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Une bouffée d'oxygène

Dina Bakr, Lundi, 13 juin 2016

Les travaux en cours de la centrale électrique de Béni-Soueif apportent de l'emploi à une population qui en avait bien besoin. Reportage.

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(Photo: Tareq Hussein)

« Je fais le tour du site 3 fois par jour pour détecter de la nourriture éventuelle sur le chantier. Cela peut attirer des insectes et il est interdit d’utiliser des pesticides, ces produits étant inflammables », explique Moussa Gamal, 35 ans, chargé de la propreté du site de la nouvelle centrale électrique de Béni-Soueif. Il touche 85 L.E. (10 dollars) par jour, sans compter les heures supplémentaires.

Ce travailleur a quitté la Libye en 2014. « J’y suis arrivé à la fin 2010. J’ai failli être tué pour y gagner mon pain. Je me serrais la ceinture pour économiser de l’argent, mais à un certain moment, le danger était trop grand, alors j’ai décidé de rentrer sans encaisser mon dernier salaire », relate Gamal. Pour lui, c’est maintenant tellement plus pratique d’être près de sa famille. Beaucoup d’ouvriers estiment que pouvoir rentrer chez soi le soir est un privilège même si, ailleurs, ils peuvent gagner plus d’argent. « Travailler tout près de la maison me permet d’être joignable par ma famille en cas de difficulté car en une demi-heure, je suis chez moi », dit Ahmad Samir, technicien.

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Les ouvriers aspirent à plus d'avantages et de primes pour contrer la cherté de la vie. (Photo: Tareq Hussein)

Le chantier est situé à 160 km au sud du Caire, et s’étend sur une superficie de 84 feddans (35 ha). Ce site de production d’énergie électrique aura une capacité de 4 800 mégawatts et alimentera les 6 réseaux de distribution des villes de Béni-Soueif, Maghagha et Assiout. « 36,4 % du projet a été réalisé. En mars 2018, la centrale sera en mesure de fournir 2 000 mégawatts », déclare Ibrahim Al-Chahat, PDG de la Société de la Haute-Egypte pour la production de l’électricité. « Le groupe égyptien El-Seweedy a recruté des ouvriers qui habitent la ville de Béni-Soueif, là où se trouve le chantier et ce, pour contribuer au développement social », déclare Mohamad Abdou, ingénieur, responsable des inspections et des relations sociales. L’expérience a eu un précédent lors de la construction de la centrale de Kouraymat, une ville située au nord de Béni-Soueif. « Avant la construction de la centrale électrique à Kouraymat, en 1993, cette petite ville n’était pas inscrite dans le programme de développement social », avance Al-Chahat. La construction de la centrale a servi à produire de l’énergie électrique, mais elle a aussi contribué au processus de développement socioéconomique de la région. Aujourd’hui, la centrale de Kouraymat compte 1 700 employés dont 40 % habitent cette ville.

Aspirations des ouvriers

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Respecter les consignes de sécurité est vital. (Photo: Tareq Hussein)

Ce projet de centrale électrique à Béni-Soueif, lancé au mois d’août 2015, semble répondre aux aspirations des ouvriers qui vivent dans les villages alentour. 4 000 employés ont été recrutés pour accomplir différentes tâches. « Ce nombre pourrait être multiplié par 2 prochainement, car à chaque étape, les besoins en main-d’oeuvre augmentent », confie Ayman Abdel-Moneim, directeur des projets et des assemblages. Sur ce chantier, 80 % des ouvriers sont originaires de la ville de Béni-Soueif. « Dans un tel projet, les travailleurs sont la cheville ouvrière. Selon leur niveau d’instruction, leur expérience et leur capacité à assimiler les consignes, chaque ouvrier exécute une tâche qui correspond à ses aptitudes », explique Abdou.

Le chantier est entouré d’une longue muraille, cernée par des fils barbelés. A l’entrée, des contrôles sont effectués : vérification d’identité des visiteurs ainsi que des véhicules. Toujours au portail d’accès, une pancarte signale aux travailleurs que des dépistages de drogue et d’alcool sont effectués à n’importe quel moment de la journée. Tout le personnel est tenu au strict respect des règles mises en vigueur par l’administration avec les sociétés Siemens, El-Seweedy et Orascom qui sont chargées de l’exécution de ce projet. Le personnel affecté sur le chantier est composé d’ingénieurs expérimentés et d’ouvriers spécialisés. Pour les identifier, chaque société a choisi une couleur de casques : vert, bleu ou blanc.

Ici, sur le site de Béni-Soueif, les moins expérimentés, surtout les ouvriers, doivent suivre des formations sur la sécurité au travail. « On ne badine pas avec l’électricité. Il existe un département de sécurité chargé de surveiller et de mettre en place des consignes de sécurité de manière permanente que les ouvriers sont tenus à respecter », explique Abdou. Les superviseurs peuvent sanctionner ou blâmer les ingénieurs quand leurs équipes commettent des erreurs.

Tous les mardis, dans un coin du site, une séance d’information est menée en présence des ouvriers pour la transmission des nouvelles instructions. Et chaque premier mardi du mois, la productivité et le progrès de chaque ouvrier sont évalués. Celui qui a respecté à la lettre les consignes de sécurité reçoit une récompense de 150 L.E. Et s’il a donné satisfaction au travail, on lui fait cadeau d’un tee-shirt, d’une casquette ou d’une médaille. « J’ai fait de grands progrès, c’est pourquoi l’administration m’a nommé agent de circulation », dit Mohamad Mahmoud, 20 ans. Sur le site, les conducteurs de gros engins ont besoin d’un guide pour se déplacer sur ce chantier, et l’agent de circulation est chargé de les orienter. Quant aux ouvriers sans diplôme, ils peuvent attendre 2 ou 3 jours avant de recevoir les consignes de sécurité sur le site. « Attention à ta sécurité », « Ne mettez pas votre vie en danger », « Rentrez chez vous sains et saufs », « Ne pas toucher aux tableaux de contrôle d’électricité », indiquent les pancartes réparties sur tout le site. Elles sont illustrées de dessins pour une meilleure compréhension. Ces règles de sécurité sont apprises par coeur par les ouvriers. Malgré leur niveau modeste d’instruction, ils répètent ainsi des mots anglais comme « site » ou « safety ». Le port de casques, vestes fluorescentes, lunettes et bottes est obligatoire. « Les consignes données par la sécurité sont là et tout le monde est tenu à les respecter, car une faute qui peut vous paraître futile peut mettre en danger la vie d’un de vos collègues », répète Ayman Abdel-Moneim, ingénieur de vingt années d’expérience et « zero harm » (zéro faute) dans son dossier.

Montagne et roches

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Le chantier est situé à proximité du Nil, un facteur important pour la production de l'énergie électrique. (Photo: Tareq Hussein)

Le terrain du site est divisé en 4 niveaux dont la plus grande partie est constituée de montagne et de roches. Il a fallu creuser longtemps pour extraire du sous-sol 1,6 million de m3 de terre. La mission confiée à chaque équipe doit se faire en concordance avec les autres. A la moindre erreur, le travail peut s’arrêter sur l’ensemble du site. « C’est la course contre la montre dans ce chantier. Nous avons réalisé une bonne partie du programme en un temps record », explique Bassem Chawqi, ingénieur, directeur du site. Ce projet géant n’aurait pas vu le jour sans cette main-d’oeuvre qualifiée.

Des pare-feu protégeant les turbines qui produisent l’électricité sont déjà installés. Quatre autres unités sont constituées de turbines à gaz et à vapeur et fourniront prochainement un cycle combiné d’électricité. Des tours de refroidissement en béton armé recueillent l’eau provenant du Nil.

Les responsabilités sur le chantier sont partagées entre ingénieurs, ouvriers, techniciens, assistants et agents de nettoyage. Les ouvriers touchent entre 2 700 L.E. et 3 000 L.E. par mois. « Un salaire sans jours fériés. On a réclamé une prime de transport pour couvrir nos frais, la vie est devenue si chère », dit Abdel-Sattar Eid. Il voudrait profiter des mêmes avantages concédés aux ingénieurs comme être transporté chez lui par bus. De nombreux ouvriers habitant d’autres villes du sud payent aussi 300 L.E. par mois de loyer en plus des frais de transport. Or, ces travailleurs qui veulent gagner leur vie voudraient aussi économiser pour assurer l’avenir de leurs enfants. Ils voudraient avoir sur place les infrastructures nécessaires à leur vie quotidienne. « Nous, en tant que société privée, on joue le rôle de l’Etat. Dernièrement, les travailleurs ont demandé au directeur et propriétaire de construire une école et une mosquée, dans le village de Ghayada où est située la centrale. Ce qu’il a promis de faire. Il a même programmé d’y ajouter un centre médical et 2 ambulances disponibles 24h sur 24 », affirme Abdou, ingénieur dans la société El-Seweedy. Le soleil commence à se coucher, les ouvriers se préparent à quitter le site. Satisfaits d’avoir du travail dans leur région, ils voient, grâce à la centrale, leur quotidien s’améliorer.

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