Al-Ahram Hebdo : Une année est passée depuis l’explosion du port de Beyrouth, et l’enquête n’a toujours rien donné. Pourquoi ?
Dr Mohamed Aboul-Makarem : Ce retard est le reflet de la crise politique au Liban, voire de la vie politique dans son ensemble. Au début de l’enquête, le juge responsable du procès a demandé de questionner plusieurs responsables et députés au parlement. Mais, il a été remplacé par un autre, et rien n’a été vraiment fait. Ce qui prouve qu’il est soumis à de fortes pressions. La communauté internationale doit intervenir dans ce procès pour trouver les vrais coupables et les punir.
— C’est donc une facette de la crise et rien ne laisse présager une prochaine issue. Comment voyez-vous l’avenir ?
— La situation s’aggrave de plus en plus au Liban. On peut même dire que la triple crise libanaise — économique, politique et sanitaire — est la pire dans le monde arabe, plus grave même que la situation au Yémen et en Syrie. Saad Hariri a passé 10 mois à essayer de former un gouvernement, en vain. Le premier ministre désigné, Najib Mikati, a promis de former sans délai un gouvernement mais la crainte est qu’il n’y parvient pas. C’est une mission difficile à accomplir car le Courant Patriotique Libre (CPL) du président libanais Michel Aoun et de Gibran Bassil, ainsi que leurs alliés chiites veulent choisir les ministres de la Défense et de l’Intérieur. Pour eux, c’est une condition pour former le gouvernement. Et ils sont intransigeants. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Hariri a jeté l’éponge, car il refusait de se soumettre à cette condition. Cette condition est importante en raison des élections présidentielle et législatives prévues en 2022. L’alliance du CPL et des chiites veut la loyauté du ministre de l’Intérieur, responsable de sécuriser le scrutin. Aussi et surtout, ils veulent se maintenir et remporter les élections pour servir leurs intérêts. Sans doute, le gouvernement ne sera pas formé jusqu’à la tenue des élections. C’est ce que veut le président.
— Outre les calculs internes, entre les différents groupes et confessions, le Liban est aussi tributaire des tensions régionales. Les récentes tensions entre le Hezbollah et Israël ont-elles un lien avec le nouveau pouvoir en Iran ?
— C’est une scène répétitive. Les deux camps veulent montrer leurs forces. Mais ce qui est particulier cette fois-ci, c’est que toutes les parties font face à des troubles internes. En Israël, le nouveau gouvernement affronte de vrais problèmes qui menacent son existence. C’est pourquoi il veut montrer qu’il y a un danger et qu’il est capable de l’affronter. Le Hezbollah, lui, veut augmenter sa popularité en cette période trouble du Liban. Quant à l’Iran, le nouveau pouvoir veut envoyer un message que sa politique est la même, qu’il reste influent dans la région et qu’il a des cartes de pressions en main, et ce, alors que les négociations sur le nucléaire doivent reprendre prochainement.
— La situation politique est bloquée, y a-t-il une chance que la situation économique s’améliore après les promesses de dons de la communauté internationale ?
— 370 millions de dollars d’aides ont été promis. Mais le Liban a besoin de milliards de dollars pour remettre son économie sur pied et non de quelques millions. Autre chose, les donateurs refusent de verser les fonds directement à l’Etat. Ils veulent verser les sommes aux organisations non gouvernementales. Ainsi, ces fonds ne vont pas aider l’économie libanaise.
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