Amarré sur le quai numéro 10 battant pavillon égyptien, le bâtiment qui mesure 87 mètres de long pour 15 mètres de large est constitué de cinq étages. A l’intérieur se trouvent des salles de séminaires et de conférences, des salles réservées aux étudiants pour suivre des cours techniques et de navigation, un grand restaurant, un salon VIP, une cabine d’observation vitrée … Le navire a une capacité de 6 200 tonnes et peut accueillir 273 personnes, dont 59 membres d’équipage, 25 employés, 160 étudiants et 40 professeurs. D’habitude,
Aïda IV représente l’Egypte lors des conférences politiques internationales.
Les étudiants qui s’y trouvent viennent des quatre coins du monde pour mettre en pratique ce qu’ils ont étudié au sein des différentes académies maritimes.
« J’ai choisi l’Académie maritime d’Egypte car elle jouit d’un grand prestige non seulement en Egypte et au Proche-Orient, mais aussi en Afrique. Cette académie est l’une des meilleures à travers le monde en matière d’initiation à la navigation maritime », confie avec fierté l’étudiant Mohamad Moustapha.
Les étudiants viennent des quatre coins du monde.
(Photo: Essam Choukri)
Al-Hassan Ibrahim, un autre étudiant, partage son avis : « Ce qui me plaît le plus dans mes études à bord du Aïda IV, c’est l’expérience que l’on peut acquérir en matière de navigation. Après l’obtention de mon diplôme, j’aurai le droit de travailler à bord de n’importe quel navire partout dans le monde ». Mohamad Moustapha et Al-Hassan Ibrahim sont deux étudiants de nationalité nigériane parmi 69 autres, dont une jeune fille. Agés de 22 ans, ils sont tous habillés en tenues de marins (pantalons, bérets bleu marine et chemises bleu ciel). Ils sont venus du Nigeria pour étudier les techniques de la navigation du transport maritime à l’Académie arabe des sciences, de la technologie et du transport maritime, située à Alexandrie. Les études dans cette académie se divisent en cinq trimestres. Les quatre premiers se déroulent dans l’immeuble de l’académie, et le dernier à bord du navire Aïda IV, pour suivre des cours pratiques de navigation « Au cours de 35 années de service, Aïda IV a célébré la sortie de 70 promotions, des étudiants de toutes nationalités, dont des Egyptiens, des Saoudiens, des Soudanais, des Nigérians, des Sud-Africains, et d'autres. Et ces diplômés occupent aujourd’hui des postes importants un peu partout dans le monde », reprend avec fierté le commandant du navire, Hossam Magdeddine, 61 ans. Il travaille à bord du navire depuis 34 ans.
Ce marin chevronné, à la barbe poivre et sel, portant des lunettes de soleil, a une grande expérience de navigation. Il a travaillé au début de sa carrière à bord d’Aïda III. Hossam Magdeddine raconte avec fierté l’histoire de celui qu’il appelle sa 2e maison : « En 2013 et 2014, Aïda IV a remporté le titre du meilleur navire en Egypte parmi 77 autres appartenant aux sociétés dépendant du secteur public ».
Aïda IV a accueilli plusieurs conférences politiques internationales.
(Photo: Essam Choukri)
Aïda IV est le seul navire dépendant du ministère égyptien du Transport, mais il est au service de l’Académie arabe des sciences, de technologie et du transport maritime, car il fait office de bateau de formation pour les étudiants de l’Académie arabe du transport maritime. Construit en 1990, Aïda IV est un don du gouvernement japonais à son homologue égyptien, dans le cadre de la coopération internationale entre les deux pays. Il est entré en service en février 1992.
Au cours de la formation, les professeurs et les instructeurs initient les étudiants au transport maritime, au génie maritime et à la navigation.
La première leçon ou l’abc de la navigation apprend aux étudiants « comment tracer la route ». Car naviguer consiste à déterminer une route, un itinéraire en évitant les dangers (récifs, épaves, etc.) et, éventuellement, en tenant compte de la météorologie (les vents) et des phénomènes océanologiques (les courants). « Une fois, votre route tracée sur une carte marine et à l’aide d’un récepteur GPS, au cours de la navigation, tout capitaine doit s’efforcer de respecter cette route dont il ne peut s’écarter sauf en cas de vent ou courant fort, ou pour une manoeuvre (anti-collision par exemple) », explique Abdel-Hamid Mohamad Al-Qadi, doyen de l’Institut d’entraînement en mer.
Le professeur initie les étudiants au lexique maritime.
(Photo: Essam Choukri)
Au cours de ces cours de navigation maritime, les professeurs et instructeurs essaient aussi d’expliquer aux étudiants le rôle important joué par le navire Aïda IV. « En août 2014, le navire a accosté à Zarzis en Tunisie pour rapatrier 250 citoyens égyptiens fuyant la Libye après la détérioration de la situation sécuritaire. Au début des années 2000, notre navire a sauvé une centaine de Français naufragés au large de la mer Rouge. En septembre 2002, Aïda IV a réussi à sauver deux touristes qui avaient passé 18 heures au large de la mer Rouge après avoir perdu leur trajectoire », relate l’ingénieur Mohamad Walid. Ce professeur, nommé directeur du département d’instruction technique auprès de l’Institut d’entraînement en mer en janvier 2013, initie les étudiants au lexique maritime, c’est-à-dire aux principaux termes techniques utilisés par tous les marins à travers le monde. « Grâce à l’ECDIS (système de cartes électroniques), les membres de l’équipage sont capables de visualiser la position d’un navire sur l’écran. C’est un système qui répond aux normes de l’Organisation maritime internationale. L’usage de ce système peut permettre de se passer de carte papier, mais n’est pas adapté aux navires de petite taille », précise Mohamad Walid.
Il est également important d’apprendre aux étudiants l’usage de différents types d’instruments marins. Par exemple, « l’astrolabe est un instrument qui montre la sphère céleste autour de la Terre et permet d’établir la position des astres à tout moment. Il permet aussi de mesurer la hauteur du soleil par rapport à l’horizon, et calculer ainsi l’heure », révèle Amadou, qui a bien retenu la leçon de la semaine passée.
(Photo: Essam Choukri)
Moustapha Ahmad a, quant à lui, un peu peur de se tromper devant ses camarades : « L’octant est un instrument qui sert à la mesure de la hauteur des corps célestes, en particulier celui du soleil, par l’emploi de miroirs mobiles ». Mais il a effectivement oublié une information très importante. Le capitaine Chérif Helmi ajoute le reste : « L’octant permet ainsi de déterminer la latitude de l’observateur, l’une des coordonnées donnant la position du bateau ». Puis un autre étudiant : « Le sextant a une forme angulaire de 60°, c’est un instrument utilisé pour déterminer la position géographique de l’observateur. Il est particulièrement utilisé dans la navigation ».
Toutes ces leçons permettent à l’étudiant de déterminer la position d’un navire en pleine mer. Les instructeurs montrent également aux étudiants des cartes sous-marines indiquant les sites autorisés à la plongée en Méditerranée, en mer Rouge ou encore dans l’océan Indien. « Nous apprenons aussi les différents signes et messages transmis par un bateau en danger ou en train de chavirer et les balises qui interdisent de s’approcher d’une certaine zone », ajoute Fatma, la jeune Nigériane.
Fatma n’est pas la seule fille étrangère qui est venue étudier dans cette académie. « Nous pouvons citer Ijac, une jeune fille, venue du Sud-Soudan et qui a obtenu son diplôme en 2009, et Sarah, d’Arabie saoudite, diplômée en 2010. 20 Nigérianes et Kényanes sont venues en 2014 et ont obtenu le diplôme », raconte fièrement le commandant du navire.
Marwa Al-Séléhdar est la première femme capitaine en Egypte.
(Photo: Essam Choukri)
Fait étrange : des filles de différentes nationalités obtiennent ce diplôme égyptien de navigation, alors que les Egyptiennes sont loin de se bousculer pour entrer dans cette académie. Mais pour la première fois, une Egyptienne de 24 ans, Marwa Al-Séléhdar, a mis fin à cette règle. Nommée capitaine sur ce navire, Marwa est la première à occuper ce poste en Egypte. Elle est chargée d’enseigner la navigation à ceux et celles qui veulent diriger un navire. C’est son frère qui l’a encouragée à s’inscrire dans cette académie. Il lui a raconté des aventures vécues par des marins. « J’aime voyager, découvrir, déambuler dans des villes inconnues, faire partie d’un lieu sans en faire partie, rencontrer des inconnus. J’aime tous ces moments simples, insolites ou cocasses qui font l’essence du voyage. C’est un mélange d’excitation, d’émotion, d’émerveillement, de fatigue, voire de petites galères qui pimentent et tissent mes souvenirs. Les journées sont rythmées par notre quotidien. J’ai toujours l’impression de courir après le temps, d’en manquer. Le temps passe trop vite. Or, en voyage, le temps s’écoule différemment », confie-t-elle toute souriante et pleine d’énergie.
Pour elle, exercer ce métier au milieu d’un équipage composé d’hommes n’est pas problématique. « Tous les membres de l’équipage m’aiment beaucoup et me respectent. 50 % me traitent comme leur propre fille et 50 % comme leur petite soeur. Je ne sens pas qu’il y a une différence entre une femme et un homme, bien au contraire. Au cas où j’aurais un problème à bord du navire, tout l’équipage m’aide. Le mois dernier, j’ai eu le mal de mer, tous sont venus à mon chevet me demander si j’allais mieux », raconte Marwa, en s’approchant de son ancien instructeur, devenu aujourd’hui son collègue, pour prendre une photo souvenir avec lui .
Lien court: