« 25 % de réduction sur tous les produits alimentaires ». Cette annonce est affichée sur la camionnette du ministère de l’Approvisionnement. Sur ce véhicule est collée la photo du président de la République, Abdel-Fattah Al-Sissi, qui est à l’origine de l’initiative de la réduction des prix. En fait, ces petits camions, on les voit partout dans les quartiers populaires là où il n’y a pas de supermarchés. L’un d’eux est garé à Qolali au centre-ville. Il est 14h, horaire de sortie des fonctionnaires. Tous se précipitent vers le véhicule pour découvrir les produits alimentaires en vente. Quelques-uns appellent leurs épouses et n’hésitent pas à donner la liste des produits vendus en précisant bien évidemment les prix. Les marques déposées ne sont pas les meilleures mais elles coûtent moins cher. Le choix ne manque pas : tomate, beurre, fromage, miel, pâtes, thon et jus. Chacun achète ce dont il a besoin et s’éclipse rapidement pour laisser la place aux autres. « C’est vrai que les prix sont réduits, mais je ne suis pas sûr de la qualité des produits. Je dois les tester avant d’en acheter encore. Mais la somme économisée en vaut la peine », lance Ahmad, chauffeur d’un haut fonctionnaire. Il n’hésite pas à vérifier la date d’expiration de chaque produit avant de payer la facture. Ahmad touche 1 500 L.E. par mois. Pour lui, la somme économisée lors de cette course va lui permettre de payer un ou deux cours particuliers de ses enfants. Et, il n’est pas le seul à avoir un lourd poids sur les épaules. En effet, beaucoup d’Egyptiens ont du mal à se procurer les produits alimentaires essentiels à leur famille. « Dès le début de l’année, j’ai limité mes achats pour pouvoir joindre les deux bouts. Mais face au coût élevé de la vie, je ne sais plus comment faire », dit Wafaa, fonctionnaire à la poste.
Elle apprécie le fait de pouvoir varier les plats grâce à des prix intéressants. Ses enfants pourront enfin consommer de la viande plusieurs fois par mois. De plus, il y a une autre catégorie de produits à sa disposition. Celle de la viande congelée. « Je viens d’acheter un canard de 2 kilos à 40 L.E. et un kilo de viande à 34 L.E. Je sais que mes enfants vont aimer », se réjouit Wafaa.
Casser le monopole
C’est une bouffée d’air pour une grande partie de la population qui a du mal à subvenir à ses besoins en produits alimentaires. C’est la raison pour laquelle le ministère de l’Approvisionnement vient de prendre quelques mesures concernant la réduction des prix des produits alimentaires. Une mesure qui fait suite au discours du président qui a demandé à son gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour faire face à la hausse des prix.
En effet, les 4 dernières années ont été difficiles pour les Egyptiens. Face aux prix qui n’ont cessé d’augmenter, les classes défavorisées et même les classes moyennes s’étaient retrouvées dans une situation précaire. Le bouleversement politique qu’a connu le pays dernièrement n’a fait qu’aggraver les choses.
Inflation, hausse du dollar et prix élevés, les problèmes ne manquent pas. Le ministère de l’Approvisionnement a mis en place cette semaine certaines mesures pour aider les Egyptiens, surtout les plus démunis. « L’Etat a importé 20 000 tonnes de volailles congelées, 800 000 têtes de bovins et 72 000 litres d’huile. L’Etat veut réguler le marché en réduisant les prix », précise Mahmoud Diab, porte-parole du ministère de l’Approvisionnement. Ces produits alimentaires ont été acheminés vers 5 000 points de vente dépendant du ministère. Le but de cette importation est de concurrencer le secteur qui monopolise les prix. « Nous avons aussi obligé le secteur privé à vendre ses marchandises à des prix réduits comme une contribution de sa part pour aider les citoyens », explique Diab.
Et ce n’est pas tout. Le prix d’un kilogramme de viande et de certains poissons a été réduit. Dans les coopératives dépendant du ministère, la viande de boeuf est passée de 57 L.E. à 50. Celle du veau de 75 L.E. à 72. Le kilo de maquereau à 14 L.E., au lieu de 18. Quant au beurre importé, il coûte 32 L.E. au lieu de 36. Le riz est à 3,25 au lieu de 4 L.E. et le litre d’huile à 7 L.E., alors qu’il se vend ailleurs à 9 ou 10 L.E. Il n’y a pas que les points de vente dépendant du ministère de l’Approvisionnement qui affichent des prix intéressants. La chaîne de supermarchés Family Market propose également des prix bon marché.
Cela fait plus d’un an que les consommateurs ont boycotté les supermarchés privés, dont les prix sont exorbitants. Ils se rendent désormais au Family Market. « Je viens ici spécialement pour acheter de la viande. Et même si j’économise 50 L.E. par kilo de viande, j’ai du mal à boucler le mois », confie Amani, travaillant dans une société privée. Selon elle, la cuisine a plus de goût quand elle est préparée avec de la viande. Acheter 5 kilos de viande par mois à 250 L.E., c’est bien plus avantageux que d’aller dans une boucherie où le prix du kilo coûte 100 L.E. Malgré les calculs qu’elle fait pour économiser de l’argent et tenir jusqu’à la fin du mois, les factures d’eau, d’électricité et le coût du transport viennent anéantir ses efforts. Et donc, les quinze premiers jours du mois, elle achète le ravitaillement nécessaire pour le stocker.
D’après Nasser Abdel-Moneim, directeur de cette antenne, les dernières décisions prises par le ministère de l’Approvisionnement n’ont pas eu d’effet sur la chaîne Family Market puisque leurs prix sont déjà bas. « Nous avons une clientèle fidèle, environ 400 familles, et notre personnel est composé de 8 personnes chargées de faire la livraison à domicile », explique Abdel-Moneim.
Compose ton plat
Une autre initiative lancée par le ministère et qui propose également une offre intéressante est Kawen Wagbétak (compose ton plat). On peut désormais composer un repas complet pour une famille de quatre personnes. Ces formules sont disponibles dans divers hypermarchés et coins de vente dans les quatre points du pays. Le coût varie entre 20 et 30 L.E. maximum. Un repas complet avec tout ce qu’il faut : viande, légumes, pâtes ou riz accompagnés de fruits ou de jus. Fouad Qandil, un retraité, a essayé ces formules. « Nous n’avons jamais préparé un repas avec de tels éléments nutritifs et à ce prix, c’est tout de même incroyable. Avant, soit j’achetais un peu de viande ou un kilo de fruits, mais jamais les deux à la fois », confie cet homme. Il est heureux, mais espère que cela durera et que ce ne sera pas juste une situation temporaire pour calmer la population face à la hausse des prix
Kawen Wagbétak est un véritable succès. Tareq Tantawi, PDG de la société Al-Ahram, dépendant du ministère de l’Approvisionnement, confie avoir vendu la veille une centaine de cartons en un clin d’oeil. Mieux encore, les mêmes clients sont revenus le même jour pour demander s’il en restait encore. « Pour éviter le marché noir, le ministère a précisé que chaque client n’a droit qu’à une ration par jour », signale Tantawi.
En revanche, l’Etat a entamé une autre procédure plus importante. Celle d’inviter le secteur privé à réduire les prix d’une douzaine de produits alimentaires vendus dans les supermarchés (entre 15 % et 40 %). Un geste social de la part des hommes d’affaires qui permet, d’une part, de vendre des produits essentiels, et d’autre part, de conserver la clientèle qui risque d’aller s’approvisionner ailleurs. Un responsable dans ce secteur a déclaré, lors d’une conférence de presse après la signature du protocole de coopération avec le ministère d’Approvisionnement : « Les supermarchés privés ne pouvaient pas travailler sans tenir compte du marché car les 5 000 coopératives au niveau de la République ont un impact sur le pouvoir d’achat, et nous ne voulons pas perdre nos clients », a déclaré Khaled Fathallah, propriétaire d’une chaîne de supermarchés.
Dans un supermarché connu à Choubra, les clients, qui ont appris la baisse des prix, parcourent le supermarché à la recherche de promotions. Chaque client se concentre. Il hésite et fait la comparaison entre les prix ailleurs. « Il n’y a pas longtemps, il y a eu une offre exceptionnelle sur une marque de jus qui s’est avérée être de mauvaise qualité, j’évite de l’acheter pour ne pas nuire à la santé de mes enfants. J’espère que cette réduction ne concernera pas des produits dont la qualité est mise en cause », explique Marwa.
Equilibre entre qualité et prix
Plus loin, une mère de famille essaye d’acheter de l’huile, du riz et du sucre avec la carte d’approvisionnement qu’elle détient. « J’utilise cette huile dans les fritures et non pas pour la cuisson », précise-t-elle. Et si les clients ne viennent pas dès le premier jour du lancement des promotions, ils risquent de ne plus trouver ces produits en vente. D’ailleurs, l’étagère du riz est vide, car les 5 kilos de riz ont été vendus à 12 L.E. « Je ne peux me passer du riz, il fait partie de tous les repas et va avec toutes les sauces », explique Malak qui vient d’acheter les 5 kilos de riz à 32 L.E. Elle nous confie avoir essayé, un jour, des pâtes à bas prix mais elles étaient immangeables. « J’achète les 500 grammes de pâtes à 3,5 L.E. et demie, car celles de 2 L.E. collent au fond de la casserole ». En effet, les clients du supermarché tentent de trouver l’équilibre juste entre qualité et prix. En général, ils sont à la recherche de bonnes occasions aussi bien dans les coopératives que dans le privé et ce, pour économiser de l’argent. « J’aime le fromage Roquefort mais lorsque son prix est à 80 L.E. le kilo, je ne peux pas l’acheter », confie Sahar qui voit que les dernières réductions ne sont pas intéressantes dans les supermarchés. « Il y a des promotions, c’est vrai, mais pour les produits de moindre qualité que je ne peux pas offrir à mes enfants. D’autres réductions concernent certains produits de luxe qui sont hors de ma portée », ajoute Sahar.
Et quand les gens voient que les réductions ne sont pas intéressantes, ils laissent tomber et n’achètent pas ces produits. Le pouvoir d’achat a imposé un mode de vie aux consommateurs. Pour le moment, les gens sont satisfaits des réductions de prix, mais souhaitent que cela dure. « Je suis optimiste car l’intervention de l’Etat va mettre fin au monopole des commerçants. C’est un pas en avant qui révèle que l’opinion publique compte », conclut Mahmoud Asqalani, président de l’Association de la protection du consommateur .
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