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La monarchie pour une bouffée de bien-être

Dina Darwich, Dimanche, 03 avril 2016

Passionnés par la monarchie égyptienne révolue, des nostalgiques présentent dans une solide détermination leurs recherches et initiatives pour une relecture de cette époque. Avec en toile de fond les troubles engendrés par la révolution de 2011.

La monarchie pour une bouffée de bien-être
(Photo:Bassam Al-Zoghby)

Le club Mohamad Ali, situé en bordure du Nil, sur la route menant du Caire à la Haute-Egypte, ravive une époque dont la gloire s’est éteinte au milieu du XXe siècle. Le visiter, c’est être transporté dans le temps. Magued Farag, le maître des lieux, nostalgique d’une Egypte qui, pendant plus d’un demi-siècle, a épaté l’ensemble du monde arabe par ses réformes politiques, sociales, économiques et culturelles, a voulu reproduire une ambiance et exhiber des objets datant de l’époque royale. Le collier du khédive Mohamad Ali, dont le modèle a servi pour décorer les érudits de divers domaines, sert d’insigne au club. Dans le vaste jardin se dressent les statues à l’effigie des 11 rois de la dynastie alaouite. Une couronne royale se dresse au sommet du bâtiment tandis que des moucharabiehs décorent sa façade. Un yacht amarré fait aussi partie du décor. A la nuit tombée, des lanternes de style oriental illuminent les lieux et leur confèrent une ambiance magique au point de penser que le monarque est sur le point d’arriver.

La monarchie pour une bouffée de bien-être
Le site officiel du roi Farouq compte 4 000 photos et en comptera 10 000 après son renouvellement.

C’est ainsi que Magued Farag, 65 ans, replonge dans le passé. L’homme a exercé plusieurs métiers : banquier, artiste, propriétaire d’une agence de publicité ... avant de se consacrer entièrement à l’histoire contemporaine de son pays. Et les vandales qui ont dévasté les lieux en février 2011 ne l’ont pas découragé. « C’est quand j’ai commencé à parcourir les livres d’histoire, que j’ai constaté que l’on avait été injustes avec la famille de Mohamad Ali, en particulier le roi Farouk, dont on a donné une image erronée. Ces livres d’histoire destinés à différents cycles scolaires ont été rédigés à l’époque nassérienne. Or, personne n’a osé faire une relecture de cette époque de l’Egypte moderne durant laquelle on a bâti des usines, modernisé le réseau routier, entamé la construction de la première ligne de chemin de fer, instauré les fondements de la théorie bancaire et édifié un opéra. La nouvelle génération ignore cet aspect de la médaille. Je trouve cela injuste. Je veux éclairer le public et dévoiler quelques vérités », confie Farag.

Cela lui a pris de longues années, et occupe encore beaucoup de son temps, pour acquérir des objets datant de l’époque royale et constituer son musée. A commencer par ces voitures à chevaux du quartier de Attarine à Alexandrie, les coffres à souvenirs qu’il a récupérés chez des personnes âgées, habitant les bourgades lointaines de la Haute-Egypte, en passant par les tiroirs poussiéreux qu’il a vidés à la recherche d’un bout de journal, d’une invitation officielle ou d’un document important pouvant l’éclairer sur cette époque. Farag y a laissé sa fortune à parcourir tout le pays à la recherche d’informations pouvant l’aider à mieux comprendre l’histoire. « J’avais l’impression de rassembler les pièces d’un puzzle. Je voulais à tout prix donner une autre vision de l’époque royale. Je me suis beaucoup documenté, et j’ai réussi à rassembler des informations importantes grâce à divers journaux qui ont témoigné de cette époque. Il m’arrivait même d’aller en Europe et de demander accès aux archives de la BBC et de Pathé Marconi pour feuilleter leurs documents », poursuit Farag. Et d’ajouter : « A un moment donné, j’étais sans cesse entouré de personnes âgées ayant vécu cette époque. Elles m’ont même renseigné sur certains faits particuliers d’événements comme l’incendie du Caire en 1952. A l’époque, ces personnes étaient encore des étudiants et ont vécu de près cet événement tragique », poursuit Farag, qui a rédigé plus de 40 livres sur l’époque royale.

Farag a été l'un des premiers Egyptiens à avoir l’audace de défendre l’héritage de l’époque royale, mais aujourd’hui, d’autres personnes, comme frappées d’une subite nostalgie, éprouvent le même intérêt pour cette époque et se sont lancées dans la relecture de ce passé. Il y a ainsi Emad Ramadan, fonctionnaire au ministère de l’Environnement et membre de l’Association égyptienne des études historiques, qui a effectué une étude sur l’histoire contemporaine du pays. Il ne rate aucune occasion de défendre l’époque de la monarchie. « On a été trahi. Les établissements scolaires et les médias nous ont présenté Farouq comme un coureur de jupon, un joueur et une personne frivole ... sans signaler qu’à cette période, le système éducatif était irréprochable. A tel point que l’Egypte accueillait des étudiants venant de pays européens comme la Belgique. Pourquoi la monarchie demeure-t-elle pour les Egyptiens un symbole de recul et de déclin ? », regrette Emad, qui multiplie sa présence aux symposiums culturels, donne des cours d’histoire dans les universités et écrit des articles réclamant la restauration des palais et synagogues datant de cette époque, car elle symbolise la richesse culturelle du pays.

Comme initiatrices de cette vague due peut-être à un essoufflement du régime politique à la fin des années 2000, des chaînes satellites ont commencé à diffuser en 2007 lors du mois du Ramadan un feuilleton qui a battu des records d’audience, intitulé Le Roi Farouq, qui a régné de 1937 à 1952, dernier descendant de la famille de Mohamad Ali (règne de 1805 à 1952). Un feuilleton qui a provoqué de vives polémiques, surtout chez les jeunes qui avaient appris dans les livres d’histoire de fausses vérités, comme le pense Lamis Gaber, auteur du livre dont découle le feuilleton et qui est resté sous forme de manuscrit dans un tiroir durant 30 ans.

3,6 millions de fans

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Le club Mohamad Ali offre un voyage dans le passé. Là, les passionnés de l'époque royale ont l'occasion de vivre de bons moments d'antan (Photo: Bassam Al-Zoghby)

Au niveau virtuel, la nostalgie pro-monarchique d’ampleur est apparue après 2011 avec une page Facebook intitulée Royalistes égyptiens. Aujourd’hui, Amr Abou-Seif, 46 ans, employé d’une société informatique veut achever son projet entamé il y a 8 ans, à savoir : faire évoluer son site intitulé Site officiel du roi Farouq, qui a attiré depuis sa création après 2011 trois millions de visiteurs, sans compter le groupe Facebook de 114 000 membres et la page Facebook de 3,6 millions de fans. Ces espaces sont parmi les plus importants qui évoquent l’époque royale égyptienne sur Internet. Une période historique, que le visiteur redécouvre grâce à plus de 4 000 photos dont le nombre pourrait atteindre 10 000, 200 articles sur des milliers prévus, sans compter un nombre important de médailles, de timbres, de pièces de monnaie et de journaux scannés de cette époque. Il s’agit là aussi de donner à la nouvelle génération une autre idée du Caire qui était considéré dans les années 1930 comme l’une des plus belles capitales du monde. « Je veux faire comprendre le passé glorieux de la ville au point de la faire regretter », indique Abou-Seif qui débourse chaque année 5 000 L.E. (550 dollars) pour sa connexion Internet, auquel il consacre huit heures de travail par jour. « Il lui sert aussi à présenter les livres sur le roi. Parmi les plus importants, il y a les mémoires de Galal Alouba, le capitaine du yacht Al-Mahroussa qui a transporté le roi Farouq vers son exil en Italie, en 1952. J’ai eu la chance de rencontrer sa fille qui m’a transmis des témoignages importants sur cette époque. Parmi les rares photos auxquelles j’ai eu accès, celle de la visite du roi Farouq à la mine Al-Sokkari. A l’époque, il avait conseillé de la fermer afin que les prochaines générations ne disent pas que leurs ancêtres l'ont dépouillée », relate Abou-Seif. Et d’ajouter : « Le comble est que parmi les huit administrateurs de la page Facebook du site il y a le fils d’un des Officiers libres ! » à l’origine de la Révolution de 1952.

Période chahutée

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Un dîner avec le dernier roi, Ahmad Fouad, avec à droite Magued Farag, en guise d'invité, comme l'exige le protocole royal

Dr Mohamad Afifi, ex-président du département d’histoire contemporaine à la faculté de lettres, de l’Université du Caire, explique que cette nostalgie d’une population est souvent présente dans les nations en période politique chahutée. « L’esprit des populations est en alerte. Elles recherchent ce qu’on appelle le bon vieux temps, le souvenir d’une grande époque. Certains Français, par exemple, trouvent, dans l’époque gaullienne, une ère glorieuse. Quant aux Egyptiens, une proportion d’entre eux estime que le bon vieux temps remonte à l’époque royale marquée par un certain libéralisme politique. L’économie égyptienne était florissante et la livre égyptienne était forte face aux devises étrangères », explique Afifi.

Ces revisiteurs du passé possèdent une détermination à toute épreuve. Au club Mohamad Ali, les traces du musée incendié lors du vendredi de la colère pendant la révolution de 2011 s’observent encore. « Durant 25 ans, j’ai déployé des efforts pour rassembler ce qui reste de cette époque. Parfois, je trouvais des tableaux peints à l’effigie de différents rois et le plus souvent on supprimait la couronne royale afin d’effacer délibérément l’histoire de cette période. Je suis resté abattu pendant six mois après la mise à feu du musée. Mais ce qui me redonne force c’est de voir le fruit de mes efforts », raconte Magued Farag. Quant à Amr Abou-Seif, il estime qu’alimenter le site du roi Farouq en documents authentiques de cette époque n’est pas toujours une mission aisée, mais l’effort en vaut la chandelle. « On veut avoir accès à tout ce que possède la population pour avoir des informations sur cette époque. La page et le groupe Facebook sont utiles pour recevoir et rassembler des documents qui n’ont pas été publiés auparavant », confie Abou-Seif. « Je ne cesse de comparer ce passé nostalgique à nos jours. Par exemple, dans les années 1930, quand un homme harcelait une femme à une station de bus, il lui lançait avec insolence : un bonsoir Madame. Une scène décrite dans les journaux par l’écrivain Fikri Abaza, député au parlement, connu pour son esprit humoristique. Par contre, aujourd’hui, un jeune peut attaquer une fille avec un couteau. Une comparaison amère et qui me pousse à surfer encore plus pour découvrir ces aspects sociaux d’antan. C’est une poursuite continue de l’information », ajoute-t-il.

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L'une des 11 statues représentant les rois de la dynastie alaouite et qui décorent le jardin du club Mohamad Ali. (Photo:Bassam Al-Zoghby)

La passion poussée à l’extrême pour l’époque royale a chamboulé la vie de Magued Farag qui est devenu l’ami et plus tard le porte-parole d’Ahmad Farouq, l’enfant-roi avant l’abolissement de la monarchie. Il est aujourd’hui un passionné aussi du protocole royal rédigé pour la première fois en 1946. « Quand j’ai des invités à dîner, je tiens à dresser la table comme lors des festins royaux. Une fois j’ai été invité chez Sa Majesté, il m’a fait asseoir à sa droite. J’ai été très heureux, car j’ai compris son message puisque l’invité numéro un chez le roi doit toujours s’asseoir à cette place, selon le protocole. Et quand le roi est venu en Egypte, il s’est installé à côté de son chauffeur. Je lui ai conseillé de passer à l’arrière, comme l’exige le protocole. Il a souri et m’a dit : tu es devenu plus royaliste que le roi », se rappelle Farag.

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