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Balance commerciale: de coûteux illogismes

Giliane Magdi, Mardi, 22 janvier 2013

Importations. Le gouvernement songe à réduire de manière drastique la facture des importations à travers des mesures protectionnistes. Mais l’urgence est d’améliorer les capacités de production locale pour s’approcher, dans de nombreux cas, de l’autosuffisance.

Blé
20 % de la récolte du blé sont détruits faute de stockages. (Photo: Al-Ahram)

L’Egypte, premier importateur mondial de blé, exporte désormais cette denrée. C’est là un exemple parmi des dizaines d’autres pour illustrer la curieuse situation du commerce extérieur de l’Egypte. Mais la dépréciation de la livre égyptienne face au dollar fait repenser les utilisations prioritaires du billet vert.

Les importations, à elles seules, y absorbent annuellement près de 60 milliards de dollars. En un seul mois, le cours du dollar a gagné plus de 8 % par rapport à la monnaie nationale pour s’échanger aujourd’hui aux alentours de 6,67 L.E. dans les banques et 7,25 L.E. hors des canaux officiels.

Le retour du phénomène de la dollarisation sonne l’alarme pour freiner la facture des importations qui ne cesse de gonfler. Selon les chiffres de la Banque Centrale d’Egypte (BCE), la facture des importations a atteint 58,6 milliards de dollars pendant l’année financière 2011/2012.

La structure des importations se partagent en 5 groupes : les matières énergétiques — tels le pétrole et le charbon —, les matières premières (blé, maïs ...), les produits intermédiaires (plastique et aluminium), les biens d’investissement tels que les ordinateurs et enfin les biens de consommation.

« La liste des importations publiée par l’Organisme central de la mobilisation et des statistiques (CAPMAS) regorge d’illogismes nuisibles à l’industrie et à l’agriculture. Presqu’un tiers de la facture, soit quelque 20 milliards de dollars, peut être économisé annuellement », note Shireen Al-Kady, président de la banque d’investissement Prime Securities.

Cette économie de 20 milliards porte sur les biens de consommation et les matières premières et énergétiques, qui amputent le budget de 23,6 milliards de dollars, soit 41 % du total des importations (selon le dernier rapport de la BCE). La liste détaillée du CAPMAS comprend 2 600 biens et produits, dont des produits de luxe bénéficiant de taxes douanières réduites. Sur ces produits, une hausse des tarifs douaniers pourrait à la fois freiner l’importation et augmenter les recettes douanières. Par exemple, l’Egypte importe du nescafé à hauteur de 19 millions de dollars et du fromage pour un montant évalué à 100 millions de dollars.

Une autre tranche de produits représente ceux à alternatives locales. L’exemple le plus clair est celui des produits électroménagers comme les télévisions et les machines à laver, comptant pour 586 millions de dollars annuellement, « alors que les usines égyptiennes productrices de biens similaires risquent de fermer leurs portes en raison d’une baisse des ventes », regrette Al-Kady.

Les accords commerciaux en question

Suite à la mise en vigueur d’un nombre d’accords commerciaux avec des pays plus avancés industriellement, l’Egypte a connu une hausse des importations. Ainsi, après un accord avec la Turquie notamment, la facture des importations a subi une forte hausse depuis 2009/2010 pour passer de 48,9 milliards de dollars à 58,6 milliards de dollars en 2011/2012 (d’après le dernier rapport mensuel publié par la BCE).

Mais le gonflement de cette facture intervient à un moment très difficile pour le pays. Après la révolution, les réserves en devises ont chuté de plus de moitié pour atteindre 15 milliards de dollars, couvrant à peine trois mois d’importations.

Au sein du Parti Liberté et justice au pouvoir, le président du comité économique, Abdallah Chéhata, dévoile que « le gouvernement va prochainement augmenter les tarifs douaniers sur les produits cosmétiques, entre autres produits luxueux ». Mais « l’application est une autre paire de manches », avertit Ahmad Ghoneim, professeur d’économie à l’Université du Caire.

Il note que l’augmentation des tarifs douaniers pourra varier d’un produit à un autre, mais ne devrait pas dépasser le plafond de 40 %. « Il ne faut pas opter pour ce choix, car l’impact serait limité. Le mieux est de profiter de la dépréciation de la monnaie nationale pour augmenter les exportations », renchérit-il.

Une opinion partagée par une source au ministère du Commerce et de l’Industrie qui a requis l’anonymat. Il assure à l’Hebdo que les accords de l’Organisation mondiale du commerce et ceux avec l’Union Européenne (UE) permettent, en cas d’urgence, l’adoption de certaines mesures protectionnistes.

Selon la clause 9 de l’accord de l’Association égypto-européenne, le gouvernement égyptien peut hausser les tarifs douaniers sur un produit dans des cas exceptionnels liés à la détérioration de l’industrie. La condition est de présenter un tableau comprenant les nouveaux tarifs à un comité égypto-européen avant la fin de la période transitoire en 2019.

Au cas où ce dernier n’approuverait pas la décision d’augmentation des tarifs, le gouvernement égyptien pourrait toutefois appliquer la décision pendant un an. « Mais il ne faut pas prendre directement des mesures protectionnistes pour freiner nos importations, afin d’écarter une confrontation directe avec les pays de l’UE », note la source du ministère.

Repenser le développement

Par ailleurs, Al-Kady estime que, pour diminuer les importations, il faut réfléchir au-delà du simple remède de la crise temporaire du dollar. Il est nécessaire par exemple de repenser le développement industriel. « Le gouvernement exporte une matière première brute et importe ensuite des produits intermédiaires et finaux beaucoup plus chers, provenant de la même matière », explique Shereen Al-Kady avec détresse.

Le cuir et le marbre en sont des exemples flagrants. Selon les statistiques du CAPMAS couvrant la période de juillet 2011 à juin 2012, l’Egypte a exporté du cuir brut pour une valeur de 8,3 millions de dollars, alors que la facture des importations des produits en cuir avoisine les 80 millions de dollars.

Quant au marbre, son exportation brut rapporte au pays annuellement 54,6 millions de dollars, alors que son importation avoisine les 100 millions. Chaque étape de transformation d’une matière brute lui apporte en effet de la valeur ajoutée. « Exporter du marbre brut est une pure perte de dollar », renchérit Al-Kady, en ajoutant que la Constitution devait comprendre une clause interdisant l’exportation des matières brutes.

Le coton est un autre exemple illustrant le manque de vision vis-à-vis de l’industrie, mais aussi de la politique agricole qui mérite une profonde révision. Le coton brut est exporté à hauteur de 388 millions de dollars, alors que l’Egypte en importe annuellement pour 51,8 millions de dollars. Le sucre est exporté à hauteur de 9,7 millions de dollars et importé à 1,07 milliard de dollars. De plus, l’Egypte, premier importateur mondial de blé, exporte son blé à hauteur de 46,7 millions de dollars, alors que son importation lui a coûté 3,2 milliards de dollars de juillet 2011 à juin 2012 (selon les chiffres du CAPMAS).

Autosuffisance

Plusieurs experts assurent que l’Egypte pourrait devenir autosuffisante en blé et que, faute de serres, de stockages et de moyens de transport appropriés, une grande partie de la production s’abîme. « Le gouvernement n’achète aux paysans que la moitié de leur production, destinée à produire le pain subventionné », ajoute Al-Kady. Le ministre de l’Agriculture, Salah Abdel-Mömen, confirme cette réalité en déclarant : « En l’absence de silos pour le stockage, la perte est de presqu’un cinquième de la récolte de blé ».

Autre preuve de l’illogisme du bilan des importations : les produits pétroliers (gaz naturel, gasoil et pétrole) avec des exportations coûtant annuellement au pays 12 milliards de dollars. « Nous exportons le pétrole brut à cause de l’inefficacité des raffineries qui n’ont pas été modernisées depuis les années 1980. La production nationale ne suffit qu’au quart de nos besoins, ce qui nous oblige à importer le reste. Il devient nécessaire d’arrêter l’exportation de ces produits et de créer des raffineries », renchérit Al-Kady. Mettre un frein à la facture des importations passe clairement par une amélioration des capacités de production locale.

La facture grimpe

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La facture des importations égyptiennes n’a cesséde gonfler au cours des trois dernières années pour atteindre 58,6 milliards de dollars en 2011/2012. Les biens de consommation et des produits intermédiaires constituent près de la moitiéde la facture, alors que le reste est partagéentre les produits àl’énergie (9,8 milliards de dollars), les produits d’investissement et ceux des matières premières. Cette facture risque de subir une forte hausse cette année, suite àla fluctuation du cours du dollar qui a flotté

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