Flash-back. Le 28 janvier 2011, vendredi de la colère, quatrième jour des manifestations contre le régime du président Hosni Moubarak. Des manifestants mettent le feu au siège du Parti National Démocrate (PND). La nouvelle est accueillie avec des youyous et des cris de joie. Pour les citoyens, ce n’est pas un bâtiment ordinaire qui a pris feu, mais celui du parti qui a détenu leur destin pendant de longues années. Alors que les colonnes de fumée s’élevaient vers le ciel, les citoyens en colère réclamaient la chute du régime, chose qui va se produire quelques jours plus tard.
Aujourd’hui, quatre ans se sont écoulés et le siège du PND est toujours là témoignant d’une époque désormais révolue. L’Etat vient de donner son accord pour démolir cette bâtisse. Le terrain sera rattaché à l’Organisme de l’urbanisation.
« Ce bâtiment n’est pas comme les autres. Ici, on ne parle pas seulement de pierres et de béton armé, mais d’Histoire. Ces murs ont témoigné d’une période difficile dans la vie des Egyptiens », affirme Gaber Abdel-Nabi, chauffeur de taxi. En passant par la place Tahrir, il lève la tête pour contempler ce bâtiment calciné, et cela lui fait du bien car, comme il dit, cela lui rappelle que si le peuple a mis fin au PND, officiellement dissous par la justice en avril 2011, rien ne lui est désormais impossible.
Noirci par les traces de l’incendie, l’édifice se dresse au bord du Nil au centre du Caire, derrière le Musée égyptien, un lieu stratégique au centre de la capitale. Les passants se délectent de le voir ainsi calciné. Pour eux, ce bâtiment est le symbole de la corruption et de tous les abus. Pourtant, à une certaine époque, certains l’admiraient et rêvaient d’y entrer pour se sentir « proches du pouvoir ». Car le pouvoir central n’était ni au palais présidentiel ni au parlement, mais dans ce bâtiment qui n’a rien de spécial. « Tout le monde sait que c’est là que la bande de Moubarak dressait les plans et élaborait les stratégies. Le pays a été dépouillé par cette bande, et personne ne pouvait imaginer que ce symbole allait s’effondrer un jour », dit Essam Gamil, agent de sécurité dans un hôtel du centre-ville. Aujourd’hui, il jette un autre regard sur ce bâtiment. Un regard de mépris associé à cette fierté d’avoir vaincu le pouvoir comme il dit. « Le jour de l’incendie, j’étais heureux de voir le siège du parti de Moubarak sous les flammes. Certains se sont précipités pour voler le bâtiment. Ils transportaient leur butin sur des embarcations qui les attendaient au bord du Nil. Ils ont même enlevé le marbre qui recouvrait les murs et l’ont emporté », se rappelle Gamil, en ajoutant que ces gens voulaient se venger du régime qui a « détruit leur vie ».
Les années de gloire
Conçu par Mohamad Riyad, l’un des plus célèbres architectes égyptiens, ce bâtiment a servi au début comme siège pour le gouvernorat du Caire. Puis, le parti de l’Union socialiste l’a occupé au temps du président Nasser. Créé par le président Anouar Al-Sadate pour remplacer l’Union socialiste, le PND occupait ce bâtiment depuis 1978. Après l’assassinat de Sadate en 1981, Hosni Moubarak a pris la tête du parti.
En plus du PND, ce bâtiment de 13 étages qui a vu défiler les régimes successifs, abritait aussi différentes administrations de l’Etat comme le Conseil de la femme, le Conseil suprême de la presse, le Conseil des droits de l’homme et d’autres. Toutes les personnalités importantes du gouvernement y avaient leurs bureaux, notamment l’épouse du président, Suzanne Moubarak, en sa qualité de présidente du Conseil de la femme, ainsi que son fils Gamal, président du comité des politiques du PND. De grands noms sont passés par là et ont laissé leurs empreintes comme Kamal Al-Chazli, Zakariya Azmi et Safouat Al-Chérif. Durant toute leur vie, les jeunes de la révolution de janvier, dont la majorité ont moins de 30 ans, n’ont vu que ces visages. « Ils n’ont rien fait pour l’Egypte. Ils devaient donc disparaître », dit Sami Ibrahim, étudiant et militant.
Les hommes de l’ancien régime ont résisté jusqu’au bout. Mais il était trop tard, les gens ne voulaient plus les écouter. « La place Tahrir grouillait de monde. A tour de rôle, les responsables sortaient pour nous administrer des calmants. Ils ne voulaient pas croire que leur fin était proche. On le sentait pourtant en voyant des personnes comme Safouat Al-Chérif ou Zakariya Azmi, parler d’elles-mêmes aux journalistes », se rappelle une journaliste qui a assisté à cette dernière conférence qui s’est tenue dans le bâtiment.
Après des années de gloire, le bâtiment a beaucoup perdu de son aura. Entourés de fils barbelés et de blindés, ses énormes portails fermés avec des chaînes sont recouverts de poussière. « Ils doivent le protéger, car ils savent que les gens sont prêts à l’incendier de nouveau et même dix fois s’ils le pouvaient », lance un passant. La pancarte annonce : Parti National Démocrate. Des affiches publicitaires sur le parti sont encore là, mais noircies par l’incendie. On peut lire : Min aglak enta (pour toi) et Min agl mostaqbal awladna (pour l’avenir de nos enfants). Des slogans auxquels personne n’a jamais cru. « On avait l’impression qu’ils s’adressaient à un peuple d’une autre planète, mais pas nous. Même les enfants et les jeunes qui figurent sur ces affiches publicitaires ne ressemblent pas aux nôtres », affirme un ouvrier journalier qui passe sa journée sur la corniche et ses alentours cherchant du travail. Dernièrement, à l’occasion de la dernière conférence économique de Charm Al-Cheikh, une immense banderole a été installée sur la façade de l’immeuble, et sur laquelle on peut lire : « L’investissement c’est la clé de la prospérité pour l’Egypte », avec une photo du projet du nouveau Canal de Suez. Cette publicité est quotidiennement parcourue des yeux par les citoyens. « Chaque régime vient avec ses slogans, l’important c’est que ces slogans se transforment en réalité. Cela n’a jamais été le cas. Nous n’avons plus besoin de slogans », dit Samiha, enseignante qui travaille dans une école située sur la place Tahrir.
Démolir le bâtiment, est-ce la bonne décision ?
A l’intérieur du bâtiment, c’est un silence de mort qui règne. Les salles où se tenaient les réunions et d’où les plus importantes déclarations du gouvernement étaient rédigées et communiquées aux journalistes sont vides et poussiéreuses. Il en est de même pour la salle d’opérations dirigée à l’époque par Ahmad Ezz, homme d’affaires, secrétaire général et membre du comité des politiques du PND. Aujourd’hui, cette salle a été complètement détruite et est habitée par les rats, alors qu’il y a quelques années, des dizaines de jeunes y clavaudaient sur leurs ordinateurs et suivaient les résultats des élections. Elle était le centre de la prise de décision.
Durant les quatre années qui ont suivi la révolution, les procès des hommes du PND ont été diffusés par les médias. Cependant, le siège du PND n’a jamais suscité un débat sauf dernièrement après la décision de l’Etat de le démolir. Une décision qui provoque un débat sur les réseaux sociaux et dans les médias.
Samir Gharib, chef du Centre égyptien du patrimoine, affirme que ce bâtiment ne peut être démoli, car cela va à l’encontre de la loi 144 de l’année 2006. Cette loi interdit la démolition de tout bâtiment ayant une valeur historique. Or, c’est le cas de ce bâtiment qui a témoigné d’une époque importante de l’histoire de l’Egypte. Pour le démolir, il faut d’abord l’autorisation d’un comité spécialisé. Le ministère des Antiquités a annoncé dans les médias que le bâtiment serait annexé au Musée du Caire, et qu’il pourrait figurer sur la liste des bâtiments historiques. Sawirès, le célèbre homme d’affaires, a de son côté proposé de l’acheter et de le transformer en hôtel qui portera le nom de 25 janvier.
Quant aux hommes du PND, ils refusent sa démolition. Hussein Fayez, ancien député du parti, ne veut pas qu’on le détruise. Un avis partagé par certains activistes. Ils pensent qu’il doit rester pour témoigner d’une époque difficile que tous les citoyens ont vécue et vaincue. « Pour ne pas oublier le 25 janvier », explique Maher Ahmad, étudiant.
En effet, ce débat prouve qu’on ne peut pas séparer le bâtiment de ce qu’il représente. En attendant que ce débat s’achève, le bâtiment est encore là couvert de poussière au milieu de la place Tahrir. Le garder ou le démolir, il restera à jamais dans la mémoire des Egyptiens, et l’Histoire aura beaucoup à dire sur ce bâtiment et ses hommes ز
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