Il désirait chanter car il avait une belle voix, mais il ne voulait pas imiter les autres chanteurs présents sur scène. Du coup, il a décidé de se lancer dans les chants religieux. Il s’agit de Seif, 13 ans, actuellement le plus jeune chanteur religieux (monched) en Egypte. Cet élève du cycle préparatoire et une dizaine d’autres personnes forment aujourd’hui le noyau d’un projet qui vise à faire revivre l’art de l’Inchad (chant religieux) après des années de déclin. Ce groupe est inscrit à l’école qui enseigne cet art, la première en Egypte. Une école pas comme les autres. Les cours ont lieu deux fois par semaine uniquement et l'endroit n’est pas toujours fixe. La plupart du temps, ils se déroulent au siège du syndicat des Monchedine, parfois dans les salles des maisons antiques du Caire fatimide, comme Beit Al-Séheimi ou le château du prince Taz. Le nombre et l’âge des participants varient, environ 30 à 40 personnes y vont, quant à la tranche d’âge, elle varie entre 10 et 50 ans et parfois plus. Hommes et femmes assistent aux cours qui peuvent durer trois mois. « J’ai appris l’existence de cette école, grâce au Facebook », dit Seif qui participe actuellement à tous les événements que l’école organise. Dès qu’il commence à chanter, il déclenche une véritable ovation — amplement méritée — pour sa belle voix et sa prestance. Des poésies dont les thèmes tournent autour de l’amour de Dieu et du prophète Mohamad (que la prière d’Allah et son salut soient sur lui), qui sont chantées par une ou plusieurs personnes.
Al-Tohami et les étudiants de son école.
(Photo: Hachem Aboul-Amayem)
Depuis les années 1970-1980, les grands monchedine ont senti que cet art était en déperdition. C’est pourquoi ils ont créé un syndicat pour rassembler les chanteurs et organiser leur travail. De même, ils ont ouvert une école pour enseigner l’art des chants religieux à la nouvelle génération. C’est le chantre Mahmoud Al-Tohami, qui en a eu l’idée en 2014. La première du genre en Egypte et l’une parmi les rares existantes à travers le monde est alors créée. « Il faut sauver cet art, d’autant plus que faute de professionnalisme auprès des amateurs actuellement sur la scène, il y a bien plus de chanteurs étrangers qui psalmodient nos poésies, les collant à leurs répertoires, oubliant qu’il s’agit là de poésies anciennes égyptiennes », explique Mahmoud Al-Tohami, fils d’un des chanteurs les plus renommés de Haute-Egypte, Yassine Al-Tohami. Selon lui, après une longue époque de gloire, cet art spirituel se trouve en décadence et risque même de disparaître. Pour lui, comme pour les célèbres chantres, il est temps de former de nouveaux chanteurs, bien éduqués pour faire revivre cet art, dont l’Egypte est la pionnière.
Un véritable apprentissage
Seif, 13 ans, le plus petit chantre d'Egypte.
(Photo: Hachem Aboul-Amayem)
Et c’est bien le rôle de cette école qui a formé jusque-là deux promotions. Les gradués participent actuellement aux différents événements comme des professionnels. On les voit se produire dans différentes soirées, en train de chanter les louanges de Dieu avec leurs voix angéliques, les filles portant des robes et voiles blancs et les garçons habillés en djellabas et turbans blancs. Une technique vocale agrémentée d’effets scéniques qui se reflètent sur leurs visages et les mouvements de leurs corps. «
Pour être accepté dans cette école, il faut avoir une belle voix et l’oreille musicale », dit le cheikh Taha Hussein, responsable administratif à l’école. Ce sont les deux critères principaux d’inscription en classes
d’Inchad, mais pas seulement cela. Il faut être un élève assidu, ayant une base de culture générale. Ce sont les grands chanteurs qui sont chargés de leur enseigner cette foule d’odes à la louange de Dieu et les rythmes musicaux essentiels. Et pour être gradué, il faut passer un examen qui n’est pas toujours facile : seuls 13 élèves sur 40 ont réussi à le passer avec succès. «
Beaucoup croient qu’on est là pour chanter et écouter de la musique et que cela ne mérite pas de grands efforts. Ce qui est faux, car on passe des heures et des heures à apprendre à réciter les poésies et s’entraîner à les chanter en suivant le rythme de la musique », explique Hagar, 20 ans, étudiante en droit à l’Université d’Al-Azhar.
Habiba et Yasmine dans un état de transe.
(Photo: Hachem Aboul-Amayem)
Entre le rythme saba (triste) et celui de bayati (gai) il en existe plusieurs autres que l’élève doit apprendre à distinguer. Il faut aussi connaître le genre des poésies et faire la différence entre les styles des grands cheikhs. Ainsi c’est au comité de l’examen constitué par le cheikh Al-Tohami, et composé de membres du syndicat et de grands musiciens de l’Opéra, de dire si un élève sera gradué et autorisé à participer aux événements publics. « Pour celui qui désire continuer, il peut passer aux deux niveaux supérieurs. Et s’il désire devenir une légende vivante et se produire sur les scènes internationales, comme c’est le cas de plusieurs cheikhs, il doit créer son propre style de chant », dit le cheikh Taha Al-Eskandarani, décorateur et chantre. Ce dernier explique que cet art a toujours fait partie de la culture arabo-musulmane depuis l’époque du prophète (que la prière d’Allah et son salut soient sur lui), qui a été accueilli par ses fidèles à Médine par le célèbre chant « Talaa Al-Badr Alayna ».
Une demande croissante
(Photo: Hachem Aboul-Amayem)
Au fil du temps, les grands cheikhs ont fait de l’
Inchad sa réputation mondiale. Durant les mouleds, les inaugurations des festivals et des événements publics, les louanges de Dieu ont toujours été présentes et les chanteurs étaient de grandes stars. Dès le début des années 1980, beaucoup de changements ont eu un impact sur la société et l’
Inchad a commencé à subir un mouvement de régression. «
Actuellement, les réseaux sociaux posent un autre problème. N’importe qui peut réciter des louanges à Dieu et des remerciements à son égard et trouver audience, alors que ce chanteur n’est pas à la hauteur de cette prestation », ajoute Al-Eskandarani. Ainsi, l’ouverture d’une école de chants religieux était nécessaire pour former de vrais chantres. Al-Eskandarani voit que le grand nombre de personnes qui se présentent pour prendre des cours de chants religieux est la preuve qu’elle aboutira à son objectif. «
On reçoit chaque année des demandes d’inscription supérieures à l’année précédente. Cette année, plus de 100 personnes se sont présentées, mais nous n’acceptons pas plus de 40 élèves. Ceux qui le méritent vraiment », assure-t-il. La réaction du public qui connaît les élèves par leurs noms et les suit lors de leurs spectacles est très encourageante, et reflète à quel point les gens veulent entendre du vrai chant religieux qui rappelle leurs ancêtres. «
Mon idole c’est Al-Naqchabandi, j’adore son style et je rêve de devenir comme lui », dit Zakariya, étudiant de commerce à l’Université du Caire et qui vient d’être gradué à la deuxième promotion de l’école. Des étudiants de tous les cycles scolaires, mais aussi des employés et des ouvriers qui se présentent à l’école pour chanter. Sami, pharmacien, a essayé d’apprendre l’art de l’
Inchad durant trois ans, mais il n’a pas réussi, car il se trouvait parmi des amateurs, mais dans cette école, il a appris les vraies bases en trois mois seulement. Et il est devenu le chantre officiel dans la société où il travaille. Quant à Taqwa, le chant religieux a été le seul moyen pour qu’elle puisse chanter. Elle est médecin dans un hôpital et elle adore chanter, mais ses parents ont toujours refusé. Un jour, elle leur a dit qu’elle voulait chanter des louanges à Dieu et son prophète, ils ont accepté. Pour assister aux cours, elle fait le trajet Tanta-Le Caire, deux fois par semaine. «
Beaucoup d’élèves prennent au sérieux ces cours et je peux dire que dans dix ans, quelques-uns d’entre eux seront des stars », dit le cheikh Taha Hussein. Bien que le ministère de la Culture soutienne l’école, l’Etat et les autres organismes ne leur fournissent aucune aide, d’après les responsables et les professeurs. «
Notre budget est restreint, pourtant, nous avons l’intention d’ouvrir d’autres écoles dans d’autres gouvernorats. Ce sont des obstacles qui peuvent entraver notre objectif, celui de sauver notre héritage, de préserver nos poésies anciennes et de former de nouveaux chanteurs », conclut Al-Eskandarani .
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