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Ali Al-Chaabani : L’accord de septembre 2014 a sonné le glas de la paix au Yémen

Osman Fekri, Lundi, 16 février 2015

L'analyste yéménite Ali Al-Chaabani explique la situation au Yémen, les différents acteurs et les espoirs de règlement.

Ali Al-Chaabani

Al-Ahram Hebdo : La situation au Yémen est alarmante et le dialogue parrainé par les Nations-Unies ne semble pas prometteur. Quelle est, selon vous, l’issue possible ?

Ali Al-Chaabani: Il n’y a d’autre choix pour les Yéménites qu’un véritable dialogue qui inclut l’ensemble des forces politiques et ce, afin d’éviter l’embrasement général, voire la guerre civile. Cela dit, pour le moment, le dialogue sous l’égide de l’émissaire spécial de l’Onu, Djamel Ben Omar, ne semble pas aboutir à grand-chose. Et pour qu’il aboutisse à quelque chose, il est nécessaire qu’il soit parrainé par d’autres parties (à part l’Onu), comme l’Egypte et les pays du Golfe. Jusqu’à présent, l’Onu a fait preuve d’échec total dans la gestion diplomatique des crises arabes. La preuve en est la situation dans des pays comme l’Iraq, la Syrie, la Libye ou encore le Soudan. Au Yémen, la gestion de crise de M. Ben Omar n’a fait que l’envenimer. L’émissaire onusien a totalement bafoué l’initiative de paix du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) signée en 2012. Il s’est nettement rangé du côté des Frères musulmans et a permis aux partisans de l’ancien président Ali Abdallah Saleh de bafouer à leur tour l’initiative de paix.

Durant les quatre dernières années, M. Ben Omar a torpillé l’initiative de paix jusqu’à ce qu’il obtienne des différentes parties, en septembre 2014, la signature d’un accord de paix favorable aux Houthis, et ce, en écartant tout rôle du CCG. Et c’est cet accord qui a sonné le glas de la paix au Yémen. La preuve en est la situation à laquelle nous sommes arrivés aujourd’hui.

— Vous pointez donc du doigt directement les Nations-Unies...

— Absolument. L’Onu endosse une part de la responsabilité de la situation au Yémen en raison de la partialité de son émissaire, de la mise à l’écart des pays de la région dans le règlement de la crise, et des résolutions imprécises du Conseil de sécurité. Résultat: aujourd’hui, ni la rue yéménite, ni les forces politiques ne font confiance à l’Onu. Il faut donc que la solution soit yéméno-yéménite.

— Sur le terrain, les Houthis détiennent le pouvoir, mais cela ne correspond pas à l’équilibre réel des forces yéménites. Comment les parties en présence peuvent-elles alors dialoguer? N’y a-t-il pas de risque de somalisation ?

— Il y a beaucoup de confusion sur ce qui se passe au Yémen. Les Houthis n’ont pas de mainmise totale sur le pays. L’armée, les services de sécurité et les institutions fonctionnent de façon normale.

Pour ce qui est des risques de somalisation, je ne pense pas que ce soit possible, malgré tous les défis auxquels nous faisons face. La situation du Yémen est plutôt similaire à celle du Liban. C’est-à-dire que le risque d’un conflit civil existe si la crise actuelle se poursuit. Cela dit, le peuple yéménite est tout à fait conscient des dangers d’un tel scénario et fera tout pour préserver l’unité et recouvrer la stabilité du pays. Les différends qui opposent les Yéménites sont d’ordre politique, et il n’est pas si difficile de les surpasser.

— Vous parlez d’unité alors que les Sudistes ne cessent d’évoquer la scission...

— Le sud est une partie inséparable du Yémen. Les populations du sud sont pour l’unité du pays. Les informations et les rapports en provenance du sud sont erronés. Pour ce qui est des mouvements sudistes, leur position a changé à plusieurs reprises depuis 1986. Et il existe au sein des Sudistes plusieurs tendances et plusieurs clans, chacun suivant son propre agenda ou l’agenda de celui qui se place derrière lui.

Il faut que tout le monde sache que le seul bénéficiaire d’une éventuelle séparation du sud est la branche d’Al-Qaëda dans la péninsule arabique.

— Vous avez critiqué l’Onu pour avoir écarté les forces régionales dans le processus du règlement. Que pensez-vous du rôle égyptien et de la visite de Vladimir Poutine au Caire ?

— La position de l’Egypte est forte et tout à fait courageuse, fortement appréciée par la rue yéménite. En effet, pour les Yéménites, le président Abdel-Fattah Al-Sissi n’est pas seulement le président de l’Egypte, mais un leader arabe. Et, lors de la conférence de presse commune avec son homologue russe, Vladimir Poutine, lors de sa visite historique en Egypte, Abdel-Fattah Al-Sissi a réaffirmé que l’Egypte est en faveur d’un règlement politique au Yémen garantissant l’unité du pays. Le Caire et Sanaa ont de tout temps entretenu des relations solides, stratégiques et historiques, et l’attitude de l’Egypte vis-à-vis de ce qui se passe au Yémen en est la preuve. La position conjointe de Moscou et du Caire constitue un barrage face aux conspirations internationales à l’encontre du Yémen.

Ali Al-Chaabani
(Photo:AP)

Le plus important est que la majorité des forces yéménites a accueilli favorablement les efforts du Caire, à l’exception des Frères musulmans et de ceux qui se positionnent derrière eux: le Qatar, la Turquie, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. L’Egypte reste un garant de la sécurité du monde arabe, et Abdel-Fattah Al-Sissi est celui qui a sauvé l’Egypte et le monde arabe du complot ourdi par les Frères.

— Pensez-vous qu’un retour du président Abd-Rabbo Mansour Hadi et qu’un rétablissement du Parlement puissent contribuer à trouver une solution ?

— Le Parlement est la seule institution légitime qui reste depuis la fin de la légitimité de la transition politique établie par l’accord de paix du CCG en novembre dernier. La dissolution du Parlement est une étape vers une scission du pays et vers davantage de troubles. Quant à M. Hadi, il a présenté sa démission et tient à ne pas revenir sur sa décision. Nous devons l’accepter et tourner cette page, avec ses points forts et ses points faibles.

— On parle beaucoup du rôle des partisans de l’ancien président Ali Abdallah Saleh. Qu’en est-il ?

— M. Saleh et son parti, le Congrès populaire général, sont toujours un facteur d’équilibre politique majeur au Yémen. L’ancien président et son parti ont présenté d’importantes concessions, afin d’éviter la guerre civile, et ils continuent à jouir d’une certaine popularité. Preuve en est que ni les Houthis, ni les Frères musulmans n’ont réussi à ébranler cette popularité.

Certains ont parlé d’une alliance entre M. Saleh et les Houthis. Ceci est totalement faux. Ce sont des allégations sans fondement.

— Pensez-vous qu’une intervention militaire des pays du Golfe ou saoudienne soit envisageable ?

— Il n’est certainement pas dans l’intérêt de l’Arabie saoudite d’intervenir militairement au Yémen et je ne pense pas que Riyad prenne ce risque.

— Et une intervention internationale ?

— L’idée est lointaine aussi. La communauté internationale ne veut pas s’aventurer au Yémen après ses échecs en Iraq, en Somalie et en Syrie.

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