Au café Africano Tolba, on peut découvrir toutes sortes d’espèces de reptiles. Ce vivarium public situé dans le village d’Abou-Rawach, à Guiza (8 km au sud des pyramides), est connu par tous les habitants. Comme la zone est sablonneuse, la famille Tolba s’est spécialisée dans la capture des serpents et autres espèces de reptiles que l’on trouve uniquement dans les régions désertiques. Salah Tolba, chasseur et commerçant, est aux petits soins pour ses locataires et garde une réserve de souris vivantes pour les nourrir.
Les reptiles sont entreposés dans des cages vitrées avec un couvercle solide pour les empêcher de s’échapper. Le fond de cette cage est parsemé de sable afin de reconstituer leur milieu naturel. A l’intérieur, des cruches en terre cuite fractionnées en deux sont installées, servant d’abri aux reptiles. Comme la saison est encore fraîche, Hossam, de la famille Tolba, a installé des lampes pour les réchauffer. Diverses espèces de serpents sont présentes : cobra, python, anaconda capable d’avaler une proie énorme, vipères venimeuses, couleuvres, lézards, caméléons, scorpions et même crocodiles. A la présence de chaque visiteur, ils relèvent la tête.
Les anacondas et les pythons sont prisés par les plus aisés.
(Photo: Mohamawd Abdou)
Sur l’un des murs, on peut voir plusieurs photos de Salah Tolba. Sur l’une d’elles, il s’affiche fièrement avec un gros lézard. Une autre le montre en train de dresser un cobra avec un anneau et un bâton. « J’ai ouvert ce café pendant la révolution. Mais l’espoir d’avoir des visiteurs s’amenuise. Seuls les jours de fêtes sont rentables : en 3 jours, je peux gagner environ 10 000 L.E. », évoque Tolba, qui a décidé d’ouvrir ce petit parc zoologique, car il avance en âge et ne peut se permettre comme autrefois d’aller à la chasse aux reptiles. Salah est issu
d’une des plus grandes familles qui vivent de la chasse et du commerce des serpents en Egypte et au Moyen-Orient. Jadis, les reptiles étaient une source de nourriture pour les habitants de cette ville, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La famille Tolba exerce en réalité le métier de chasseurs de reptiles depuis plus de 200 ans. « Nos grands-parents étaient des chasseurs et avaient l’habitude de capturer diverses espèces d’animaux du désert pour les consommer. Au début du XXe siècle, le développement et l’ouverture des universités ont encouragé les habitants de cette région à vendre des serpents et d’autres reptiles », explique Achraf Tolba, un jeune commerçant.
Des amateurs aux chercheurs
Les chasseurs espèrent que les scientifiques prouveront que certaines espèces ne sont pas en voie d›extinction
(Photo: Mohamawd Abdou)
Sur les 50 sociétés de commerce de reptiles en Egypte, la famille Tolba détient le monopole. Les clients varient, allant des simples amateurs aux chercheurs scientifiques, en passant par les entreprises de fabrication de médicaments ou encore des exportateurs. Une tortue coûte entre 5 et 10 L.E., pour un scorpion c’est 10 L.E. Le prix du petit crocodile varie selon sa grosseur : entre 100 et 300 L.E. Les couleuvres ? Entre 30 et 200 L.E. Car le commerce des reptiles est prisé, surtout par les amateurs d’animaux exotiques. Aujourd’hui, le serpent gagne sa place dans les foyers, après la tortue. « J’ai des clientes qui s’offrent des pythons pour écarter le mauvais oeil », souligne Hossam. Ce serpent est non venimeux, son corps est trapu, couvert d’écailles jaunes, beiges et brunes. Ce sont surtout les gens aisés qui en possèdent, car il faut avoir les moyens de le nourrir : un poulet et un pigeon par jour.
Sur Internet, notamment Facebook, les amateurs égyptiens se retrouvent. La page Zawahefko (vos reptiles) compte 5 000 fans et donnent des informations utiles sur les différentes espèces de reptiles, le type d’abri qui leur convient pour qu’ils puissent s’adapter à leur nouvel environnement. « Je suis attiré par tout ce qui est exotique, je voulais un serpent indien de 30 cm de long. Je me suis offert un beau spécimen à 800 L.E., et 6 mois plus tard, il mesurait 1 mètre de long », dit fièrement Moetaz. Il estime que les reptiles sont des créatures paisibles et ne dérangent personne. Idem pour Magued qui vient de s’en offrir un. Il peut se permettre d’aller tranquillement en vacances car le serpent peut rester 10 jours sans manger. Selon lui, les reptiles sont des êtres vivants sensibles, fragiles, qui réagissent et s’accommodent facilement.
Mais si la chasse des serpents peut être un don chez certains, elle reste dans tous les cas dangereux. Le métier se transmet souvent de père en fils et rapporte bien. Capturer un serpent venimeux ou pas est chose facile pour les membres de la famille Tolba. A l’aide d’un bâton armé de deux crochets en forme de V, Hossam, 41 ans, tente de sortir l’animal de sa cage avec prudence, tout en veillant à ne pas l’exciter. Avoir du sang-froid est essentiel pour éviter les morsures. Une leçon que Hossam a apprise dès son plus jeune âge. Puis, il caresse le serpent pour le tranquilliser. Dès que l’animal est maîtrisé, il le saisit par la tête, le pose par terre, tout en le tenant vigoureusement, prend un verre recouvert d’un morceau de cuir, l’approche du cobra pour qu’il morde dessus, afin d’extraire le liquide venimeux. Ces serpents se révèlent utiles, voire précieux pour la médecine. « On remet ce poison à une ferme du quartier Hélouan (sud du Caire) qui dépend d’un organisme médical spécialisé dans la fabrication des antidotes ou vaccins, et même des médicaments servant à soigner quelques maladies », explique Hossam. Un gramme de poison de cobra (très venimeux) coûte 3 000 L.E. et sert à la fabrication de 12 000 doses d’antidote à ce poison. Le venin sert aussi à la fabrication de médicaments contre la coagulation sanguine, l’hypertension artérielle et les douleurs chroniques. Il aide également les chercheurs à mieux comprendre certaines maladies du système nerveux. D’ailleurs, les étudiants des facultés de médecine, de pharmacie et de sciences comptent sur ces reptiles durant leurs études. « La livraison des reptiles se fait en quantité, ainsi les facultés peuvent obtenir les prix les moins chers », ajoute un étudiant.
Des pays étrangers absorbent aussi une plus grande partie de ce commerce. Selon l’Organisme général des services vétérinaires au ministère de l’Agriculture, 40 000 espèces de serpents par an sont exportées. Selon l’Organisme central des statistiques (CAPMAS), de 2012 à 2014, le nombre de reptiles exportés à l’étranger a été de 7 285, pour une valeur de 570 024 L.E. « On exporte dans tous les pays du monde. Les pays du Sud-Est de l’Asie en demandent car les peaux de crocodiles et les lézards rentrent dans la fabrication des sacs, des chaussures et des ceintures », poursuit Hossam Tolba.
Un savoir-faire
La famille Tolba est dans le commerce des reptiles depuis plus d'une centaine d'années
(Photo: Mohamawd Abdou)
Préserver ce métier qui se transmet de père en fils, connaître ses secrets concernant la chasse, le dressage et son commerce demandent un savoir-faire. Hadj Mahdy, 77 ans, doyen de la famille Tolba, raconte : «
Nous avons hérité ce métier de nos ancêtres qui ont toujours chassé des reptiles et des animaux sauvages. Dès notre jeune âge, nous avons été entourés de toutes sortes de reptiles et sauriens. La découverte de ces créatures vivantes s’est faite naturellement pour nous. Nous n’avions pas besoin de feuilleter des livres pour les découvrir ou aller au parc zoologique pour les reconnaître ». Son vivarium sert alors d’école aux plus jeunes. Un privilège dont ne disposent pas tous les écoliers.
Dans sa famille, c’est entre l’âge de 3 et 6 ans que les petits rêvent de recevoir un serpent comme cadeau d’anniversaire. Mais pour les parties de chasse, il faut être plus âgé : entre 10 et 12 ans. Les jeunes s’amusent à chasser des caméléons ou des scorpions et les glissent dans un cornet en papier. Pour chaque espèce, ils reçoivent de leurs parents 1 L.E. Les plus âgés accompagnent leurs parents pour apprendre à les capturer. Dans le désert d’Abou-Rawach ou d’autres régions du Sahara, ils inspectent les lieux. Une sortie qui peut durer entre trois jours et une semaine, afin d’apprendre les secrets du métier. « Il ne faut pas garder longtemps des serpents dans des sacs en tissu. Il est conseillé de rentrer rapidement à la maison pour les placer dans leur nouvel environnement et leur donner le temps de s’y adapter », explique Adham, élève en sixième primaire. D’un ton expert, son frère plus âgé intervient. « Chaque reptile exige une technique particulière pour sa capture. Les traces laissées sur le sable permettent au chasseur de le repérer et reconnaître s’il s’agit d’une espèce venimeuse ou pas, d’un mâle ou d’une femelle. Suivre ses traces jusqu’à sa cache n’est souvent pas mission aisée », ajoute l’enfant de 12 ans.
Son bâton crochu à la main, Salah explique aux jeunes les différentes techniques de « Mangara », l’art de creuser dans le sable ou briser un rocher pour faire sortir un serpent de son refuge. Les jeunes suivent attentivement Salah, qui explique que ce métier demande beaucoup de concentration et de précautions, car le chasseur doit à la fois se protéger et éviter de blesser le reptile. Une chasse ardue, mais qui s’avère souvent fructueuse, car ils reviennent avec des serpents, des scorpions, des caméléons, des lézards et d’autres espèces. Ce qui va leur permettre de leur rapporter de l’argent. Les prix dépendent de la rareté de l’animal. « Le commerce est rentable, de plus c’est un cadeau de la nature », précise Hossam pour encourager les jeunes à perpétuer ce métier.
Les prix des reptiles dépendent de la saison et de la rareté de l'espèce
(Photo: Mohamawd Abdou)
Un commerce qui intéresse, mais auquel la CITES (Convention internationale qui interdit la chasse d’espèces menacées d’extinction) tente de mettre un frein. « Je suis allé sur le terrain pendant 3 années consécutives pour voir si réellement les espèces mentionnées dans la convention sont menacées », explique Hossam. « En tant qu’exportateurs, nous avons voulu contribuer aux frais de recherches des comités scientifiques et leur prouver que nous possédons des reptiles en abondance, mais les responsables font la sourde oreille ». Conséquence : « On continue à compter sur des études internationales qui n’ont rien à voir avec ce que l’Egypte possède comme faune et flore ». Selon Ragui Fakhri, directeur général au Zoo de Guiza, « il reste important de préserver les espèces rares ». Quant aux Tolba, ils espèrent que les comités scientifiques internationaux se rapprocheront pour décider s’il y a abondance ou pas. « A plus grande échelle, ce commerce pourrait faire gagner à l’Etat 10 millions de dollars par an », font-ils savoir.
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