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Profession : Bodyguard

Manar Attiya, Lundi, 10 avril 2017

Ils sont costauds, ils sont musclés, ils vivent dans l'ombre des VIP qu'ils sont chargés de protéger. Ce sont les gardes du corps. Tournée dans les coulisses de ce métier à risques.

Profession : Bodyguard
Ce business a prospéré après la révolution du 25 janvier 2011. (Photo: Hassan Chawqi)

On les surnomme « bodyguards » ou gardes du corps. Ils travaillent seuls ou en équipe et ont pour mission de protéger et sécuriser les personnes dites « VIP » d’une éventuelle agression ou des fans un peu trop envahissants. Ils accompagnent des personnalités politiques, des hommes d’affaires, des stars de cinéma, ou simplement des personnes fortunées lors de leurs déplacements publics ou privés, dans des milieux sensibles ou suspects. Toujours vêtus de noir jusqu’aux lunettes de soleil, pour mieux intimider et dissuader tout aventurier qui oserait importuner leurs clients, leurs chasses gardées, les gardes du corps sont toujours équipés d’un talkie-walkie (pour rester en contact avec les autres membres de son équipe), d’un fameux « triptyque », mallette dépliable qui se transforme en bouclier contre les balles ou tout autre projectile.

Mille questions se posent sur la vie de ces hommes : leur formation, leur rémunération, leurs clients, les risques encourus. Première condition, avoir le physique qu’il faut pour ce métier. Sculpter son corps pour veiller sur celui d’un autre, c’est ainsi la première chose à faire. Mais les gardes du corps doivent aussi suivre des formations spécifiques pour parfaire leur corps, leur principal capital.

Très sportif, Mohamad Tayssoun s’est distingué depuis son jeune âge dans des compétitions de boxe et de lutte, cumulant médailles et prix dans les arts martiaux : kung-fu, karaté, judo, jeet kune do. Sur Twitter (son profil est protégé), où son compte est suivi par plus de 14 000 personnes, il dit faire du sport sans relâche, et déclare : « Si on trouve le temps pour dormir et manger, on peut trouver le temps pour s’entraîner ». Corps d’athlète et muscles imposants, sa grande stature et sa force physique impressionnent. Chaque jour, le matin, Tayssoun s’entraîne au moins trois heures, et l’après-midi, il entraîne des jeunes. Son objectif : économiser de l’argent pour pouvoir partir au Japon ou en Chine et suivre des stages sur les techniques d’autodéfense et de lutte à mains nues.

Sur sa page Facebook, qu’il utilise comme plateforme pour se présenter à son public, on trouve de nombreuses vidéos de lui faisant de la musculation. Tayssoun, âgé de 41 ans, mange 18 blancs d’oeuf par jour, 2 poulets, 6 galettes de pain, et surtout des fruits et légumes. Il pèse 170 kilos et mesure 1,93 m. C’est le « garde du corps le plus costaud de l’Egypte ». Il est célèbre non seulement en Egypte, mais aussi en Arabie saoudite et aux pays du Golfe. Quand une haute personnalité fait appel à une équipe de bodyguards, c’est souvent lui qu’on demande. Après 20 ans d’expérience, il gagne un salaire mensuel de 15 000 riyals saoudiens (soit l’équivalent de 75 000 L.E.), quand il travaille pour des étrangers. Mais, Tayssoun préfère travailler de manière indépendante plutôt qu’en équipe.

30 % de plus depuis 2011

Profession : Bodyguard
Le bodyguard protège des personnalités politiques, des hommes d’affaires, des artistes, des célébrités … (Photo: Hassan Chawqi)

En fait, le phénomène de bodyguards n’est pas une particularité égyptienne. Bien au contraire. Au-delà de nos frontières, cette fonction revêt des allures bien plus palpitantes. Les gardes du corps deviennent « califes à la place du calife ». Plusieurs d’entre eux se sont forgé une notoriété aux côtés de leurs mentors. En Egypte, si la demande d’agents de protection rapprochée a commencé dans les années 1990, la pièce de théâtre Bodyguard, mise en scène en 1999 et jouée par Adel Imam, a mis le focus sur les coulisses du métier. C’est l’histoire d’un prisonnier campé par Adel Imam, qui rencontre un homme d’affaires puissant. Ce dernier lui propose de devenir le garde du corps de sa femme et va l’impliquer dans des affaires louches. Plus tard, après la révolution du 25 janvier 2011, le métier a connu un boom à cause de l’insécurité qui régnait dans les rues, mais aussi parce que des citoyens avaient reçu des menaces de mort. Depuis cette période, leur nombre a augmenté d’environ 30 %, selon le Centre national des recherches sociales et criminelles. Sur les pages Facebook, on a commencé à voir des particuliers solliciter les services d’un bodyguard, et sur d’autres, des bodyguards qui publient leurs photos exhibant leurs biceps et diffusent leurs numéros de portable pour être embauchés. Depuis, ce business a prospéré.

Outre les gardes du corps qui travaillent indépendamment, en Egypte, il existe 240 sociétés de surveillance et de sécurité, avec chacune un personnel d’environ 300 personnes. Dans ces sociétés, un bodyguard gagne entre 300 et 600 L.E. par jour, selon sa formation, son expérience et l’importance de la personne à protéger (personnalités politiques, hommes d’affaires, célébrités …). Mais ce salaire de base, pour un professionnel confirmé, ne parvient pas à faire oublier les difficultés du métier. Comme certaines professions, ce métier n’échappe pas aux heurts et risques.

Les aléas du métier

Profession : Bodyguard
(Photo: Hassan Chawqi)

« J’assurai la protection d’un body (nom attribué à la personne qu’on protège) avec l’aide d’une équipe. C’était une princesse saoudienne qui portait une montre très chère en diamant. Soudain, nous nous sommes trouvés encerclés par des bandits qui voulaient extirper cette montre qui coûte environ 20 000 euros. Nous les avons frappés à mort et réussi à les maîtriser », se souvient Adly, un membre du service de protection de la princesse (20 ans d’expérience) et qui a réussi à sauver la princesse et son bijou des mains de ces bandits. Une telle bagarre aurait pu coûter la vie à n’importe quel membre de son équipe. A la fin de son séjour, la princesse a offert à Adly 1 500 euros en guise de remerciement. En effet, le métier d’un garde du corps est pénible. Ce dernier doit être disponible 24 heures sur 24. « La plupart du temps, on s’ennuie à mourir, mais on doit être constamment aux aguets, en état d’alerte permanent et ça c’est épuisant pour les nerfs ! », poursuit Farès Dabbaba, garde du corps qui a travaillé comme agent de sécurité dans plusieurs entreprises privées. Celui-ci a même joué plusieurs rôles dans des films égyptiens, comme Al-Qerd Béyetkalem (le singe parle) d’Ahmad Al-Fichawi, Hassan et Böloz de Ali Rabie, Chadd Agzä de Mohamad Ramadan et d’autres encore ; il a même joué dans des feuilletons.

Farès Dabbaba a assuré la protection rapprochée de la famille d’une personne politique entre 2015 et 2016. Sa mission était alors de protéger monsieur et madame, et surtout leurs quatre enfants. Ce n’était pas la première mission qu’il accomplissait. Dabbaba a été le bodyguard de plusieurs stars, entre autres la danseuse Safinaz, la chanteuse Hayfa, le chanteur Amr Diab et d’autres encore. Dabbaba raconte sa relation avec la famille de son patron : « Durant leurs séjours à Louqsor, Assouan, Charm Al-Cheikh ou Hurghada, ce couple craignait que l’on ne kidnappe leurs enfants. J’avais donc pour mission de ne laisser personne les approcher ».

Durant les dix-huit mois de travail, Dabbaba a réussi à gagner la confiance du couple. « Dès le départ, le courant est bien passé entre nous. Je vivais constamment avec eux et j’emmenais les enfants là où je voulais aller. Je les emmenais même à la plage. A part moi, personne d’autre n’était autorisé à le faire. Au fil du temps, j’étais devenu un père pour eux ». A chaque fois que le couple voyageait avec ses enfants, Dabbaba était logé dans le même hôtel 5 étoiles et dans une chambre mitoyenne à celle du couple.

Mais après des mois de bons et loyaux services, le garde du corps en a marre. « Je n’avais plus de vie privée. En dix-sept mois de travail, je n’ai eu droit qu’à quelques jours de congé. Je n’ai pas supporté et je les ai quittés », raconte-t-il

Confiance et discrétion

Profession : Bodyguard
Tayssoun, le garde du corps le plus costaud d'Egypte. (Photo: Hassan Chawqi)

Cette proximité du bodyguard avec la personnalité qu’il protège est permanente. Il est censé tout partager avec elle et finit par connaître ses secrets et ses déboires. Pour qu’un garde du corps soit efficace, il faut que son client lui fasse entièrement confiance. Il ne doit rien lui cacher et ne doit pas craindre de lui montrer toutes les facettes de sa personnalité, même les plus sombres. « C’est pourquoi la discrétion est aussi la règle numéro un de notre métier, il faut être muet comme une carpe, être en mesure de garder les secrets, car nous apprenons tellement de choses sur la vie privée de nos clients », précise Ayman Dabboura, garde du corps.

Au fil des jours, la relation professionnelle entre le garde du corps et son boss se transforme en relation amicale, voire familiale, c’est un contrat moral qui s’établit entre les deux parties. Le témoignage du chanteur Hani Chaker à l’égard de son garde du corps est à ce titre assez édificateur. Il dit considérer son garde du corps comme un frère, et que le contrat qui les lie dépasse aujourd’hui le cadre professionnel. Amr Diab reconnaît à cet effet partager plusieurs secrets avec son bodyguard. Ce qui rentre dans le cadre normal des choses. Amgad est le garde du corps du grand chanteur Mohamad Al-Helw, qui le considère comme son fils.

Rigueur, discipline, sens aigu de l’observation, pratique des arts martiaux, courtoisie, politesse, sang-froid et bon gardien des secrets sont des qualités essentielles de ce professionnel. Tout comme bien sûr de bonnes dispositions musculaires. Une excellente forme physique est primordiale, ainsi qu’une bonne connaissance des techniques d’immobilisation. Un bodyguard n’a pas d’arme, mais l’utilisation de points de pression peut neutraliser n’importe quelle personne qui veut faire du mal. De même, il doit être capable de réagir très vite dans différentes situations.

C’est le cas du garde du corps Mohamad Essam, qui a fait des efforts consentis en protégeant la femme d’un diplomate et ses enfants. « C’était en 2011, quelques mois après la révolution. Des bandits ont essayé de kidnapper l’épouse et ses deux enfants, mais ils n’ont pas réussi », se souvient Mohamad Essam, 17 ans d’expérience. « En général, on a les yeux rivés sur les mains et les yeux des gens qui gravitent autour de la personne que l’on doit protéger, parfois même au prix de sa propre vie », conclut Mohamad Essam.

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