Lorsqu’il parvient, après un long parcours, à déchiffrer les hiéroglyphes en 1822, Jean-François Champollion ne découvre pas simplement une nouvelle écriture ancienne que personne n’arrivait à comprendre, mais il rend aussi vie à une civilisation vieille de plus de trois millénaires et dont la plupart des informations étaient inconnues.
En fait, les hiéroglyphes n’étaient plus compris depuis l’invasion de l’Egypte par les Grecs au IIIe siècle av. J.-C., puisqu’ils les considéraient comme une langue païenne et les ont substitués par le grec. Une pierre, trouvée dans la ville de Rosette au nord de l’Egypte dans le delta du Nil en 1799, par le lieutenant Bouchard, permet à Champollion, vingt-trois ans plus tard, de découvrir que la langue hiéroglyphique est en réalité « un système complexe, une écriture tout à la fois figurative, symbolique et phonétique, dans un même texte, une même phrase, je dirais presque dans un même mot », comme le signale Champollion dans ses lettres à son frère. Sur cette pierre en granit noir était gravé un même texte en trois écritures différentes : en hiéroglyphes, en démotique et en grec. Il s’agit d’un décret des prêtres égyptiens en l’honneur de Ptolémée V (204-180 av. J.-C.), à l’occasion de l’anniversaire de son couronnement (196 av. J.-C.).
« Je tiens l’affaire ! », écrit Champollion à son frère le 14 septembre 1822, assurant avoir percé les secrets des hiéroglyphes. Le 27 septembre 1822, il écrit une lettre à son protecteur, M. Dacier, secrétaire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dans laquelle il fait part de sa découverte. A peine cette fameuse lettre envoyée, Champollion s’attèle à rédiger son fameux ouvrage Le Panthéon égyptien qui paraît en quinze tomes, où il recense tous les dieux et les déesses que les Egyptiens adoraient. A chaque divinité sont associés sa parenté avec les autres dieux, son implantation géographique, ses attributs… Il se concentre ensuite sur la rédaction d’une grammaire pour décrypter les hiéroglyphes. C’est ainsi qu’une nouvelle science voit le jour grâce au déchiffrement devenu possible des textes égyptiens: c’est l’égyptologie. Une science qui, avec le temps, a pu dévoiler le génie des pharaons et les secrets d’une civilisation développée dans différents domaines, que ce soit en astronomie, mathématiques, médecine ou autres. D’après Khaled Gharib, professeur des antiquités gréco-romaines à la faculté d’archéologie de l’Université du Caire, le déchiffrement des signes hiéroglyphiques a changé de nombreux concepts qui prévalaient. « Il a permis d’identifier les idées et la vie des Anciens Egyptiens et de comprendre plus en profondeur la formation religieuse et sociale de leur monde, et même leurs relations, ainsi que leurs interactions avec d’autres civilisations voisines au Moyen-Orient et en Afrique au cours de ces âges anciens », explique Gharib, ajoutant qu’en déchiffrant les hiéroglyphes, c’est en fait la civilisation égyptienne qui a été déchiffrée et mise en évidence, puisqu’elle s’est transformée d’une civilisation inconnue à un livre ouvert qui a capturé autant l’intérêt que l’estimation du monde entier.
Pour sa part, Ola Al-Aguizi, professeure d’archéologie à l’Université du Caire, souligne que c’est l’oeuvre de Champollion qui a permis aux égyptologues de fouiller de plus en plus dans cette civilisation millénaire pour en découvrir davantage. « En fait, Champollion a mis des années pour établir un précis du système hiéroglyphique des Anciens Egyptiens, dans lequel il a recensé 25 signes qui composent l’alphabet hiéroglyphique. Ce qui est plus important encore, c’est son ouvrage concernant la grammaire qui porte le nom Principes généraux de l’écriture sacrée égyptienne appliquée à la représentation de la langue parlée, dans lequel il a abordé tout ce qui a rapport à l’écriture hiéroglyphique, soit les signes-mots appelés aussi idiogrammes, les signes phonétiques ou les phonogrammes qui notent un son et les déterminatifs qui sont des signes muets indiquant le champ lexical auquel appartient le mot », explique Al-Aguizi. Et d’ajouter qu’en se basant sur l’oeuvre riche de Champollion, qui est devenue une référence pour les archéologues du monde entier, ces derniers ont pu traduire tous les textes, manuscrits, documents ou papyrus et connaître beaucoup sur la civilisation égyptienne qui est restée pour longtemps énigmatique. « Ainsi, on a compris que les écritures recouvrant les tombes avaient pour objectif d’apporter tout ce dont les morts pouvaient avoir besoin dans l’au-delà », renchérit-elle.
Avant la découverte de Champollion, les informations scientifiques sur la civilisation égyptienne étaient très rares. « Les infos provenaient principalement des contes bibliques où étaient cités les noms de quelques rois égyptiens, comme Chichonq, ou bien des légendes populaires concernant surtout les statues que le public appelait Al-Massakhit.
A cette époque, les gens étaient convaincus que ces statues étaient des amulettes ou bien des gens qui ont désobéi à leur Seigneur et à cause d’une malédiction, ils se sont transformés en pierre. Ils croyaient aussi que les papyrus sont des sorts magiques, puisqu’ils sont écrits en noir et en rouge. Raison pour laquelle ils les brûlaient immédiatement. De même, les momies étaient brûlées à cause de leur conviction que leurs cendres sont utilisées dans des buts thérapeutiques. En outre, ils prenaient les grosses pierres des temples pour construire des églises et plus tard des mosquées », raconte l’archéologue Magdi Chaker, assurant que le déchiffrement était un tournant crucial pour comprendre cette civilisation énigmatique.

Un nouveau monde qui s’ouvre
Si Napoléon Bonaparte était le premier à s’intéresser aux monuments égyptiens, en ramenant des savants afin de dresser un panorama des vestiges et des arts de l’Egypte Ancienne, le déchiffrement de la stèle de Rosette est la pierre angulaire de l’égyptologie. Et ce n’est qu’après le déchiffrement de cette écriture que les regards du monde se sont tournés vers la civilisation égyptienne. On voit donc de nombreux riches Occidentaux se rendant en Egypte afin de fouiller les vestiges et ramener pour leur compte personnel le produit de leurs découvertes. Et aussi les fouilles organisées ont commencé et les grands archéologues commencent à fouiller la terre égyptienne.
Voilà Auguste Mariette, directeur du musée de Boulaq, qui fait désensabler le temple d’Edfou, érigé par Ptolémée III, dédié au culte du dieu Horus, et découvre de nombreux objets. Toutes ces découvertes attirent de nombreux Occidentaux qui se découvrent une véritable passion pour l’égyptologie. L’archéologue allemand Ludwig Borchardt mit au jour le buste de Néfertiti en 1912, le tombeau de Toutankhamon fut découvert en 1922 par l’archéologue anglais Howard Carter.
Selon l’archéologue Magdi Chaker, le déchiffrement des signes hiéroglyphiques a transmis des connaissances inestimables au monde, puisque les égyptologues ont découvert un précieux héritage d’inventions et de découvertes effectuées par les Anciens Egyptiens qui ont changé le cours de l’histoire et ont conduit au développement du monde moderne. « Les Anciens Egyptiens connaissaient bien diverses maladies et étaient habiles à les traiter. Ils ont découvert de nombreux textes médicaux décrivant en détail les procédures et les prescriptions médicales et ont exécuté des chirurgies », explique Chaker. Il s’agit, en fait, des papyrus pharaoniques médicaux connus comme ceux d’Edwin Smith, Ebers, Kahun et beaucoup d’autres. Ceux-ci ont été à la base de la médecine moderne.
« En mathématiques, les Anciens Egyptiens étaient de brillants scientifiques qui savaient comment effectuer des opérations arithmétiques telles que l’addition, la soustraction, la multiplication et la division, et ils ont été les premiers à proposer le concept de fractions de base et avaient de bonnes connaissances en géométrie, et les pyramides sont une preuve concrète sur le niveau très avancé de connaissances mathématiques et d’ingénierie que cette civilisation doit posséder afin de construire de telles structures massives », se félicite Magdi Chaker. Sans oublier le calendrier égyptien qui fait partie des premiers systèmes de datation connus par l’humanité.
Il ne s’agit pas des informations seulement sur les rois, les reines et les dignitaires mais aussi sur le quotidien du grand public qui était raconté en détail sur les parois des tombes de Béni-Hassan, au gouvernorat de Minya en Moyenne-Egypte. En plus des histoires des scènes et des inscriptions gravées à l’intérieur des pyramides et des tombes, les égyptologues ont pu déchiffrer le Livre des morts et savoir les rituels adoptés lors des décès.
La pierre de Rosette n’était pas seulement la clé pour déchiffrer la langue égyptienne antique, mais c’était aussi la clé pour faire parler une grande civilisation qui est restée pour longtemps silencieuse.
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