Chaque année, c’est le même scénario. Avant même de terminer leur deuxième secondaire, les élèves sont déjà engagés dans la troisième secondaire, le fameux baccalauréat. Pour décrocher leur diplôme, ils devront travailler sans relâche pendant 365 jours. Deux ans d’affilée de dur labeur. En effet, l’année du bac est décisive et durant laquelle les familles doivent jongler pour que leurs enfants obtiennent le plus haut pourcentage de notes, sans lequel ils ne pourront pas s’inscrire dans les facultés de leur choix où les places sont limitées (100 247 places pour 625 538 candidats).
Selon le rapport du bureau d’orientation du bac pour l’année 2014, le pourcentage d’admission à la faculté de médecine était de 97,8 %, 97,3 % en chirurgie dentaire, 96,3 % en pharmacie, 91,6 % en polytechnique, 94,6 % en économie et sciences politiques et 92,8 % pour la faculté de communications de masse. La compétition s’annonce farouche et les parents doivent tout prévoir à l’avance.
Dans un centre réservé aux cours particuliers situé dans le quartier d’Héliopolis, le téléphone ne cesse de sonner. Il faut à tout prix réserver une place avec l’un des meilleurs professeurs de chimie. Deux fonctionnaires se chargent d’organiser l’affaire. Le premier s’assure que l’élève est déjà inscrit sur la liste, avant de remettre aux parents un bon pour le versement de 2 600 L.E. Une somme à payer à l’avance pour s’assurer que l’élève va suivre les cours. Là, un délai de 10 jours est accordé aux parents pour la réservation. Les retardataires risquent de ne pas trouver de place.
Dalia Oussama, 42 ans, dentiste et maman d’un garçon qui doit passer le bac l’année prochaine fait la queue. Elle a dû prendre un congé pour accomplir cette mission. Des disputes éclatent entre les employés et certains parents d’élèves venus réserver des places à leurs enfants. La réponse du fonctionnaire est claire : « la priorité va aux élèves qui ont réservé au mois de novembre dernier par téléphone. Ceux qui ne l’ont pas fait seront sur la liste d’attente jusqu’à ce que les professeurs acceptent de prendre des élèves en plus », lance le fonctionnaire sur un ton ferme. Et c’est le parcours du combattant qui commence.
Dans les écoles, les classes sont quasiment désertes depuis la mi-avril puisque la plupart des élèves suivent des cours particuliers de révision dans les centres. Une réalité qui a obligé les écoles à suivre ce système qui dure depuis des années. « Nous n’avons pas le choix. Nous sommes obligés de suivre ce système malgré nous », confie Dalia qui se presse dans les couloirs du centre pour accomplir cette mission délicate. Le fonctionnaire lui remet un papier sur lequel est indiqué le reste de la somme à payer en trois versements. « Bien que les cours particuliers pour le bac ne commencent qu’au mois d’août prochain, nous devons prendre nos dispositions une année à l’avance. Les centres nous obligent à verser des sommes très tôt, car les places sont limitées par rapport au nombre d’élèves qui se présentent. J’ai dû faire une tontine de 26 000 L.E. pour payer les quatre matières importantes, à savoir les maths (9 250 L.E.), la chimie (7 100 L.E.), la physique (6 000 L.E.) et l’anglais (3 200 L.E.) sans compter les cours de français et d’arabe qui sont payés au fur et à mesure, environ 130 L.E. par semaine. Et puis il y a les frais de scolarité, alors que les élèves ne vont plus à l’école depuis les fêtes de fin d’année. Cela nécessite un budget important même si je gagne 15 000 L.E. par mois », avance-t-elle.
Les centres des cours particuliers ont remplacé la journée scolaire.
(Photo:Moataz Abdel-Haq)
Pour l’économiste Salma Hussein, c’est une vraie compétition, car les chances d’emploi sont rares sur le marché du travail. « Les familles n’hésitent pas à payer pour assurer l’avenir de leurs enfants. C’est le reflet d’un système où celui qui a de l’argent peut assurer un meilleur avenir à ses enfants », avance-t-elle. Un avis partagé par le Dr Kamal Moghis, chercheur au Centre des recherches pédagogiques. « La bataille a lieu souvent entre les 32 % de lycéens issus de la classe pauvre qui ont réussi à accéder au bac et ceux de la classe moyenne dont le niveau de vie a beaucoup baissé. Dans ces deux catégories, l’éducation est primordiale pour améliorer les conditions de vie », confie Moghis.
Et dans cette course contre la montre, celui qui va jouer le rôle du coach, c’est le professeur. Chaque famille souhaite fournir à son enfant le meilleur « coach » possible. Pour cela, elle se base sur les conseils des parents dont les enfants ont déjà passé le bac une ou deux années auparavant et qui habitent généralement le même quartier. « Les professeurs de troisième secondaire agissent comme des stars de cinéma. Leurs actions ne cessent de monter en Bourse en fonction des pourcentages obtenus par leurs élèves. Un bon professeur impose ses conditions, il est maître du jeu. Avant l’apparition des centres de cours particuliers à la fin des années 1980, la somme versée par les parents était répartie en deux moitiés, l’une pour le prof, l’autre pour le centre. Car les professeurs avaient besoin de ces centres pour se faire connaître, chacun suivant ses compétences. Aujourd’hui, la situation a changé et le centre ne reçoit qu’entre 15 et 20 % de la somme. C’est grâce au professeur que les centres deviennent célèbres », se lamente Magued, propriétaire de plusieurs centres dans les quartiers de Madinet Nasr et d’Héliopolis. « Certains professeurs ont même ouvert leurs propres centres », poursuit-il. Pire encore, ils imposaient aux élèves la révision des cours dès la deuxième année secondaire sous prétexte que ces élèves puissent mieux comprendre leur méthode d’enseignement, alors qu’en réalité, c’était pour multiplier les gains. En effet, jusqu’en 2012, le bac était étalé sur deux ans avant qu’il ne soit ramené à un an seulement.
D’autres professeurs n’acceptent pas tout le monde. Ils exigent que les notes des élèves dans la matière souhaitée ne soient pas inférieures à un certain stade. Ils prennent les élèves les plus studieux afin de faire moins d’effort, mais aussi pour garder leur bonne réputation. Selon Mervat Emam, directrice adjointe d’une école à Hélouan, trois critères déterminent les honoraires du professeur. La langue dans laquelle est enseignée la matière, le quartier où se trouve le centre qui donne les cours particuliers et les résultats réalisés par le professeur au cours des années précédentes. Ainsi, un cours de chimie en arabe coûte 23 L.E., en anglais c’est 60 L.E. et en français ou en allemand, cela atteint les 150 L.E. « Le même professeur exigera plus d’argent dans un quartier huppé comme Maadi, alors que dans un quartier modeste, il baissera ses prix, à l’exemple de la région de Wadi Houf », assure la même source.
Mais certains parents ne peuvent pas payer les meilleurs professeurs. C’est le cas de Ghada Ahmad, 46 ans, traductrice dont le fils passe le bac l’année prochaine. Elle confie avoir choisi des professeurs moins connus. « Je n’ai pas voulu courir derrière les stars, je veux que mon fils prenne ses cours à la maison pour qu’il ne perde pas de temps dans les moyens de transport. D’ailleurs, j’ai refusé de l’inscrire dans ces centres qui ressemblent à une boîte de sardines et où le nombre d’élèves peut atteindre les 200 », confie-t-elle.
Lobna, élève en terminale, est déjà lancée dans cette compétition. Elle confie l’avoir commencée depuis le mois d’août dernier. « Je me sens déjà épuisée et l’année a été éreintante et stressante. Je n’ai pas le temps de souffler, car mon emploi du temps est surchargé. J’assiste à deux cours par jour pour compenser la journée scolaire. Je dois réviser un programme chargé, environ 15 pages pour chacune des cinq matières afin de pouvoir suivre. Et ce, sans compter les examens qui ont lieu régulièrement. Je me sens lessivée. De plus, les professeurs menacent de nous mettre à la porte si on obtient de mauvaises notes », dit la jeune fille qui a perdu son sourire, car elle doit travailler 10 heures par jour. Une chose qui a bouleversé le quotidien de sa famille. Tous les membres de la famille sont privés de sorties et de divertissements. « Ma vie dépend totalement des professeurs qui ne veulent pas ralentir le rythme. Même pendant les congés de Pâques, personne n’est sorti hors du Caire, car les cours ont été intensifiés sous prétexte que les examens de fin d’année approchent », assure la jeune fille qui déjà commencé certaines matières au second trimestre comme la géologie, sans compter les cours de grammaire qu’elle prend chez elle pour compenser les leçons qu’elle a ratées en classe. Elle vient de terminer un cours de biologie et se hâte pour prendre un sandwich dans une gargote avant d’aller à un cours de français dans un autre centre. Dans les moyens de transport, elle profite du temps pour réviser le vocabulaire. Pas une minute à perdre. Une raison qui a poussé la jeune fille à remplacer son portable par un autre démodé afin de ne pas perdre son temps sur Facebook ou Whatsapp.
Le bac est une année décisive pour beaucoup d'élèves de la classe moyenne.
A Imbaba, quartier populaire, la même scène se répète. Mariam est fille d’un fonctionnaire à la retraite et dont la pension ne dépasse pas les 500 L.E. « Le prix d’une matière dans un centre de cours particuliers peut atteindre les 600 L.E. Autre chose, nous sommes obligés de payer le prix des examens que les professeurs nous imposent chaque mois, (entre 20 et 40 L.E. par mois), sans compter les leçons à photocopier et les frais de transport », énumère Mariam. « Ma mère a lancé un projet de préparation de repas chauds qu’elle livre aux familles des alentours afin de couvrir les dépenses de l’année », poursuit la jeune fille qui assure que dans ce même quartier, les institutions religieuses et caritatives aident les élèves et leur donnent des cours à bas prix. Malgré ce calvaire, Mariam, comme les autres élèves de la terminale, ne peut s’empêcher de penser à l’avenir. « Il est vrai que le bac est un cauchemar, mais il peut aussi être le début du rêve », conclut la jeune fille .
Histoire d’un diplôme
Avant l’époque de Mohamad Ali pacha (1805-1848), l’Egypte ne connaissait pas le système du bac. Les enfants recevaient une éducation religieuse dans les kottab (cercles d’apprentissage non officiels) pour étudier le Coran ou bien la Bible.
En 1837, on a créé le Diwan des écoles qui est devenu plus tard le ministère de l’Enseignement. Le pays n’avait pas encore connu un examen national du bac. Chaque école supérieure organisait ses propres contrôles.
En 1905, les écoles secondaires ont témoigné d’une réforme. La durée des études était de quatre ans et en deux étapes. Après la première, l’élève obtenait le certificat d’Al-Kafaä (compétence) qui lui permettait d’occuper des postes modestes au gouvernement. Quant à la deuxième étape, elle comprenait deux sections, lettres et sciences. L’élève qui terminait cette étape obtenait le baccalauréat.
En 1920, il y avait en Egypte 9 écoles secondaires, et la première école secondaire pour filles a été créée.
En 1951, une deuxième réforme a été initiée par Taha Hussein, alors ministre de l’Enseignement. Les élèves devaient faire cinq ans d’études pour obtenir la Tawguihiya avant de faire leur entrée à l’université.
En 1956, on a séparé le cycle préparatoire, qui dure trois ans, du cycle secondaire, trois ans aussi aux termes desquels l’élève obtient la Sanawiya amma .
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