrees, ce n’est pas le cas de la majorité des Egyptiens qui cherchent un simple chien de compagnie ou de garde. Sur les sites de vente en ligne et sur les pages des journaux sont apparues des dizaines de petites annonces pour la vente de chiots. C’est ainsi que de simples amateurs ont transformé leur amour pour les chiens en un commerce rentable. « Mon Pitbull a donné naissance à 6 chiots. Je pense garder les deux femelles et vendre les mâles », explique Mohamad Nasr, qui a transformé le toit de son immeuble en un véritable chenil. « Jamais je n’au­rais pensé que mon hobby allait se transformer en un projet aussi rentable. Quand ma chienne avait mis au monde sa première portée, je ne savais pas qu’en faire. Ma mère a catégoriquement refusé que je garde tous ces chiots dans l’appartement. J’ai alors demandé aux voisins de me permettre d’ins­taller une niche sur le toit de l’immeuble. Quand j’avais réussi à vendre les chiots après leur sevrage et quand j’avais gagné une bonne somme d’argent, j’en ai fait un véritable projet », explique cet étu­diant qui dit avoir recourir aux célèbres animaleries de la rue de Guesr Al-Suez pour écouler sa mar­chandise, mais aussi pour acheter des croquettes pour chiens bon marché. Dans cette rue, sept anima­leries sont accolées les unes aux autres. Elles expo­sent des chiens de différentes races dans des cages déposées à même le trottoir, et vendent à l’intérieur des croquettes d’origine égyptienne ou brésilienne qui sont moins chers que les croquettes euro­péennes. « Nous vendons les croquettes par kilo pour satisfaire les besoins de nos clients qui n’ont pas toujours les moyens d’acheter de grosses quan­tités », explique Roubi, propriétaire de l’animalerie.

Pour faire face à l’énorme hausse des prix des croquettes importées, un véritable marché s’est développé, celui des carcasses des volailles, des os et des viandes brésiliennes. Cependant, la prépara­tion des repas à partir de ces ingrédients prend pas mal de temps, ce qui peut être un problème pour de nombreuses personnes. De là est venue l’idée à Héba Ahmad, de préparer des repas pour chiens et de les vendre à travers sa page Facebook intitulée Dogs Meals ou à travers les dépliants qu’elle distri­bue dans le voisinage au quartier résidentiel de Cheikh Zayed. « Je suis la première à avoir inventé tout un menu pour les chiens. Je présente des repas équilibrés composés de protéines, de légumes et de riz. Le prix du repas au kilo est de 12 L.E. Mes clients passent leurs commandes pour des repas d’une semaine ou même d’un mois. Je livre les repas congelés cuits ou non cuits », explique Héba. Cette jeune femme soucieuse de la nourriture des chiens lance des appels sur Facebook et dans des interviews télévisées pour anéantir complètement le marché des poulets morts. « Les éleveurs canins qui ne se soucient que des gains achètent des poulets morts pour la dérisoire somme de 2 L.E. le poulet. Seulement ces poulets morts sont susceptibles de transmettre des maladies contagieuses aux chiens, qui peuvent les transmettre aux humains. Si cela arrivait, le traitement de ces maladies deviendrait très compliqué », explique Héba. « Mes chiens sont devenus avec le temps mes meilleurs compagnons de vie, et mon petit commerce m’apporte désormais une stabilité financière rassurante », conclut Héba qui, comme de nombreuses personnes travaillant dans ce domaine, espère que l’industrie canine se développera dans le pays .

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