« Sonsa, moré, téplo » (soleil, mer et chaleur). Ce sont les premiers mots prononcés par les Russes (ou Ukrainiens) rencontrés à Hurghada pour exprimer leur attachement à cette ville côtière égyptienne de la mer Rouge. Là, leur nombre est important comparé aux autres étrangers dans la ville.
Selon le bureau du gouverneur, ils représentent même plus de 50 % des étrangers de la ville. Mais ici, la plupart ne sont en réalité pas de simples vacanciers venus pour un court séjour avant de rentrer chez eux, en Russie ou en Ukraine. Beaucoup habitent la ville toute l’année, et une communauté de ressortissants russophones a ainsi émergé à Hurghada ces deux dernières décennies. La ville est même surnommée « Russghada » pour souligner sa forte présence. « Ici, je ne me sens pas étranger, mais comme un citoyen dans son pays. Hurghada, c’est mon second pays. Je vais en Russie pour les vacances, mais depuis quelques années, j’ai espacé mes voyages car je reçois souvent mes parents et amis », indique Natacha, installée à Hurghada depuis 12 ans. Elle est mariée à un Egyptien, a deux enfants et en attend un troisième.
Un cours de ballet à l'école russe de danse.
(Photo : Mohamed Maher)
Natacha fait partie des milliers de Russes qui ont quitté leur pays natal et choisi de s’installer à Hurghada. Selon les chiffres officiels, ils sont environ 30 000. Mais selon un responsable du bureau des résidences au ministère de l’Intérieur, ce chiffre pourrait être bien plus important, car les combines ne manquent pas pour s’accommoder à la législation des longs séjours d’étrangers. Dans la rue, on les croise partout. Tout d’abord sur la plage, leur endroit de prédilection. Ils adorent le soleil et la mer et sont là pour en profiter. Mais aussi dans les rues Al-Mamcha, Al-Sayala, Al-Dahar ou la rue Sheraton. Même les enseignes de magasins portent des noms en caractères cyrilliques, côtoyant d’autres en arabe. « Il a fallu apprendre leur langue, car beaucoup de Russes habitent Hurghada, sans compter ceux qui viennent y passer un séjour », explique ainsi Anouar, marchand. En s’éloignant de la mer et des lieux touristiques, on découvre les quartiers résidentiels surnommés « les quartiers des Russes ». Al-Kawsar est le plus connu, comme ceux de Moubarak 2, 8 et 5. « Ce sont les endroits les plus chics de la ville, mais les russes les plus aisés habitent un peu plus loin à Al-Gouna, située à 20 km d’Hurghada », indique Hamid, chauffeur de taxi.
Albina, elle, a tout de même appris quelques mots en arabe, mais n’ose pas les prononcer pour éviter les petites moqueries de son entourage. Originaire de Tatarestane, elle tourne dans son magasin comme une abeille autour d’une ruche. Elle propose des produits maison, au goût des Russes, et les clients ne cessent d’affluer. Mariée depuis trois ans à un Egyptien organisateur de safari, elle a décidé de lancer son projet par nostalgie des mets russes. Sa boutique s’appelle Safran, et elle la gère avec l’aide de sa mère arrivée peu de temps après elle à Hurghada. « J’adore le foul et falafel, et mon mari tient à ce que ces deux plats soient présents sur la table du petit-déjeuner », dit Albina, tombée amoureuse de son mari lors de sa première visite en Egypte, alors qu’il lui apprenait à piloter un beach-buggy. « Il a vite essayé de me draguer, mais je lui ai fait une remarque froide. Il n’a plus recommencé et m’a même ignorée en s’éloignant de moi tout le reste de la balade, ce qui m’a rendue folle ! C’est moi qui ai ensuite insisté sur le fait de faire sa connaissance », raconte Albina, qui se sent chez elle à Hurghada.
Inauguration d’un consulat russe
La langue russe partout sur les affiches indique la forte présence des Russes dans la ville.
(Photo : Mohamed Maher)
«
Lorsque Hurghada a été fondée dans les années 1980, ses habitants et ceux qui y travaillaient dans différents domaines, surtout dans l’hôtellerie, étaient des migrants venus des quatre coins de l’Egypte. Cela continue, sauf qu’en plus, il y a des étrangers, et surtout des Russes ou Ukrainiens », explique Mohamad Abou-Hagar, guide touristique originaire d’Alexandrie et marié à une Russe. C’est pourquoi Hurghada connaîtra bientôt l’inauguration prochaine d’un consulat russe pour faciliter la vie à cette communauté en constante augmentation.
Mais quels que soient son âge ou activité , ce qui pousse un Russe à s’installer à Hurghada c’est le climat et la bonne santé qu’il permet. « Chez nous, on a une seule saison : l’hiver rigoureux, et le reste de l’année c’est l’hiver, mais un peu moins rude. Alors qu’ici, il y a tous les jours du soleil, c’est lui qui nous fait changer de vie », assure Tatyana, mariée à un Egyptien et mère de trois enfants. Sa voisine, Olia, affirme que son fils était asthmatique, et depuis qu’ils se sont installés à Hurghada, il y a cinq ans, il est guéri. Des témoignages de personnes dont la santé s’est améliorée, il en existe beaucoup. Tous les Russophones affirment que c’est une raison suffisante pour quitter son pays et s’installer en Egypte.
Toute la journée, cette communauté se balade en short dans la ville, ou s’installe à la piscine. Les week-ends sont passés au bord de la mer. Ils ont l’allure d’estivants avec leurs sacs de plage contenant serviette de bain et crème solaire. D’autres cadres de vie superbes présentent pourtant les mêmes avantages, comme par exemple Charm Al-Cheikh dans le Sud-Sinaï. Cependant, les Russes n’y ont pas formé de communauté aussi importante. « Charm Al-Cheikh est une ville touristique où même les Egyptiens ne résident pas, la plupart y travaillent seulement et rentrent chez eux régulièrement dans d’autres provinces du pays. Hurghada est une ville où les gens habitent à longueur d’année. Les grandes villes, comme Le Caire ou Alexandrie, ne représentent pas une option pour eux, car il est difficile d’y trouver un logement et du travail, et la vie coûte plus cher », explique Mona Zidan, chef du département des relations publiques au gouvernorat de la mer Rouge.
En général, leur décision de s’installer à Hurghada arrive après un séjour touristique. Beaucoup de femmes se marient à un Egyptien. Le contraire est rare, car les familles égyptiennes n’acceptent pas facilement de marier leurs filles à des étrangers. D’autres obtiennent un permis de travail. Il y a aussi les « Alphonse », prénom que les Russes utilisent pour désigner le jeune homme qui se marie avec une dame russe (ou ukrainienne) âgée parce qu’elle est riche ou aisée. « Il profite de son argent et elle jouira en échange de la vie, du soleil, de la mer », explique Abou-Hagar, en ajoutant : « Ce genre de mariage est basé sur des intérêts mutuels ». Il affirme aussi que « les vieux et les jeunes sont ceux qui cherchent le plus à habiter à Hurghada. Les premiers pour passer leur retraite ici. Et les plus jeunes viennent chercher une opportunité de travail qu’ils n’ont pas dans leur pays ». C’est ainsi que les Russes peuvent résider légalement à Hurghada.
Sandra avec ses 3 enfants égyptiens.
(Photo : Mohamed Maher)
D’après Sandra, professeure de danse, mariée à un Egyptien, les Russophones, ayant quitté leur pays et parents, recherchent ce qu’ils ne trouveront jamais chez eux, comme un travail rémunéré en dollar. Cependant, certains Egyptiens voient d’un mauvais oeil la concurrence des Russes. « Beaucoup de guides touristiques ont perdu leur job à cause des Russes qui comprennent à la fois les cultures égyptienne et russe. Car le client russe préfère avoir l'un de ses compatriotes à ses côtés », dit Mohamad Amin, guide.
Solidarité aux Egyptiens
Les jeunes occupent plusieurs domaines d’activité à Hurghada, en particulier dans les hôtels et lieux de divertissement. D’autres possèdent des bazars, associés à des Egyptiens comme l’exige la loi, ou investissent dans l’immobilier. « La société égyptienne ressemble un peu à la nôtre, alors il n’y a pas de chocs culturels pour nous, mis à part quelques comportements déplaisants », dit Sandra. Cette dernière, comme tous les autres Russes, est parvenue à bien s’intégrer à la société locale. « Malheureusement, il n’existe pas d’écoles russes à Hurghada, mais la communauté russe a donné des cours privés après avoir obtenu l’autorisation de l’école russe du Caire pour enseigner ses programmes à Hurghada. A la fin de chaque année scolaire, des représentants de l’école du Caire viennent pour poser les examens », explique Abou-Hagar. Sinon, certains préfèrent inscrire leurs enfants dans les établissements internationaux pour une éducation plus ouverte, et leur donner en plus des cours privés de langue et d’histoire russes.
Forte de cette intégration, la communauté russophone exprime sa solidarité aux Egyptiens. Après l’explosion de l’avion russe au-dessus du Sinaï en novembre dernier, et sentant peut-être aussi le vent de leurs affaires tourner défavorablement à cause d’une baisse de touristes, elle a vite organisé des sit-in pour affirmer haut et fort à leurs compatriotes et futurs visiteurs que l’Egypte est un pays sûr.
Et pour mieux être représentée au niveau national, une femme russe dénommée Nora, détentrice de la nationalité égyptienne grâce à son mariage, a voulu se présenter aux dernières élections législatives pour faire valoir les droits des Russophones d’Hurghada. Son dossier a été déposé en retard et elle promet de se représenter la prochaine fois. « Je suis sûre de remporter l’élection, car ici, tout le monde me connaît », insiste-t-elle en ignorant, semble-t-il, la condition d’avoir père et mère égyptiens pour valider sa candidature.
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