Une centaine de femmes natives du village Taha Al-Aëmeda, à Samallout, dans le gouvernorat de Minya en Haute-Egypte, assistent à une réunion. Paysannes, ouvrières agricoles, divorcées et veuves, tous âges confondus, écoutent attentivement la présidente du premier syndicat des paysannes et ouvrières agricoles créé il y a moins d’un mois. Quatre fois par semaine, elles se donnent rendez-vous au siège pour discuter des problèmes que rencontrent les ouvrières agricoles dans leur activité quotidienne.
Les membres du syndicat se réunissent 4 fois par semaine.
(Photos : Hachem Aboul-Amayem)
L’idée de créer ce syndicat dans le village Taha Al-Aëmeda est venue de Hanaa, après qu’elle eut constaté que les ouvrières agricoles travaillaient dans des conditions difficiles et étaient lésées dans leurs droits par rapport aux hommes. « Il y a deux ans, une amie à moi s’est cassé la jambe alors qu’elle accomplissait son travail dans les champs. Elle est restée six mois à la maison sans recevoir le moindre sou. Le propriétaire des terrains agricoles pour qui elle travaillait ne l’a pas aidée financièrement. Cette jeune femme de 34 ans est restée sans le sou alors qu’elle aidait son mari à subvenir aux besoins de ses quatre enfants », explique Hanaa Abdel-Hamid. « Le conseil d’administration a demandé aux membres du syndicat (dont le nombre s’élève à 100) de verser 5 L.E. La somme recueillie sera versée à toute femme passant par une situation difficile », ajoute la présidente.
En effet, ces femmes ne possèdent ni sécurité sociale ni assurance médicale. De plus, elles sont moins rémunérées que les hommes. Depuis la naissance de leurs enfants, elles travaillent dur et ne sont pas payées en conséquence. « C’est injuste. Que leur arrivera-t-il en cas d’accident, en cas de décès du conjoint ou lorsqu’elles atteindront l’âge de la retraite ? », se demande Hanaa Abdel-Hamid, présidente du premier syndicat des ouvrières agricoles en Egypte. Une situation injuste envers les femmes qui habitent les villages d’Egypte. « En effet, près de 4 millions de femmes travaillent dans les domaines agricoles d’Egypte, dont 220 000 à Minya. Pour les hommes, on en compte 7 millions, dont 320 000 dans le gouvernorat de Minya », lance Abdel-Moula Abdel-Haq, président de l’ONG pour les droits des femmes, Al-Hoqouq Al-Nessaïya. De plus, la loi du travail 12/2003 ne mentionne pas les droits économiques et sociaux de cette catégorie de travailleuses. C’est pourquoi elles sont privées de tout. « Il faut que cette loi soit modifiée, surtout après la révolution du 25 janvier 2011, car le nombre de femmes qui travaillent dans les exploitations agricoles est presque égal à celui des hommes », explique Hanaa Abdel-Hamid, 42 ans, diplômée en commerce et l’une des rares femmes à avoir poursuivi des études.
L’épouse était l’« aide familiale »
Ces ouvrières agricoles ne possèdent ni sécurité sociale ni assurance médicale.
(Photos : Hachem Aboul-Amayem)
Au début du XXe siècle et jusqu’aux années 1990, l’agriculture était exclusivement une affaire d’hommes, une activité transmise de père en fils. Les femmes ne travaillaient pas, elles aidaient seulement leur mari. L’épouse du chef d’exploitation était l’« aide familiale ». Autant dire « sans profession ». La division des tâches répondait alors aux critères de la vie familiale, et non à ceux de la profession. « Ce sont les importantes transformations de l’activité agricole, ainsi que le rôle des mouvements féministes des années 1990, qui ont rendu légitimes les revendications des femmes pour la reconnaissance de leur travail. De plus, le besoin économique a poussé les femmes à travailler comme ouvrières agricoles, ce qui les a incitées à faire pression, se rassembler et créer des unions », précise Eveline Kamel, chef de l’ONG Al-Hayah Al-Afdal (meilleure vie).
Aujourd’hui, et pour la première fois en Egypte, une villageoise occupe ce prestigieux poste de chef du syndicat. Hanaa est une modeste femme qui a toujours été préoccupée par l’avenir de la paysanne dans son petit village natal. Elle travaille dans le domaine du développement depuis 1990 et a collaboré avec l’Unicef pendant 10 ans. Elle a toujours porté soutien aux plus pauvres de son village. Par le biais de dons, cette présidente du syndicat aide financièrement les jeunes filles qui s’apprêtent à se marier pour acquérir les équipements dont elles ont besoin (réfrigérateur, télévision, cuisinière, etc.). Hanaa intervient également lorsqu’il y a des différends entre les familles de Haute-Egypte.
(Photos : Hachem Aboul-Amayem)
Tout prédestinait Hanaa à s’intéresser au sort des membres de son village. Son grand-père a occupé la fonction de chef de village durant plus de 30 ans. Son oncle paternel pendant 20 ans et son oncle maternel durant 10 ans. « Elle a été élue car elle remplissait toutes les conditions pour occuper ce poste, à savoir être diplômée et avoir entre 35 et 55 ans. Mais c’est surtout sa bonne réputation et ses relations cordiales avec les villageoises qui ont fait d’elle une parfaite postulante », dit Oum Nour, paysanne. Mais, cela n’a pas été facile pour ces femmes d’adhérer à ce syndicat. Dans ce village et les localités avoisinantes, la femme saïdie est considérée comme un bien précieux que l’on doit cacher ou protéger des regards indiscrets. « Chez nous, une femme ne doit ni sortir ni se montrer devant un étranger, pas même un médecin », confie Amal Hassan, ouvrière agricole de 38 ans. Cette dernière, l’esprit rebelle, a enfreint les traditions et ne cesse de défier son entourage. Elle a été la première femme à adhérer au syndicat.
Malgré le poids des traditions
Hanaa Abdel-Hamid occupe le poste de chef de syndicat.
(Photos : Hachem Aboul-Amayem)
Un exploit pour Amal qui vit dans une société où les jeunes femmes n’ont pas le droit de tisser des relations sociales. « Cela a été difficile de convaincre mon époux. Mais comme il a senti que toutes les femmes du village allaient profiter de ce syndicat, il a fini par accepter. Depuis, sa mentalité a commencé à changer. Il a compris qu’il fallait améliorer la situation de la femme au sein de notre communauté et que je pouvais l’aider en augmentant nos revenus », poursuit Amal en souriant.
Aujourd’hui, et malgré le poids des traditions, le conseil d’administration de ce syndicat est constitué de sept paysannes. Zeinab Abdel-Ghaffar, une des membres du conseil d’administration du syndicat, estime que les propriétaires exploitent les ouvrières agricoles qui sont souvent divorcées ou veuves, alors que le rôle de l’Etat est absent. « Le salaire d’une ouvrière agricole est de 20 L.E. par jour, alors que celui d’un homme atteint 60 L.E. pour le même travail », lance-t-elle. Zeinab pense que le syndicat sera d’une grande utilité pour l’ouvrière agricole. C’est la raison pour laquelle elle déploie d’énormes efforts pour assister aux différents ateliers organisés au sein du syndicat, où l’on leur enseigne certaines tâches ayant un rapport avec l’exploitation agricole.
Tout en marchant à travers les champs qui s’étendent à perte de vue, au milieu de milliers d’hectares de blé, de maïs et de luzerne, Safiya, jeune paysanne de 35 ans, s’attend à ce que ce nouveau syndicat aide les pauvres paysannes à résoudre leurs problèmes. « Des spécialistes sont venus nous donner des cours. Ils nous apprennent l’élevage de bovins, ovins, lapins et poules et comment soigner nos animaux ou monter un nouveau projet pour soutenir nos familles », relate Safiya.
Soins et élevage d’animaux, gestion et comptabilité de l’exploitation, relations avec les techniciens agricoles, avec les organismes administratifs et financiers, tels sont les services offerts par le nouveau syndicat.
« Nous, les ouvrières agricoles, nous avions besoin d’un syndicat qui milite et se bat pour défendre nos droits. Nous voulons exercer notre métier dans de meilleures conditions et avoir droit à un revenu décent », lance Hamida, paysanne. Un avis partagé par Gihane Metwalli, paysanne de 30 ans. Elle énumère quelques problèmes : « Le prix d’un kilo d’engrais chimique peut atteindre les 140 L.E. J’espère que l’on appliquera de nouveau l’ancien système qui pourrait permettre à chaque paysanne d’avoir un quota fixe en engrais ».
Conscient de cette situation, le nouveau syndicat tente de faciliter la tâche à ces paysannes. Si une ouvrière agricole voulait acheter un feddan (0,42 ha) de terre, elle devrait verser 2 000 ou 3 000 L.E., en fonction du type de récolte. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. « Avec l’aide du syndicat, elle pourra avancer 1 000 L.E. au lieu de 2 000 ou 1 500 au lieu de 3 000 L.E. Si elle veut vendre son blé, elle pourra gagner 450 L.E. (pour 122 kilos de blé), alors qu’avant lorsqu’elle le vendait toute seule, elle ne touchait que 350 L.E. L’achat et la vente en groupe permettront à ces femmes de faire d’importants profits et de diminuer le coût », explique Zeinab Abdel-Ghaffar.
Aujourd’hui, les rêves de ces paysannes sont sans limites. Avec l’aide du ministère de l’Agriculture, 50 paysannes de chaque gouvernorat vont suivre des stages pour être informées des dernières techniques en matière d’agriculture et de commercialisation de leurs produits agricoles. « Les ouvrières agricoles sont un trésor national, mais malheureusement, l’Etat ne se soucie guère de cette catégorie de femmes. On continuera à revendiquer leurs droits jusqu’au bout à travers ce syndicat », dit Hanaa, qui se prépare à un déplacement au Maroc. Un voyage qui lui permettra d’échanger les expériences de femmes agricoles dans d’autres pays arabes.
Lien court: