Le 25 mai 2013, Osmane Abou-Bakr, un berger de 34 ans, a été tué par une mine antipersonnel à Sidi Barrani, une localité située à 140 km à l’ouest de Marsa Matrouh, alors qu’il emmenait son troupeau au pâturage. Plusieurs de ses moutons sont morts sur le coup. Quant à Osmane, grièvement blessé, il a succombé à ses blessures avant même d’arriver à l’hôpital. «
Nous avons entendu une énorme déflagration. Osmane a été atrocement touché au visage par l’explosion de la mine », relate Khaled, l’un de ses amis encore choqué.
Le 12 avril 2013, Medhat Ragab, un ouvrier de 24 ans, habitant le village désertique d’Al-Nasr, situé à 30 km à l’ouest de Marsa Matrouh, a été blessé par l’explosion d’une mine alors qu’il creusait un puits. « On m’a transporté à Alexandrie où j’ai subi plusieurs interventions chirurgicales. Après quatre mois de traitement m’ayant coûté 15 000 L.E., j’ai perdu un oeil et un bras », raconte-t-il.
A la même date, Islam Fouad, un garçon de 15 ans, a eu un accident similaire. Alors qu’il jouait, il a trouvé un objet en cuivre. C’est en voulant le ramasser que l’objet a explosé. Amputé de la jambe, Islam porte aujourd’hui une prothèse.
Des mines de la Seconde Guerre mondiale
En effet, ces accidents graves se succèdent dans les villages qui se trouvent aux alentours d’Al-Alamein. Les mines antipersonnel continuent de faire des victimes.
Pourquoi ? Cette localité située à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Alexandrie a été le théâtre de plusieurs batailles qui ont opposé les Alliés aux pays de l’Axe durant la Seconde Guerre mondiale en 1942. Cette guerre a laissé à Al-Alamein et ses environs, allant du sud du Littoral-Nord jusqu’aux frontières ouest de l’Egypte, environ 17,5 millions de mines enfouies dans plus de 250 000 feddans arables et qui ne peuvent être cultivés tant qu’on n’a pas déminé toute cette région.
L’Egypte est l’un des pays les plus touchés au monde par les mines antipersonnel. La majorité des victimes sont des bédouins qui vivent dans le Désert occidental, dans les villes et villages situés aux alentours d’Al-Alamein comme Al-Dabaa, Ras Al-Hekma, Marsa Matrouh, Al-Qasr, Al-Nasr, Sidi Barrani et Al-Négueila.
Les champs de mines qui s’étendent à perte de vue dans ces régions mettent en danger la vie des bédouins et des bergers qui habitent les environs. « Aucun signalement ne permet de savoir si tel ou tel terrain est dangereux », déplore Zein Al-Abdine, un bédouin qui, en tentant de rattraper un mouton qui s’était éloigné du troupeau, a marché sur une mine antipersonnel et a eu le pied amputé.
Ces mines empêchent les habitants de cette région de mener une vie normale. Ils risquent la mort chaque jour. En 70 ans, les mines antipersonnel ont causé des milliers de morts et de blessés. Le nombre de pertes humaines dans la région du désert de l’ouest a atteint les 8 313 victimes en 1982, dont 696 morts et 7617 blessés.
D’autres chiffres affirment que, depuis 1942, 3 200 personnes ont trouvé la mort dans les champs de mines aux alentours d’Al-Alamein, et 4 700 autres ont été blessées. Mais, personne ne peut donner de chiffres précis. Autrefois, l’Etat n’enregistrait ni les morts ni les blessés.
Des victimes handicapées à vie
Les victimes qui ont survécu sont devenues pour la plupart des handicapés. Les mines antipersonnel ont détruit leur vie. Abdel-Hamid se déplace sur une chaise roulante, Ragab marche avec des béquilles, Abdel-Moneim porte deux prothèses. Certains sont amputés de plusieurs membres. D’autres ont perdu un pied, une jambe, une main, quelques doigts, ou ont été défigurés et ont perdu l’usage d’un oeil.
« Mais on est obligé de vivre ici. C’est là où nous sommes nés et où nous vivons avec nos grands-parents et nos familles », explique Amine, bédouin.
Pour mettre fin à ce fléau aux graves conséquences humanitaires, les forces armées ont décidé d’agir. Mais la présence de certaines cartes qui indiquent l’emplacement des mines semble peu fiable. Les forces armées et les membres des équipes chargées du déminage ont rencontré d’énormes difficultés, en plus du changement de leurs emplacements à cause des conditions climatiques : le vent, la pluie, le sable font bouger les mines de place.
Aujourd’hui, les forces armées égyptiennes et le département exécutif de déminage coopèrent pour déminer les feddans infestés. « On a nettoyé 31 250 feddans dans le désert d’Al-Dabaa, situé à 130 km à l’ouest de Matrouh, et ce, lors de la première phase qui s’est étalée de 2007 à 2009. La 2e phase a débuté en 2012 et se poursuit actuellement. On a inspecté 25 000 feddans et il reste un total de 70 000 feddans pour les débarrasser des mines », conclut Hussein Moftah Al-Senouny, coordinateur du projet de déminage dans le gouvernorat de Matrouh.
La Seconde Guerre mondiale a laissé à Al-Alamein environ 17,5 millions de mines enfouies dans plus de 250 000 feddans arables.
« Mon fils, qui était âgé de 40 ans, est mort l’année dernière en marchant sur une mine. Il était mon fils unique, c’est lui qui s’occupait de moi. S’il avait su que cette zone était infestée de mines, il ne se serait jamais aventuré », dit Oum Fathi, espérant que toute cette région sera déminée le plus tôt possible .
Efforts déployés pour l’élimination des mines en Egypte :
L'Egypte est l'un des pays les plus touchés au monde par les mines antipersonnelles.
— Au cours de la Conférence du désarmement tenue à Genève en 1996, l’Egypte a demandé aux pays qui ont semé les mines dans ces territoires de participer à leur déminage.
— Au cours de la rencontre tenue en mars 1998 entre le ministre égyptien de la Défense et son homologue allemand, l’Allemagne a annoncé qu’elle était prête à offrir l’aide technologique et financière pour le désamorçage des mines. En octobre 1998, elle avait envoyé 110 appareils de détection de mines en Egypte.
— Au cours des réunions de l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1993, le délégué de l’Egypte auprès des Nations-Unies a demandé aux Etats qui avaient placé les mines en Egypte d’assumer leur responsabilité et de présenter aux autorités les cartes et les registres concernant les sites des champs de mines.
— Consciente des ravages causés par ces armes, la communauté internationale a décidé d’interdire leur emploi, leur stockage, leur production et leur transfert. Tel est l’objet de la convention d’Ottawa (3 et 4 décembre 1997), signée par quelque 150 pays, qui a également prescrit la destruction des stocks existants. Les Etats-Unis n’ont pas ratifié la convention, estimant ces mines nécessaires à la protection des troupes. Pourtant, l’Administration Bush s’est toutefois engagée à ne plus utiliser, après 2010, de mines persistantes et, après 2004, de mines difficilement détectables. La France a supprimé ses stocks dès 1999.
Les jardins du diable
Jardins du diable
Dans les jardins du diable », tel est le titre d’une bande dessinée destinée aux enfants. Elle traite le sujet des mines antipersonnel enfouies dans le désert d’Al-Alamein, durant la Seconde Guerre mondiale. L’équipe, composée du dessinateur et bédéiste Djamal Si Larbi, alias Borji (décédé en 2007), et du scénariste Tareq Youssef, a effectué deux visites de quelques jours dans la région d’Al-Alamein afin de rapporter des informations précises, des faits et des histoires humaines. Une fois sur place, ils sont tombés sur des témoignages authentiques qui les ont impressionnés et inspirés. Même le titre de l’album Dans les jardins du diable leur a été communiqué par un bédouin qui travaillait comme gardien du cimetière des Alliés. Lors de leur visite, il y a eu deux explosions dont les victimes ont été des bergers qui gardaient leurs troupeaux. Une expérience qui a marqué l’équipe et qui a eu son impact sur l’oeuvre.
Le livre raconte l’histoire d’un groupe de jeunes partis à la recherche d’un trésor dans la région d’Al-Alamein. Sur place, ils vont découvrir toutes les atrocités de la guerre. « Ce que vous êtes en train de nous dire c’est que la guerre est terminée depuis 50 ans, mais les mines continuent de tuer », lance l’un des enfants au gardien du Musée militaire d’Al-Alamein, résumant ainsi l’idée du livre .
Une invention ingénieuse
Il s’agit d’un projet simple et ingénieux qui pourrait mettre fin au problème des mines en Egypte. En mai 2012, l’idée germe dans la tête de Mohamad, mais celui-ci voulait le soutien de son ami Ahmad qui deviendra par la suite son partenaire.
Inspirés par l’idée du radar, Mohamad Gouda et Ahmad Hassan mettent au point une invention qui pourrait, selon eux, sauver des milliers de vies en Egypte. Ils créent un avion-radar anti-mines, sorte d’aéronef, dont la propulsion est assurée par des voilures tournantes, appelées rotors, fonctionnant avec un ou plusieurs moteurs.
La conception de cet avion-radar à rotors est assez complexe, sa maintenance est exigeante et le coût de l’heure de vol est très élevé. Son aptitude à pouvoir décoller et atterrir sur des terrains étroits et non préparés le rend indispensable pour certaines missions malgré son autonomie et sa vitesse réduites. L’avion-radar fait exploser les mines qui entravent la mise à exécution des projets nationaux.
« Ce grand nombre de mines antipersonnel entrave tout processus de développement ».
Les inventeurs cherchent à obtenir des fonds pour réaliser leur projet.
Le projet ambitieux de développement du corridor du Nil vise à construire une super-autoroute de 1 200 km le long du Nil, dans le Désert libyque, et relier Al-Alamein (où 17,5 millions de mines sont enfouies) à Assouan. « Le Désert occidental n’est pas le seul territoire égyptien parsemé de mines. Le Désert oriental a été infesté, lui aussi, de mines suite aux guerres égypto-israéliennes qui ont laissé environ 5,5 millions de mines dans le Sinaï », affirme Mohamad Gouda, habitant de Ménouf, situé dans le gouvernorat de Ménoufiya.
Un effort récompensé
Mohamad Gouda et Ahmad Hassan ont été les lauréats du concours de technologie d’Abou-Dhabi qui a eu lieu le 23 juin 2013 dans l’émirat. Ils ont reçu la somme de 5 000 dollars. Ils ont aussi remporté, en novembre 2012 en Suède, le second prix d’un concours de technologie et empoché 3 000 dollars. Ils ont également obtenu le 4e prix en septembre dernier lors du concours Made in Egypt, organisé à l’occasion de la Journée de l’ingénieur égyptien. Un concours qui leur a donné la chance de suivre un stage intensif au Smart Village. Mohamad Gouda et Ahmad Hassan sont diplômés de la faculté de polytechnique à l’Université de Ménoufiya. « Nous allons participer également au concours de la Silicon Valley aux Etats-Unis, en Californie en octobre prochain », dit Hassan fièrement.
Les deux inventeurs cherchent actuellement à obtenir des fonds. « On espère collecter assez d’argent pour pouvoir réaliser des tests dès le mois d’août en Egypte. Chaque mine que nous détruisons peut potentiellement sauver une vie. Ce sera notre revanche sur la guerre qui a déchiré notre pays », conclut Ahmad Hassan .
Une association d'aide aux victimes
C’est à 330 km du Caire, dans le gouvernorat de Matrouh que se trouve l’Association des victimes des mines. Cette association qui a vu le jour le 20 novembre 2011 compte 267 membres, tous des handicapés, y compris les 7 membres du conseil d’administration. Ils habitent tous à Al-Alamein ou ses environs. La plupart d’entre eux ont subi cet handicap en posant leur pied sur une mine, d’autres ont manipulé un objet insolite.
Pour adhérer à cette association, chaque membre doit verser une somme dérisoire qui s’élève à 2 L.E. par mois. Abdel-Hamid Moussa, handicapé par l’explosion d’une mine dans le village désertique Selimane Al-Samne alors qu’il avait 12 ans, est l’initiateur de cette association. « Ma jambe gauche a été amputée à cause des médecins et des infirmières et du manque d’hygiène dans l’hôpital de Matrouh », relate Abdel-Hamid Moussa.
L’objectif de la création de cette association est de lutter pour réclamer plus de droits aux handicapés : accès à l’emploi, assurance médicale, droit au logement, à une vie décente et surtout à la dignité.
Et ce n’est pas tout. Les membres tentent de faire pression sur le gouvernement pour verser des indemnités aux victimes. « Tous les blessés, depuis les années 1960, n’ont pas été indemnisés. De plus, aucune des victimes n’a eu droit à des séances de rééducation », s’insurge Am Ragab Eissa.
Avant la création de l’association, les sommes versées étaient dérisoires. Elles variaient entre 12 et 270 L.E. selon la gravité de la blessure, le sexe et l’âge de la victime.
Depuis le début de l’année 2013, une lueur d’espoir a commencé à poindre. Les responsables du projet de l’élimination des mines ont commencé à enregistrer les victimes afin de leur offrir des services et les aider à survivre. « On a présenté des prothèses, des cannes et des fauteuils roulants à 241 victimes sur un total de 759. Les appareils orthopédiques aident les personnes à retrouver leur mobilité. Ces victimes doivent également suivre des séances de rééducation durant toute leur vie », confie Abdallah Saleh Al-Shoheibi, directeur du conseil d’administration.
« Le département du Projet des mines en coopération avec l’Association pour les victimes des mines ont décidé d’octroyer à chaque victime une parcelle de terre cultivable, dont la somme sera payée par tranches étalées sur 10 ans », précise Ahmad Al-Haddad, directeur de l’association.
Une campagne de sensibilisation cible notamment les enfants, car ils sont les plus exposés à ce genre d’accidents. « On a commencé à sensibiliser les enfants dans les différentes écoles d’Al-Alamein et ses alentours en leur demandant d’informer le directeur de l’école, leurs professeurs ou leurs parents au cas où ils trouveraient un objet en métal enfoui dans le sable », conclut Al-Haddad.
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