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Histoire d’un rêve

Hanaa Mékkawi, Dimanche, 24 janvier 2016

A Chabrawein dans le gouvernorat de Charqiya, un hôpital baptisé 25 Janvier devrait voir prochainement le jour, grâce aux dons des citoyens. Symbole d'une révolution qui a changé l'Egypte

Histoire d’un  rêve
(Photo: Mohamad Maher)

« Nous avons choisi de donner le nom de 25 Janvier à notre hôpital, car cette date, qui marque le déclenchement de la révolution de 2011, représente le début de l’espoir pour nous », explique Mohamad Saïd, membre du conseil d’administration de l’ONG du 25 Janvier. La révolution du 25 Janvier, qui a conduit à la chute du régime de Moubarak, est pour beaucoup synonyme d’espoir. Et de nombreuses initiatives ont été lancées au lendemain de la révolution pour symboliser cet espoir. L’hôpital du 25 Janvier en fait partie. Il est situé dans le gouvernorat de Charqiya, à environ 120 km du Caire, à Chabrawein, une petite bourgade, dépendant du village de Héhia. C’est le village du journaliste Mohamad Al-Garhi, fervent partisan de la révolution et fondateur de l’ONG du 25 Janvier qui a construit l’hôpital. Un large sourire se dessine sur les lèvres des paysans dès qu’on leur demande où se trouve l’hôpital du 25 janvier. Dès que l’on s’approche du bourg, on remarque plusieurs banderoles suspendues aux poteaux d’électricité, et une autre placée juste à l’entrée du bourg. Selon les paysans du bourg et les habitants de la région, cet hôpital est le rêve de leur vie. Ils ont suivi sa construction étage par étage comme s’ils voyaient leurs enfants grandir. Le bâtiment en construction est haut et imposant comparé aux maisons rurales qui l’entourent.

Campagne de collecte de dons
Dès que l’on voit l’hôpital, l’image de la place Tahrir revient à l’esprit avec ses slogans révolutionnaires. « Nous attendons impatiemment qu’il ouvre ses portes, cela va sauver beaucoup de vies », répète Yassine, paysan. L’ONG du 25 Janvier a vu le jour une semaine après la chute de l’ancien président Moubarak. Des jeunes du village ont en effet décidé de fonder une association ayant pour objectif de développer la région. Tout le monde y a participé, même les enfants. Le slogan était Eid fi Eid Nebni Baladna Min Guédid (main dans la main, on va reconstruire notre pays). Au début, ces volontaires s’occupaient de la propreté et des infrastructures manquant au village. Ils apportaient leur soutien aux orphelins et aux familles les plus nécessiteuses et leur offraient un service médical. Le tout dans un modeste appartement. « Plus tard, on a compris que le vrai besoin des habitants était les soins médicaux. Alors, on a décidé de se focaliser sur les soins médicaux, surtout qu’il y a des ONG qui offrent d’autres services aux démunis. Nous avons donc décidé d’ouvrir un centre médical plus spacieux. Ce service était nécessaire surtout que l’hôpital public le plus proche se trouve à Charqiya, à 10 km de notre village, et présente un service médiocre », explique Sameh Talaat, responsable de l’ONG. Le rêve grandissait et un nouveau centre a ouvert ses portes dans

un appartement plus spacieux. Et c’est surtout grâce aux dons des habitants du village et des villages voisins que le projet a pu continuer. En effet, l’ONG a appelé les habitants à contribuer au projet sur les réseaux sociaux. Et cela a porté ses fruits, puisqu’une importante société lui a offert le premier appareil de radiologie. Très heureux, les jeunes de l’ONG l’ont transporté dans un camion et ont fait le tour du village. « Le bénévolat est la seule chose qui reste pour que les habitants se souviennent de cette révolution. Ils sont réellement reconnaissants car si la révolution n’avait pas eu lieu, leur rêve de se soigner dans leur village n’aurait pas été réalisé », dit Mohamad Al-Ahmadi, étudiant et membre de l’ONG du 25 Janvier. « Quelques mois plus tard, nous avons eu besoin d’un espace plus grand afin de recevoir les malades qui venaient des villages voisins. Nous avons collecté 500 000 L.E. C’est là qu’est née l’idée de construire un hôpital », affirme Al-Ahmadi. Et le rêve est devenu réalité.

Une guerre discrète
Mais cela n’a pas été facile. D’après Ahmad Abdel-Qader, directeur de l'ONG, une guerre discrète a été menée contre l’hôpital par les adversaires de la révolution et ce, malgré le soutien des habitants et les efforts déployés pour collecter des dons. « Certaines personnes ont commencé à monter les habitants contre nous, nous accusant d’être des voleurs », ajoute Abdel-Qader. Il s’agissait des pro-Moubarak qui sont hostiles à la révolution, mais aussi des Frères musulmans qui étaient visiblement jaloux, car ils avaient l’habitude de faire des projets caritatifs à des fins de propagande. « Ces gens ont proposé à plusieurs reprises de nous aider financièrement à condition de les aider à faire de la propagande électorale. Nous n’avons pas accepté leurs dons, et ils ont décidé de nous mettre les bâtons dans les roues », explique Abdel-Qader qui précise que l’un des principes de l’ONG du 25 janvier est d’être à l’écart de la politique et des partis politiques. « Le nom de l’hôpital a fait que certaines personnes nous ont détestés et même nous ont combattus. Il faut dire que certaines personnes refusent d’admettre l’existence de cette révolution, soit parce qu’elles regrettent l’ancien régime ou parce qu’elles pensent que la révolution était un complot fomenté par les Frères musulmans. Par contre, les gens qui respectent cette révolution et trouvent que nous la représentons réellement, nous encouragent et nous soutiennent », affirme Abdel-Qader.

En fait, l’hôpital du 25 Janvier représente beaucoup plus qu’un simple établissement hospitalier, il est né au sein de la révolution et porte son nom, et certains le voient comme le symbole d’une réalité qu’ils ne veulent pas admettre. Ils ont tout fait pour que le projet ne voie pas le jour. « C’est un projet qui peut rendre service aux personnes qui ont participé à la révolution et qui souffrent de troubles psychologiques », avait ironisé l’écrivain Mohamad Al-Kardoussi dans l’un de ses articles, visiblement irrité que le nom du 25 Janvier soit attribué à l’hôpital. Al-Kardoussi est connu pour son hostilité à la révolution. Il avait refusé d’observer une minute de silence à la mémoire de ses victimes. Il n’a pas été facile non plus d’obtenir un crédit auprès des banques. Heureusement, certains jeunes du village ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, pour collecter des dons et faire savoir aux gens que ce projet a besoin d’être soutenu. « Cette campagne a été très efficace au point où les bénévoles ont décidé d’afficher le logo de Twitter à l’entrée de l’hôpital », affirme Al-Ahmad Abdel-Zaher, vice-président du conseil d'administration. L’ONG a également reçu le soutien moral de certaines célébrités qui ont fourni du matériel et qui ont aidé à faire le design et l’architecture du bâtiment. Ceux qui ont soutenu le projet voient en lui un symbole fort. La famille du martyr, Mohamad Gaber, tué à l’époque des Frères musulmans, a offert à l’hôpital la somme de dédommagement qui leur a été offerte par l’Etat. « Je l’offre à la mémoire de la révolution », a dit la mère du martyr.

Sur le terrain on peut voir le bâtiment qui se dresse sur 8 étages, dont 3 sont complètement achevés. Son inauguration est prévue en 2017. Mais, durant le mois de janvier qui commémore la révolution, l’hôpital offrira un service de consultations médicales. Une fois inauguré, l’hôpital comprendra 29 lits pour enfants, 17 lits de soins intensifs, 21 cliniques extérieures, 30 lits, 3 blocs opératoires ainsi que des unités d’analyses et de radiographie.

Aujourd’hui, les travaux se poursuivent. De jeunes volontaires gardent le bâtiment. Un homme d’affaires a offert à l’ONG une grande affiche qui porte le nom de l’hôpital pour qu’elle soit vue par tous les passants. « Ce projet prouve que les jeunes détiennent les clés du changement et qu’ils peuvent être à la hauteur de la responsabilité, mais il faut leur donner la chance d’agir », avait écrit l’écrivain Wahid Abdel-Méguid dans un article. Ce sont eux qui ont déclenché la révolution et c’est à eux de dessiner l’avenir. C’est à travers les jeunes que la révolution continue.

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