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Au-delà de la lutte anti-Daech

Maha Salem, Lundi, 13 octobre 2014

Les bases turques seront utilisées par la coalition dans les frappes contre l'EI en Syrie. L'objectif est de sauver les régions kurdes, mais aussi d'affaiblir le régime d'Al-Assad.

Au-delà de la lutte anti-Daech
(Photo:AP)

Kobané, la ville syrienne kurde, est devenue ces derniers jours aux yeux du monde entier le symbole de la lutte contre l’Etat Islamique (EI). C’est en effet dans cette ville que des combats terrestres ont lieu entre les djihadistes et les Kurdes, parallèlement aux frappes aériennes menées par la coalition.

Pourtant, malgré l’intensification des bombardements et l’appui logistique donné aux Kurdes, les djihadistes maintiennent leur emprise sur la ville. La situation reste ainsi à l’avantage des djihadistes, plus nombreux et mieux armés. Ils contrôlent environ 40% de la ville, particulièrement le secteur est, et des quartiers dans le sud et l’ouest. La progression du groupe radical n’a pu être freinée par les frappes de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, insuffisantes pour sauver la ville, de l’aveu même des responsables militaires américains. Mais la défense acharnée des forces kurdes a, néanmoins, contraint l’EI à faire venir des renforts en provenance de Raqa et Alep, leurs bastions du nord syrien. « Ils se battent cruellement car pour les deux camps c’est une question de vie ou de mort, celui qui va perdre ce combat perdra toute la guerre », explique Moataz Salama, politologue et spécialiste du dossier syrien au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CESP) d’Al-Ahram au Caire.

En revanche, les Kurdes de Kobané, eux, ne peuvent recevoir de renforts, car la Turquie bloque sa frontière, empêchant notamment des Kurdes de ce pays de se porter au secours de leurs camarades assiégés. Le chef du principal parti politique kurde de Syrie, qui fait état de 10000 civils dans la ville, a, lui, pressé les autorités turques de laisser passer des armes. « Nous avons, désespérément, besoin de l’aide de la Turquie », a déclaré Salih Muslim, président du Parti de l’union démocratique, (PYD) dans un entretien téléphonique à l’AFP, « ce serait très bien qu’elle ouvre le plus vite possible sa frontière au passage d’armes ».

Pour défendre sa position, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, interrogé par la télévision France 24, a estimé que « renvoyer des civils vers la guerre est un crime ». Sur ce point donc, la Turquie ne veut pas faire de concessions. Pourtant, sous forte pression de la communauté internationale, la Turquie a été obligée d’autoriser aux Etats-Unis l’utilisation de ses bases aériennes, en particulier sa grande base d’Incirlik, dans le sud, pour lutter contre l’organisation de Etat islamique. « Les détails de l’utilisation (des bases turques pour la lutte contre l’EI, ndlr) sont toujours en cours d’élaboration », a ajouté ce responsable, parlant à l’AFP sous le couvert de l’anonymat. Jusqu’à présent, les avions américains, employés pour les bombardements contre l’EI, décollaient des bases aériennes d’Al-Dhafra aux Emirats arabes unis, d’Ali Al-Salem au Koweït et d’Al-Udeid au Qatar, où se trouve également le centre opérationnel aérien américain pour 20 pays de la région (CAOC).

Auparavant, la Turquie avait annoncé sa contribution aux efforts de la coalition internationale contre l’EI, notamment en hébergeant et en entraînant des membres de l’opposition syrienne. En effet, le premier ministre turc, Ahmed Davutoglu, a appelé à fournir un soutien militaire à l’opposition modérée syrienne afin de créer en Syrie une troisième force qui lutterait aussi bien contre le pouvoir du président syrien Bachar al-Assad que contre l’EI.

Les objectifs à long terme

« En soutenant militairement l’opposition syrienne contre l’armée de l’EI, Ankara veut surtout combattre, à plus long terme, son véritable ennemi, le président syrien Bachar Al-Assad. Certes, la Turquie apporte un appui politique à l’opposition syrienne depuis le début de sa révolution en mars 2011, mais jusqu’à présent, elle ne lui a jamais accordé d’aides financières ni d’équipements militaires, et elle avait à plusieurs reprises refusé d’accorder des aides matérielles ou de former les militants syriens », explique Moataz Salama. Selon lui, le changement dans l’attitude de la Turquie « vient après des promesses tacites occidentales: tout d’abord, il s’agit d’aides financières accordées à la Turquie, fermer les yeux sur la répression agressive des manifestations, en plus d’un peu de flexibilité dans les négociations d’adhésion à l’Union européenne ».

Auparavant alliée du président Assad, la Turquie s’est retournée contre lui après le début du conflit en Syrie en mars 2011 et elle s’est prononcée pour son départ du pouvoir. Un objectif que les Occidentaux visent également, et qui entre dans le vif des politiques de la coalition anti-Daech.

Risque humanitaire à Kobané

Le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, a réitéré sa profonde inquiétude sur la situation dans et autour de Kobané. Il a appelé toutes les parties à se lever pour empêcher un massacre de civils. A cet égard, la Commission européenne a annoncé l’octroi de 3,9 millions d’euros aux organisations humanitaires qui viennent en aide aux quelque 180 000 réfugiés, ayant fui la région de Kobané vers la Turquie. Craignant le pire dans cette ville, l’émissaire spécial de l’Onu pour la Syrie, Staffan De Mistura, a dit craindre un « massacre » semblable à celui de Srebrenica dans l’ex-Yougoslavie. Selon lui, jusqu’à 700 civils se trouvent encore dans le centre-ville, dont une majorité de personnes âgées, et entre 10 000 et 13 000 autres sont rassemblées tout près de la frontière. « Si la ville tombe, ces civils seront très probablement massacrés », a averti Staffan. Il a appelé la Turquie, qui interdit aux Kurdes syriens, réfugiés en Turquie, de repasser la frontière, à autoriser le flot de volontaires à entrer dans la ville pour soutenir son action d’autodéfense .

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