Le général Mahamat Idriss Déby Itno, proclamé chef de l'Etat par l'armée il y a trois ans pour succéder à son père, apparaît comme le grand favori d'une présidentielle, lundi prochain, dont la junte militaire a écarté ses rivaux, après avoir réprimé violemment toute opposition.
Mais un scénario inédit au Tchad - un président et son chef du gouvernement candidats -, pourrait lui rendre la tâche moins aisée que prévu : Succès Masra, ex-farouche opposant aux Déby, nommé Premier ministre il y a quatre mois, joue les trouble-fêtes en drainant des foules imposantes.
Deux hypothèses s'opposent chez les politologues.
La première - Déby l'emportera haut la main, en l'absence de rival chez neuf autres candidats - dominait jusqu'à ces derniers jours, considérant que la candidature de Masra est un jeu de dupes pour perpétuer leur tandem à la tête de l'exécutif, tout en ravissant des voix à la dissidence.
La seconde analyse, c'est que Masra s'est enhardi, galvanisé par les foules, pourrait se muer en empêcheur de tourner en rond, pousser M. Déby à un second tour, voire, pour les plus pessimistes, contraindre la junte à bourrer les urnes.
-"Joué d'avance"-
Cela ouvrirait la voie à des contestations dans la rue, systématiquement réprimées sous les Déby père et fils, dans ce pays sahélien pauvre marqué, depuis son indépendance de la France en 1960, par les coups d'Etat et une multitude de rébellions.
"L'hypothèse, au début, était qu'il allait accompagner Déby dans des élections jouées d'avance (...) mais Masra est maintenant dans la logique qu'il y aura un Diomaye Faye au Tchad", estime Kelma Manatouma, professeur de sciences politiques à N'Djamena, en référence au nouveau président sénégalais.
"Masra est un accompagnateur, il fait monter les enchères pour assurer sa place après l'élection de Déby", corrige le député Rakhis Ahmat Saleh, candidat invalidé par le Conseil constitutionnel, comme neuf autres.
La campagne, elle, est monocolore, la capitale est tapissée d'affiches aux seules effigies et couleurs de MIDI, l'acronyme de Mahamat Déby, prédisant un "Premier tour K.O.". Le même slogan que pour son père, qui avait raflé officiellement près de 80% des voix au premier tour en 2021.
-"Dynastie Déby"-
Grâce à l'appareil et aux fonds de l'Etat, accuse ce qui reste de l'opposition, dont les deux principales plateformes, Wakit Tama et le CGAP, appellent à boycotter un scrutin qui va consacrer une "dynastie Déby".
Le 20 avril 2021, Mahamat était nommé par l'armée président de transition à la tête d'une junte de 15 généraux à la mort de son père Idriss Déby Itno, tué par des rebelles, après avoir dirigé le Tchad d'une main de fer 30 années durant.
Puis il a prolongé de deux ans une transition de 18 mois, adoubé par une communauté internationale - France en tête - prompte à condamner les putschistes ailleurs en Afrique.
Paris entretient encore un millier de militaires au Tchad, considéré comme un pilier de la lutte contre les jihadistes au Sahel, après que les soldats français eurent été expulsés du Mali, du Burkina Faso et du Niger.
Le 20 octobre 2022, l'armée et la police ouvraient le feu sur des manifestations de l'opposition et, notamment, des Transformateurs, le parti de Masra, tuant au moins 300 jeunes selon les ONG internationales, une cinquantaine selon N'Djamena.
Un millier d'autres étaient expédiés dans le sinistre bagne de Koro Toro, en plein désert, dont certains ont péri en route ou ont été exécutés, selon les ONG.
-"Traître"-
Les principaux leaders de l'opposition, la plupart en exil, accusent Masra d'être un "traître" faisant fi des victimes de son propre parti pour un strapontin de Premier ministre.
"On était derrière lui (...), mais il est venu manger avec nos bourreaux", assène Judicaël Noubarassem, chauffeur routier, dans un quartier de N'Djamena.
Puis le 28 février, Yaya Dillo, cousin de Mahamat Déby et son plus farouche rival pour la présidentielle, était tué par des militaires dans l'assaut du siège de son parti. "Assassiné" d'une "balle à bout portant dans la tête", selon son mouvement.
"Déby a contre lui le passif de 30 années de gouvernance chaotique, tous les indicateurs économiques et sociaux sont au rouge", analyse Remadji Hoïnathy, spécialiste tchadien de l'Afrique centrale, selon lequel il serait "difficile" qu'il l'emporte "au premier tour, sans forcer la main dans les urnes".
En cas de triche, "on risque de retomber dans des événements similaires à ceux du 20 octobre 2022", redoute Ladiba Gandeu, professeur de sociologie à N'Djamena.
Les huit autres candidats ne devraient grappiller que des miettes.
Les résultats sont attendus le 21 mai, l'éventuel second tour le 22 juin.
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