Pourquoi les cours du pétrole ont-ils augmenté ?
— Une vague de froid inhabituelle a frappé une partie des Etats-Unis, notamment le Texas, siège important des puits et des raffineries. Cela a paralysé l’industrie pétrolière aux Etats-Unis. Le premier producteur mondial de brut voit son offre plonger d’un tiers depuis le début de la semaine dernière, ce qui a dopé le prix du baril américain à plus de 60 dollars et du baril de Brent à plus de 63 dollars. Le prix du panier de l’Opep (indice regroupant 13 pays) a, pour sa part, atteint 63,4 dollars le 18 février. Par conséquent, le prix du gaz s’est envolé : la référence du Henry Hub est passée de moins de 3 dollars à près de 18 dollars par million d’Unités britanniques thermales (MBTU). Quelques jours après, avec l’anticipation d’un retour rapide du brut américain, les cours se sont ensuite légèrement repliés, vendredi 19 février. Ils restent cependant en dessus des 60 dollars le baril.
Ce niveau des prix est-il exceptionnellement élevé ?
— Oui, c’est le plus haut niveau des prix depuis un an. La pandémie de Covid-19 a frappé fortement l’économie mondiale qui peinait déjà depuis 2019. Le transport a été particulièrement frappé. Celui-ci représente la moitié de la demande sur le pétrole. Les cours ont atteint des niveaux exceptionnellement bas, atteignant moins de 20 dollars le baril, au coeur du premier confinement, soit la période mars-avril 2020. Et pour verser de l’huile sur le feu, deux grands producteurs pétroliers, l’Arabie saoudite et la Russie, se sont lancés dans une guerre des prix. Les petits producteurs, eux, ont tenté de maintenir leurs revenus pétroliers en haussant les quantités offertes sur le marché du brut. Le prix a fini par chuter davantage.
L’Opep+ a fini par sauver les prix. C’est une alliance regroupant les pays exportateurs de pétrole qui représentent plus du tiers de la production mondiale, soit 13 pays (dont l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Iraq et le Venezuela), en plus d’autres pays non membres avec la Russie en tête. En menant des négociations difficiles, ils sont enfin parvenus, en avril 2020, à un accord pour couper la production de 9,7 millions de barils par jour (Mb/j). La production mondiale en 2020 était de quelque 90 Mb/j. En septembre, en raison d’une meilleure croissance mondiale que celle anticipée, la décision a été révisée à la hausse soit une baisse de la production de 7,7 millions de barils.
C’est ainsi que les prix ont graduellement repris. Le prix record qui frappe le marché mondial actuellement est en fait aux alentours de son niveau de 2019, et en dessous du prix de 2018, d’après les statistiques de l’Opep.
Les cours vont-ils se replier à nouveau quand la production du pétrole américain aurait repris ?
— Non. Beaucoup d’analystes prévoient que la marge des 55-65 dollars pour un baril est là pour continuer. « L’Opep+ est favorable au fait que les cours restent dans cette fourchette », note l’analyste de l’énergie Ahmad Hamza, de la banque EFG-Hermès.
En janvier 2021, le redressement des prix s’est renforcé, vu la hausse de la demande en raison de la vague de froid reflétant une reprise partielle de l’économie mondiale. Lors de sa réunion le 5 janvier dernier, l’Opep+ a décidé de légèrement hausser la production de 500 Mb/j. La Russie et le Kasakhstan ont offert une hausse maigre de 75 000 barils par jour en février et mars.
Mais l’incertitude autour de l’économie mondiale a donné lieu à une nouvelle divergence entre la Russie et l’Arabie saoudite, révèlent des responsables au sein de l’Opep à l’agence Bloomberg. Pour la Russie, la demande est soutenue, ce qui permet une hausse de l’offre mondiale, sans craindre que les prix chutent. En fait, le rapport mensuel de l’Opep publié en février affirme que le marché sera capable d’absorber des quantités croissantes de brut. La reprise de l’économie mondiale aiderait à maintenir les prix dans la fourchette des 55-65 dollars. « Les capacités de production peuvent couvrir n’importe quelle hausse », affirme Ahmad Hamza. Par contre, l’Arabie saoudite ne veut pas que l’alliance Opep+ augmente les niveaux actuels de la production. Déjà l’Iraq et le Nigeria ont dépassé leurs quotas de production. Il n’est pas encore clair dans quelle direction la décision du groupe sera prise lors de la prochaine réunion le 4 mars.
Pourquoi l’Arabie saoudite diminue-t-elle sa production, alors que les autres l’augmentent ?
— L’Arabie saoudite a décidé unilatéralement et volontairement de baisser sa production à hauteur d’un Mb/j en juin dernier, puis en janvier, et la tendance continue en février et peut-être en mars aussi. Il s’agit de céder une part du marché pétrolier aux autres exportateurs. « L’objectif est le bien de l’ensemble des producteurs, la santé et la stabilité du marché », s’est félicité le ministre saoudien de l’énergie, Abdel-Aziz Ben Salman, devant la réunion de l’Opep+, en janvier dernier. En fait, le royaume est le plus grand exportateur mondial et le numéro 1 des réserves pétrolières. Son brut est extrait à un coût très bas par rapport aux autres. En raison de ces privilèges, il a le pouvoir de jouer ce rôle de stabilisateur du marché. Or, le royaume vise déjà à augmenter son quota actuel de 500 Mb/j et pour ce faire, il doit convaincre les autres pays de l’alliance à maintenir leur niveau d’offre inchangé.
— Comment l’Egypte a-t-elle été affectée par cette hausse ?
— L’Egypte est un petit exportateur de pétrole. Donc la hausse des cours signifie un flux de dollars nécessaire à l’économie. Le gouvernement offre une subvention généreuse à l’énergie, notamment aux entreprises. Chaque hausse des cours internationaux signifie une facture de subvention plus lourde. Le prix prévu par le budget de l’Etat est de 61 dollars le baril, d’après le projet de budget publié en juin dernier. C’est donc le plafond qui peut être toléré par le budget sans affecter le déficit budgétaire.
Le comité de fixation des prix de l’énergie a maintenu les prix de l’essence et du diesel des ménages sans changement au début du mois de janvier 2021. La prochaine réunion sera en avril. Si les cours mondiaux augmentent, il est probable que les prix de l’essence augmentent. Le comité a par ailleurs offert une réduction des cours de l’énergie (gaz naturel et électricité), qui n’était pas annoncée en préparant le budget. Une mesure qui coûte au gouvernement quelque 10 milliards de L.E. Le comité de l’énergie au parlement, qui regroupe des représentants du lobby des entreprises à haute consommation d’énergie, est en cours de négociation avec le gouvernement pour une deuxième réduction des prix du gaz naturel. Vu la hausse des prix du gaz en parallèle à celle du pétrole, il est peu probable que le gouvernement se plie à cette demande.
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